Il faut commencer par un avertissement, et puisqu’il s’agit d’art et du vingtième siècle, on lui donnera volontiers une allure magrittienne : Ceci n’est pas une exposition. Du moins pas au sens habituel, et le visiteur doit en être conscient pour ne pas être déçu. Ceci est la reconstitution, d’après les plans originaux, de la première participation luxembourgeoise à la biennale de Venise, il est vrai dans un espace réduit, de quelque 25 à trente mètres carrés, comme un lieu de passage avec les deux portes qui se font face, c’était quelque part dans le pavillon italien, là où se retrouvaient les nations sans domicile fixe dans les Giardini.
Nous sommes en 1956, et depuis le Traité de Paris instituant la Ceca, le Luxembourg a pris sa place sur l’échiquier européen. Ce qui lui a valu peut-être cette invitation à participer pour la première fois à la biennale de Venise, une soixantaine d’années après sa création. Et le commissaire Joseph-Emile Muller de se poser de suite la question comment se présenter le mieux possible dans ce qui est bien une compétition, d’aucuns allant jusqu’à en faire les jeux olympiques des arts. On se replie sur des valeurs sûres, des artistes reconnus, avec Joseph Kutter (mort quand même en 1941) et Auguste Trémont. Quitte à avoir l’air un peu vieillot.
La biennale de 1956 voit la Finlande s’établir dans une structure d’éléments préfabriqués d’Alvar Aalto. Ses prix iront entre autres à Jacques Villon (frère de Marcel Duchamp), pour la peinture, à Lynn Chadwick, pour la sculpture, ou Zoran Music, pour la gravure (la diplomatie n’a rien eu à y redire). Et le pavillon français a les choix très éclectiques comprenant dans ses artistes Alberto Giacometti, avec six de celles qui seront ses Femmes de Venise, dans leur stature hiératique, aussi bien que Bernard Buffet. Louis Van Lint est dans le pavillon belge, alors que parmi les sculpteurs présents on trouve encore César et Antoine Poncet.
Presque partout, du moins est-ce l’impression que la distance donne, cette 28e édition allie peinture et sculpture. Dialogue ou simple côte-à-côte particulièrement dense pour la participation luxembourgeoise, reléguée donc dans un espace à la taille du pays. Les peintures de Joseph Kutter, au nombre de quinze, portraits de femmes, d’enfants, de clowns, paysages, nature morte, sont accrochées les unes contre les autres, de façon on ne peut plus serrée ; ce n’est pas l’accrochage qu’on rapporte à Saint-Pétersbourg (où le même resserrement est en plus vertical), mais on est loin des ordonnancements d’aujourd’hui. Et dans l’espace, figés dans leur marche, dans leur mouvement, les animaux des bronzes d’Auguste Trémont censés faire le contraste.
Les temps ont changé, on a abandonné en général les représentations nombreuses, et tels pays ne choisissent même plus parmi leurs seuls artistes nationaux. Ainsi, la France enverra l’année prochaine Anri Sala, qui est né à Tirana, vit et travaille toutefois à Paris ; et le pavillon allemand sera, lui, de même entre des mains étrangères, dont celles d’Ai Weiwei.
Autant qu’il était possible, la reconstitution au MNHA est accompagnée de documents pour donner un contexte. Où l’on retiendra (avec l’étonnement et les regrets les plus vifs) qu’il semble n’y avoir eu aucun écho dans la presse luxembourgeoise à l’époque. Ni du côté du ministère au compte rendu de Joseph-Emile Muller, et plus particulièrement à son insistante remarque que pareille participation ne prend du sens que dans la durée. Rien n’y fit, il faudra attendre une trentaine d’années. En 1988, le Luxembourg sera de retour dans la sérénissime république, et ce sera sur l’initiative personnelle de Patricia Lippert. L’histoire, après, s’écrira dans la continuité, étalée prochainement aux cimaises du Mudam.
Christian Mosar
Catégories: Art contemporain
Édition: 10.08.2012