Finie la quête d'un kiosque ou d'une station-service ouverts le dimanche pour acheter le seul journal luxembourgeois paraissant ce jour-là. Le dernier numéro du Quotidien dimanche paraîtra le 20 octobre, le conseil d'administration de la société éditrice Lumédia s.a. (composée à parts égales du Républicain lorrain et d'Editpress) en a décidé ainsi le 23 septembre dernier, rompant avec la longue tradition entamée par le Républicain lorrain, prédécesseur du Quotidien. Les raisons: distribution trop chère et lourde à gérer, besoins en personnel pour fonctionner sept jours sur sept trop importants.
Des regrets? Jean-Marie Martini, nouveau rédacteur en chef du Quotidien depuis le même conseil d'administration, ne peut qu'acquiescer: «c'était l'édition qui se vendait le mieux, nous vendions entre mille et 1200 exemplaires de plus le dimanche qu'en semaine, c'était une formidable vitrine!» Tout en ajoutant que pour lui, de toute façon, il ne s'agit que d'une suspension, jusqu'à ce que le marché publicitaire reprenne peut-être.
Et si les actionnaires s'étaient tout simplement rendus compte que leurs estimations du marché étaient fausses? Est-ce le début de la fin du Quotidien, peu avant le premier anniversaire de sa création, le 14 novembre? «Ah non, certainement pas!» rétorque virulemment Marc Gerges, rédacteur en chef adjoint. «La suspension du dimanche nous permettra d'étoffer le contenu en semaine et de rebondir par la suite.»
Quelle est la réaction à Gasperich? La Voix va-t-elle profiter du désistement de son concurrent direct pour prendre la relève, éditer une Voix dimanche? «La réponse est claire et nette: non!» affirme le rédacteur en chef, Laurent Moyse. «Vous savez que les temps sont durs pour la presse écrite, ce serait irresponsable de se lancer dans une telle aventure.» Car les deux titres furent lancés peu après le 11 septembre 2001 - la Voix fêtait son premier anniversaire le 2 octobre dernier - , depuis lors, les investissements publicitaires dans la presse quotidienne sont en régression de cinq à dix pour cent, selon le titre.
Néanmoins, les deux nouveaux journaux sont parvenus à sortir pendant un an, ce qui les rend éligibles pour l'aide à la presse, subvention étatique directe qui pèse lourd dans le budget d'un journal, jusqu'à la moitié environ des recettes. En vue du financement de ces deux nouveaux titres, la somme allouée à l'aide à la presse augmente de 38 pour cent dans le projet de budget 2003 de l'État, pour atteindre 6,1 millions d'euros.
La première année des deux nouveaux produits de presse fut surtout marquée par une concurrence acharnée. Concurrence qui se joua plus entre les deux grands groupes d'édition luxembourgeois Editpress et Groupe Saint-Paul qu'entre les équipes rédactionnelles en soi. Le dernier épisode de ce roman de gare ayant été la guerre de communiqués suite au dernier sondage ILReS-Media en août: la Voix triomphait dans son édition du 16 août qu'elle était le premier journal francophone avec une avance de 0,2 pour cent, information aussitôt redressée par l'institut de sondage, qui classait ce pourcentage minime dans la marge d'erreur. La pénétration des deux titres se situerait aux alentours de sept pour cent chacun. Aujourd'hui, en entretien direct, les deux rédacteurs en chef affirment tirer à quelque 10000 exemplaires, parfois même plus, selon le jour - la Voix est par exemple distribuée dans la Grande Région francophone le samedi, jour de la parution de la plupart des annonces d'emploi. Actuellement, les deux journaux sont encore avant tout vendus en kiosque (0,60 euros pour La Voix, 0,80 euros pour Le Quotidien), selon Jean-Marie Martini, LQ est vendu à moitié par abonnement, Laurent Moyse ne disposait pas encore des derniers chiffres.
«Mais pour nous, il est clair que nous nous situons dans une stratégie à long terme, explique le rédacteur en chef de La Voix, nous voulons stabiliser le lectorat en augmentant constamment la qualité du produit». Ayant commencé avec huit rédacteurs, l'équipe fut depuis lors étoffée à 19 personnes, dont certains anciens du Répu, comme Jean-Marie Denninger, voire du Quotidien, comme Christophe Nadin. Au Quotidien, il y eut beaucoup de départs en un an, mais tous ont été remplacés y affirme-t-on, ils sont désormais 24 fixes. Qui, dès lundi prochain, auront une édition par semaine de moins à produire. Ce qui permettra peut-être aussi au personnel de récupérer et de prendre les congés trop souvent reportés, de souffler un peu tout simplement ou de se lancer dans des enquêtes un peu plus fouillées.
