L’Université est le plus grand défi intellectuel de notre pays. Dix ans après sa fondation, elle a beaucoup réalisé, mais il reste énormément à faire. Un danger grave pour notre seule université est l’autosatisfaction, d’où l’importance du regard extérieur1.
Je ne sais pas comment les acteurs de l’Université prennent ce regard : avec intérêt, dédain ou indifférence. Lors de la rentrée académique, le 26 septembre 2013, le recteur l’a évacué en une phrase, sans plus. Ce regard est franc et direct. Il dénonce les défauts inhérents de la naissance de l’Université et les routines qui nuisent à son excellence.
L’appréciation générale est positive. Si nous évoquons les nombreuses critiques, ce n’est pas pour dénigrer le travail accompli, mais pour insister sur l’effort qui reste à faire.
À cet égard, les aspects critiqués par les évaluateurs portent sur le fonctionnement de l’Université dans son ensemble (p.9), sur la construction d’une identité et sur la cohésion de l’ensemble (p.10). La gestion centrale est assurée par le conseil de gouvernance, le conseil universitaire ainsi que le recteur, les doyens et les directeurs. Selon les évaluateurs, l’engagement du conseil de gouvernance dans la gestion stratégique de l’Université a été faible dans le passé et devrait s’améliorer avec un nouveau président. Le conseil est sous-équipé du point de vue administratif (p.15). Les experts considèrent son engagement comme fondamental pour le succès de l’Université. Il doit prioritairement améliorer la communication, encourager le débat interne, écouter et dialoguer systématiquement avec le conseil universitaire (p.15).
Quant à ce dernier, il ne semble pas fonctionner comme il faut (p.15). L’absentéisme est un problème récurrent. La préparation des réunions est insuffisante. Les membres semblent ne s’engager que là où ils ont un intérêt direct. Chacun renvoie la balle à l’autre : le recteur blâme les membres, ceux-ci critiquent son style autocratique. Pour éviter la fragmentation de l’Université, il faut que le conseil universitaire fonctionne mieux (p.16).
L’évaluation du rectorat et de ses services est particulièrement critique. Les différentes parties de l’Université se développent dans des directions différentes. (p.17) Cette hétérogénéité des structures est due au manque de coordination et de réflexion commune (p.17). Même à l’intérieur du rectorat il y a peu de coordination et d’entraide entre les membres individuels. Cela s’est montré, selon les évaluateurs, par l’absence d’une approche commune dans l’auto-évaluation, fondée sur des contributions individuelles mises ensemble dans un rapport sans l’effort d’une synthèse réflexive. « Dans ce rapport, il n’y a pas l’ombre d’une réflexion commune qui mènerait à une analyse commune des forces et des faiblesses et à des solutions communes » (p.17). Pour les évaluateurs, qui insistent lourdement sur ce point, le développement d’une culture commune et d’un cadre pour améliorer la cohésion et l’échange de bonnes pratiques doit être un point central dans le prochain plan quadriennal.
Les évaluateurs se félicitent de l’excellent travail du nouveau directeur administratif, en particulier de la mise en place de systèmes comptables pour toute l’Université et d’une meilleure coordination en matière de technologies de l’information, de la communication et de la gestion des ressources humaines (p.18). Mais ils constatent que le manque d’uniformité en matière de contrats, de profils professionnels et de promotion aussi bien pour le personnel académique que pour le personnel administratif est un sujet majeur qui prête à une « confusion totale » dans l’Université. La bibliothèque reste sous-équipée et le personnel est insuffisant. Le service central pour les étudiants donne également lieu à des questions de la part des évaluateurs.
Quant au déménagement à Belval, ils notent une grande confusion à travers toute l’Université (p.19). Il n’y a pas d’accord clair quand ce déménagement aura lieu exactement. « La confusion au sujet de Belval est exacerbée par le problème de communication déjà mentionné. » (p.19) Et le comité d’évaluation d’exprimer sa profonde interrogation comment un gros projet comme celui de Belval avec autant de « stakeholders » peut être traduit en plans opérationnels clairs fondés sur des décisions claires que chaque élément de l’Université peut identifier et selon lesquels il peut planifier son développement futur (p.19).
La critique porte aussi sur l’absence d’efforts communs à toute l’Université pour assurer la concordance des programmes à travers les facultés et l’élaboration de méthodes pour évaluer les résultats de l’enseignement (p.23). Il en va de même du système du tutorat qui est un des principes fondateurs de l’Université pour l’enseignement (p.23). Les deux premiers semestres, tous les étudiants sont en principe accompagnés par un tuteur et censés le voir une fois par semaine ou à la demande. Les évaluateurs ont remarqué que ce système fonctionne de façon informelle et qu’il n’y a pas de concept clair de ce qu’il devrait être. Il n’y a pas d’évaluation du système au niveau central (p.23). Cette constatation concerne aussi la coordination de l’enseignement et des méthodes didactiques, une fois les programmes fixés (p.23).
