Inscrit depuis 2008 au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, l’Éimaischen continue de rassembler les foules le lundi de Pâques. Guy Jourdain, président du Comité Alstad, revient sur cette fête

Des oiseaux siffleurs

d'Lëtzebuerger Land du 18.08.2023

Étymologiquement, le terme « Éimaischen » rappelle la marche des apôtres de Jésus vers Emmäus. Mais le lundi de Pâques correspond aussi à la célébration de la guilde des potiers. Au moyen-âge, au Luxembourg, des messes étaient ainsi organisées rien que pour eux. Ce jour-là, les potiers du village de Nospelt, où la fabrication de poteries est attestée depuis 1458, profitaient d’un marché traditionnel pour vendre une grande partie de leur production annuelle. La première trace écrite de l’Eimaischen remonte au 3 avril 1827, date à laquelle il fut décidé de déplacer la foire de l’église Saint-Michel, à cause du bruit, vers la place du Marché-aux-Poissons. Tout au long du 19e siècle, l’Éimaischen n’a donc guère changé d’aspect, mais uniquement d’emplacement.

Après la Première Guerre mondiale cependant, la production potière luxembourgeoise a chuté et le marché était pourvu de produits étrangers. Durant une vingtaine d’années, on n’a plus produit de Péckvillercher - ou oiseaux-siffleurs - luxembourgeois. Il faut attendre 1931 et le potier Jean Peters de Reckenthal qui se distinguera par la vente de milliers de petits Péckvillercher de sa production locale. Six ans plus tard, un groupe d’habitants de la vieille ville, dont un conservateur de musée et le conseiller d’État, ministre et ambassadeur, se réunissent afin de ranimer la vieille ville de Luxembourg et notamment la traditionnelle fête de l’Éimaischen. Ainsi fut créé le « Comité d’organisation de l’Éimaischen », qui prit en 1950 le nom de Comité Alstad. Chaque année depuis lors, les membres éditent un Péckvillchen inédit. Depuis 1957, la fête est également célébrée à Nospelt où les Péckvillercher sont particulièrement mis en valeur.

Guy Jourdain, aujourd’hui retraité, a été responsable des organisations culturelles de l’Office de tourisme de la Ville de Luxembourg (devenu LCTO) puis responsable du service événementiel des Foires Internationales de Luxembourg (devenues Luxexpo The Box). Membre du Comité Alstad depuis 1984, il en est le président depuis 2018. Il détaille : « les Péckvillercher ne constituent pas les seuls symboles de l’Éimaischen, mais de nombreux objets en terre cuite y sont proposés comme des cruches, des soupières, des bols ou encore des jouets traditionnels ». Originellement fabriqués à partir des restes de terre cuite pour ne pas la gâcher, les petits oiseaux siffleurs sont devenus les mascottes de la fête du lundi de Pâques. Il s’agit concrètement d’un sifflet en forme d’oiseau coloré avec un trou à l’arrière, dans lequel souffler, un deuxième à l’avant, et un troisième dans le dos. Grâce à eux, le son qui en sort ressemble au cri du coucou. Ils ne sont cependant pas une spécialité luxembourgeoise : « Il en existe de toutes sortes dans le monde entier. Il y a même eu une exposition internationale à Luxembourg, avec des Péckvillercher qui venaient d’Amérique du Sud, de Taïwan… ». Le spécialiste de l’Éimaischen en possédait presque une centaine et vient d’en offrir une grande quantité au Comité Alstad. Toujours déclinés sur de nouveaux modèles, les oiseaux-siffleurs sont plébiscités aussi bien par les enfants que par les collectionneurs.

Il y a une dizaine d’années, les stands se limitaient aux seules rues du vieux quartier, à savoir la place du Marché-aux-Poissons et les rues Sigefroi, du Rost et de la Boucherie mais ils ont progressé vers la Grand-rue, la rue du Marché-aux-Herbes, la rue de la Reine et même la place Guillaume. « L’aspect authentique du marché de potiers s’orientait alors plutôt vers une fête foraine où l’on trouvait un nombre croissant de produits sans rapport avec l’Éimaischen », se rappelle Guy Jourdain. Mais, après les deux années de pandémie au cours desquelles le public a dû se contenter d’un « Éimaischen virtuel », le Comité Alstad, en collaboration avec la Ville de Luxembourg, a réorienté le marché pour revenir au caractère originel de l’Éimaischen. Les stands de restauration ont ainsi été limités et les emplacements principalement réservés à la vente de poteries et d’objets en céramique ou d’artisanat d’art.

Le Comité Alstad reste cependant ouvert aux idées nouvelles, comme le souligne son président : « Pour l’Éimaischen 2019, nous avons fait réaliser une édition limitée de Peckvillercher en impression 3D par des élèves du Lycée des Arts et Métiers. Nous avons ainsi combiné la production artisanale traditionnelle des Peckvillercher, à base d’argile et glaçure polychrome, avec les technologies actuelles ». Une rencontre fructueuse entre authenticité et innovation. Guy Jourdain estime que ces nouvelles techniques de production permettent de relancer et d’assurer la stabilité de ce patrimoine culturel. La popularité de la fête des potiers ne semble en effet pas faiblir, attirant chaque année entre huit et neuf mille visiteurs dont un quart de touristes environ.

La conférence sur l’Éimaischen prévue en 2021 dans le cadre du 25e anniversaire de l’inscription de la vieille ville de Luxembourg sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco avait été remplacée par une visioconférence pour cause de pandémie. La conférence en luxembourgeois que le président du Comité Alstad avait préparée avec son secrétaire Claude Esch sur l’histoire de l’Éimaischen a été finalement diffusée en vidéo et agrémentée d’extraits du poème d’Emmeis’chen de Jean Henri Wachthausen ainsi que de vidéos d’archives de 1937. Mais Jourdain ne veut pas en rester là : « Il y a un an, j’ai approfondi mes recherches sur les relations entre cette fête et le village de potiers qu’est Nospelt ». Le résultat sortira sous forme de livre illustré vers mi-septembre 2023 en langue allemande. « Le but est de présenter l’histoire de cet héritage à un public très large » explique Guy Jourdain. Une présentation du livre aura lieu le 30 septembre dans le cadre des Journées du patrimoine immatériel. Inscrite dans la continuité, la fête de l’Éimaischen, est sans cesse réinventée. C’est pourquoi le patrimoine culturel immatériel est aussi qualifié de « patrimoine vivant ».

Yolène Le Bras
© 2024 d’Lëtzebuerger Land