Même si les deux jeunes quotidiens sont en concurrence directe, essayant tous les deux de toucher une population croissante de non-germanophones vivant ou travaillant au Luxembourg, à y regarder de plus près, ils n'ont pas tant de choses en commun que cela. Le Quotidien, en format berlinois, compact, veut offrir une information rapide et exclusive - «événementielle» est le terme employé par Marc Gerges -, et cherche le scoop, cette formule avait jadis contribué au succès du Républicain lorrain. Jean-Marie Martini a fait ses armes dès 1976 dans feu l'édition luxembourgeoise du Répu avec des chroniques judiciaires, les chiens écrasés, l'actualité locale... Le fait que le Neie Feierkrop l'ait appelé Revolverjournalist ne lui déplait pas.
Sa nomination à la rédaction en chef, succédant à Victor Weitzel, qui est désormais directeur et éditorialiste, est aussi un signe d'une volonté de recentrage du Quotidien. Une restructuration du journal est à l'étude, misant plus sur l'actualité luxembourgeoise - Le Quotidien est d'ailleurs le seul quotidien luxembourgeois optant en principe toujours pour des Unes nationales. «Nous n'allons pas abandonner l'international, mais disons que nous allons approfondir le national et le local, précise J2M comme l'appellent certains collègues. Les faits de société, le sport, la micro-locale et la qualité des photos sont pour moi les quatre grands axes de développement qui nous permettront de mieux nous démarquer des autres quotidiens.»
Car s'il y a bien un mot d'ordre qui revient dans la bouche des deux rédacteurs en chef, c'est que «nous ne sommes pas une traduction de... » Au Quotidien, malgré des similitudes de format et, en partie, des éléments de maquette, on ne veut pas être considéré comme la traduction française du Tageblatt, et à la Voix, Laurent Moyse insiste sur le fait que son journal n'est «pas le Wort en français». Car, même si des pages entières de petites annonces, offres d'emploi ou certains articles sont repris tels quels, que les espaces publicitaires sont vendus en package avec le Wort et que les formats et les maquettes se ressemblent, les deux quotidiens ont deux rédactions bien distinctes.
«Notre approche journalistique est d'ailleurs différente de celle du Wort, explique Laurent Moyse, là où eux s'inscrivent dans la tradition allemande ou nordique du journalisme, avec une certaine austérité dans le traitement et la présentation de l'information, nous penchons plutôt pour le modèle français ou latin d'une présentation plus vivante.» La Voix vise le lectorat des non-Luxembourgeois, ceux qui ne comprennent pas assez l'allemand pour lire le grand frère. Le journal se veut non seulement francophone mais aussi francophile, l'actualité internationale, les grands entretiens, la culture, même les recettes de cuisine en dernière page, tout est résolument tourné vers la France. «Nous ne voulons surtout pas donner l'impression à nos lecteurs que ce qui se passe au Luxembourg est plus important que ce qui se passe à l'étranger. Pour cela, les premières pages de La Voix parlent d'abord de l'actualité internationale.» Au Luxembourg, La Voix se veut politiquement moins militante «pour un certain parti» que le Wort, moins directement l'organe de l'église catholique aussi. «Même si nous souscrivons à la même éthique et aux mêmes valeurs, précise Laurent Moyse, nous mettons d'autres accents, nos lecteurs ont des cultures différentes et nous en tenons compte.»
«In-dé-pen-dan-ce, martèle Jean-Marie Martini au Dernier Sol à Bonnevoie, c'est vraiment cela notre ligne éditoriale! Si nous marquons 'indépendant luxembourgeois' sous le titre, cela veut dire quelque chose. Chez nous, ni l'OGB-L, ni le LSAP ni aucun autre parti politique n'interviennent. Les choix sont pris ici, dans la rédaction et nulle part ailleurs!» Ces dernières semaines, Le Quotidien est devenu plus impertinent, sortant des nouvelles exclusives comme les rapports accusateurs de la Cour des comptes - un peu comme du temps du Répu. Alors qu'à Gasperich, on prône le calme et un certain recul.
Toutefois, si les propriétaires des deux organes leur ont attribué les moyens de survivre les temps difficiles de la première année, ils ne font certainement pas uniquement un calcul économique dans le moyen et le long terme, mais risquent d'avoir aussi des visées politiques ou au moins d'influence idéologique et de pouvoir. Dans deux ans auront lieu les prochaines élections, on verra à ce moment-là ce qu'il en est de la politisation et de l'indépendance.