Les évaluateurs regrettent qu’il n’y ait pas d’analyse des échecs assez nombreux. À cet égard ils font une remarque importante : l’Université du Luxembourg entend atteindre un niveau d’excellence élevé, ce qui exigerait des procédures de sélection pour l’admission à l’Université, d’une part, mais d’autre part, comme seule université au Luxembourg, elle a un rôle social en matière de démocratisation de l’enseignement supérieur. L’Université devrait engager un débat stratégique sur cette question. À l’heure actuelle, selon les évaluateurs, la réflexion porte uniquement sur les moyens (budgets, ressources humaines, infrastructures) et une sélection plus rigoureuse les étudiants au départ. Il faudrait plutôt aider les futurs étudiants par une information claire et une guidance efficace, établir un système d’aide et un tutorat bien développés.
Bien plus, ce qui inquiète les évaluateurs, c’est l’absence de gestion de la qualité (p.24). « Tous les titres émis en son nom ont-ils vraiment le niveau nécessaire pour porter le titre de diplôme de l’Université du Luxembourg ? » (p.24). De même, la notion d’assurance qualité fait l’objet d’interprétations diverses à l’intérieur de l’Université. Si les facultés font un travail excellent, il manque un débat général en vue d’une stratégie d’ensemble de l’Université dans le domaine de l’enseignement (p.24).
Les évaluateurs proposent toute une série de recommandations en vue du prochain plan quadriennal, et il sera intéressant de voir comment ce plan va les mettre en œuvre2.
Ce qu’on a pu lire dans l’évaluation de la gestion centrale du « teaching and learning » se retrouve très largement dans l’évaluation de chaque faculté. Ainsi, sur l’échelle à quatre niveaux (AA, A, B, C) utilisée par les évaluateurs pour l’enseignement, la faculté des sciences n’atteint que le niveau B donc l’avant-dernier, la faculté de droit le niveau A, la faculté des lettres également le niveau A. En général, ce résultat est moyen, comme dans l’évaluation de 2009. Il n’y a pas d’excellence. Est-ce parce que l’acte d’enseigner est considéré comme moins valorisant que la recherche puisque l’Université du Luxembourg se dit avant tout vouée à la recherche ? Celle-ci obtient, sur l’échelle des niveaux appliqués (excellent, très bien, bien, satisfaisant, non satisfaisant), des résultats meilleurs que l’enseignement, de même qu’en 2009.
Il est intéressant de regarder en détail ce que les évaluateurs pensent du travail des facultés et des cinq priorités de recherche retenues dans le plan quadriennal. Les mêmes critiques qu’en 2009 apparaissent ici également. C’est d’abord l’hétérogénéité des facultés comparées entre elles, la fragmentation à l’intérieur de la faculté, la tendance des composantes à mener leur vie propre et l’absence de stratégies communes et d’efforts pour la coordination et la coopération. Les recommandations pour chaque faculté se ressemblent : assurer la cohésion entre la faculté et les centres interdisciplinaires, là où il y en a ; participer plus activement à la vie de l’Université dans son ensemble ; développer la communication avec les autres facultés ; se donner des moyens d’évaluation ; penser stratégiquement.
L’Université doit développer notre potentiel intellectuel. Et elle doit servir d’instrument de réflexion pour résoudre nos problèmes et de levier pour l’innovation. Les évaluateurs ont très bien vu le problème. À titre d’exemple, citons leur analyse de la priorité de recherche en éducation dans un milieu multilingue et multiculturel (p.51 à 56). Ils considèrent que la relation de l’Université avec les acteurs de l’école publique constitue un domaine passionnant pour le développement de l’Université3. Ils insistent sur les liens à établir entre la recherche et la société luxembourgeoise : « Coopérer dans le contexte de la pratique quotidienne de l’éducation dans une société multilingue et multiculturelle (…) est extrêmement important » (p.54)4. C’est un appel fort à l’Université de s’impliquer sérieusement dans une réflexion proactive sur l’enseignement luxembourgeois (p.54). Le doyen de la Faculté des Lettres, des Sciences humaines, des Arts et des Sciences de l’Éducation, a présenté le 11 juillet 2013 à la commission de l’éducation nationale à la Chambre quelques pistes à cet égard. Il faut espérer qu’elles seront incluses dans le plan quadriennal 2014-2017. Pour contrecarrer un argument souvent évoqué à l’Université, les évaluateurs affirment sans équivoque qu’il y a compatibilité entre un niveau d’excellence internationale et la contribution de l’Université au bien-être du pays.
Car l’autonomie, si souvent évoquée par l’Université pour affirmer sa liberté de faire ce qu’elle veut, implique la responsabilité de s’engager pour le pays qu’elle doit servir. Malheureusement, ce débat n’a lieu nulle part en public. Il faut espérer que la Chambre s’en saisisse après les élections, dans le cadre des projets de loi en souffrance.