Suite à de récentes directives de l’Union européenne, la liste des pesticides autorisés va être considérablement réduite dans les années à venir, ce qui ne sera pas sans conséquence sur l’agriculture. Comment la recherche peut-elle aider les agriculteurs luxembourgeois à devenir plus respectueux de l’environnement tout en conservant le même rendement ?
Plusieurs pistes sont possibles. La première concerne un modèle informatique prévisionnel des principales cultures. Mis au point par le département Environnement et Agro-biotechnologies (Eva) du Centre de recherche public Gabriel Lippmann en partenariat avec le service de phytopathologie de l’Administration des Services Techniques de l’Agriculture (Asta), ce modèle a été mis au point en 2011 en se basant sur des observations réalisées au cours des années précédentes. Chaque année, pendant la saison culturale, soit d’avril à fin juillet, à des endroits tests disséminés aux quatre coins du pays, les chercheurs assurent le suivi des populations d’insectes ravageurs et de l’incidence des maladies fongiques importantes, mettent en relation les données récoltées avec l’évolution des conditions climatiques et peuvent, grâce à cette application, déterminer le moment optimal du traitement phytosanitaire. Un bulletin avec les différentes cartes de risque est ensuite publié, semaine après semaine, sur les sites Internet de la Chambre d’agriculture et de l’Asta, ainsi que dans le Letzebuerger Bauer.
Au lieu de pulvériser à l’aveugle comme c’était le cas dans le passé, l’agriculteur sait exactement à quel moment il doit traiter son champ. Sa rentabilité augmente – les pesticides coûtent cher et leur pulvérisation prend beaucoup de temps – et son travail devient plus efficace et moins dommageable pour l’environnement. À l’heure actuelle, ce modèle informatique n’est utilisé que pour des cutures comme les céréales, le blé, l’orge ou le colza mais le département Eva compte bien l’optimiser et l’appliquer à d’autres plantes comme la vigne.
Dans le même ordre d’idées, les chercheurs du département Eva essaient également de sensibiliser le monde agricole à privilégier d’autres pratiques comme la rotation des cultures. Ainsi, au niveau du colza, il ne faut pas que des insectes ravageurs comme les méligèthes puissent déposer leurs larves dans le sol. Si c’est le cas, il faut éviter de cultiver du colza l’année suivante – car les larves trouveront tout de suite de quoi se nourrir – et passer à un autre type de culture pendant quelques années, le temps que la population de ces insectes ravageurs ait complètement disparu de manière naturelle.
Un autre volet important, qui relève davantage de l’agriculture de précision, est la télédétection. Le CRP Gabriel Lippmann a ainsi récemment signé une convention de collaboration avec une société spécialisée dans la prise de vues et de mesures aériennes via l’utilisation de drones pour améliorer la précision et la fréquence des données de télédétection (NdlR : voir l’article « Les drones civils se mettent au vert » dans le Land du 17 mai 2013).
« Jusqu’à présent, nous étions tributaires des avions ou des satellites pour recueillir des données spatiales », explique Lucien Hoffmann, directeur du département Eva. « Celles-ci ne nous étaient pas toujours utiles dans la mesure où elles arrivaient rarement au bon moment et manquaient souvent de précision. Les senseurs optiques installés sur les satellites fournissent des images inexploitables en cas de trop forte concentration de nuages, ce qui est régulièrement le cas dans nos régions. Avec les drones, nous disposons d’une ressource complémentaire, plus flexible et plus adaptée à nos besoins. En les équipant de capteurs hyper-spectraux capables de fournir des informations très précises sur l’état du sol et des plantes, ils vont nous permettre de mieux prévoir les récoltes, de délimiter les parcelles pauvres en azote, de mieux cibler l’emploi des engrais et des pesticides et d’offrir une meilleure estimation des dommages après une tempête, des inondations ou des destructions par le gibier. »
L’utilisation des drones a déjà été testée dans des projets de viticulture pour analyser l’état de la végétation et le sera bientôt dans des projets de biométhanisation pour aider l’agriculteur à évaluer plus finement le rendement futur de son champ en biomasse. En collaboration avec des collègues hollandais et belges, des chercheurs du département Eva ont également participé à un projet de l’Agence Spatiale Européenne (Esa) sur la pomme de terre. Ensemble, ils ont démontré, par une étude de faisabilité, que l’utilisation conjointe des satellites et des drones pouvait contribuer à améliorer grandement le rendement des récoltes tout en utilisant moins de pesticides.
Cette précision pourrait être davantage renforcée à l’avenir lorsqu’on pourra transférer – soit par carte mémoire, soit directement par wifi - les données récoltées par les drones dans le système informatique des tracteurs équipés d’un pulvérisateur. Dans certaines régions du monde, certains tracteurs fonctionnent déjà sur un principe analogue : à l’avant du tracteur sont montés des capteurs qui analysent en direct l’état de la végétation et, à l’arrière, le pulvérisateur s’adapte en permanence en fonction des données reçues. Mais il n’est pas certain que ce type de technologie soit un jour appliqué au Luxembourg. Les parcelles des agriculteurs luxembourgeois sont beaucoup trop petites pour supporter à elles seules un investissement de cette nature.