1 Le réflexe, ou disons l’habitude si vite prise, n’est pas condamnable ; à condition que l’on sache faire le tri, car autrement il y a de quoi se perdre dans le fouillis d’informations, tous temps confondus, sans distinction de qualité, inscrit d’un coup sur l’écran de l’ordinateur. Arts et culture en Luxembourg, et vous aurez de suite deux images de Manou Walesch, qui datent de l’époque où elle s’était tournée vers l’art dramatique, vers la scène d’opéra, elle était engagée comme soliste au Saarländisches Staatstheater Saarbrücken, de 2002 à 2005. À l’époque elle terminait aussi avec succès ses études à la Hochschule de la même ville : Künstlerische Diplomprüfung im Fach Gesang, et Konzertreifeprüfung (ah, ces dénominations bien allemandes).
La voici donc d’une part, robe bleue scintillante, aux manches longues fleuries, et le bras droit tendu énergiquement, dans le rôle d’Alisa, la confidente de Lucia, dans l’histoire d’amour et de rivalités entre familles de Donizetti ; impuissante contre la folie de sa maîtresse (et quelle chance pour l’air de soprano coloratura du troisième acte). D’autre part, chose plus réjouissante quand même, elle porte le smoking, vaillant prince Orlofsky, invitant au bal, et chacun à son goût, de la Chauve-Souris, de Johann Strauss.
Des instantanés, si l’on veut, avec leur contraste, et une idée de la palette, dans le registre vocal pour alto, de l’expressivité de Manou Walesch. Son répertoire s’avère bien sûr beaucoup plus large, avec entre autres, Gluck, Mozart, Massenet, Offenbach, Janacek, Luigi Nono, j’en passe. Mais je n’oublierai pas Wagner, où dans la mise en scène de John Dew du Vaisseau fantôme, elle a été une nouvelle fois toute proche de l’héroïne, en Frau Mary, avec trop d’autorité toutefois sur les tisseuses y compris Senta pour être une confidente ; n’est-elle pas même tant soit peu responsable des lubies de Senta et partant de son sort, impitoyable comme pour presque toutes les femmes dans l’opéra du dix-neuvième. Toujours avec Wagner, Manou Walesch, en février 2006, a été demi-finaliste au cinquième concours international pour voix wagnériennes ; cela se passait à Venise, ville où le compositeur est mort, à la Fenice, reconstruite après son incendie.
La critique a toujours salué sa prestance, et pour la voix, un timbre chaleureux et grave ; et pourtant Manou Walesch a décidé de tourner le dos à une carrière de Sängerdarstellerin. Pour aller résolument vers le lied, vers la mélodie, des genres qui se caractérisent par leur brièveté, et par conséquent peut-être par une plus grande intimité, et un maximum de concentration. De l’intensité au bout, produite par les seuls moyens de la voix et de son accompagnement, avec des possibilités de modeler quasi infinies, et des couleurs qu’il s’agit alors de faire briller de tout leur éclat. Pour ces dernières, Manou Walesch reconnaît volontiers un penchant pour les mélodies, la langue française, avec l’attrait de sa richesse, de construction, de signification.
Mais la palette n’est pas moins attrayante dans le romantisme (allemand), dans ceux des compositeurs qui ont poussé jusqu’à l’exacerbation inventions et orientations tonales. Et l’année 2011 rendra particulièrement hommage à Gustav Mahler, un spectacle s’annonce déjà, construit autour de telles lettres du Viennois, de tels lieder. Avec le soutien du piano, il faudra alors conjuguer expressions dramatiques et vocales, musicales. La technique est là, donnée indispensable, il faut en tirer le meilleur parti possible.
2 La chose ne peut pas étonner, Manou Walesch, au plus jeune âge, s’est pour ainsi dire retrouvée déjà en musique ; encore fallait-il après, à un carrefour où la décision était des plus difficiles : cours de solfège bien entendu, cours de piano, de saxophone, de ballet, de percussion, opter pour la bonne voie. Celle où l’on ira le plus loin, celle aussi où la satisfaction sera la plus grande.
Une professeure de solfège oriente vers le chant, elle a reconnu d’emblée les possibilités de l’élève. Suivent des cours à Luxembourg (Georges Backes, Carmen Welter-Jander), à Trèves (Monica Spross), et à Saarbrücken (Yaron Windmüller). Et tant de masterclasses de prendre la relève, notamment avec Christa Ludwig, Irwin Gage, Ingrid Bjöner… en même temps qu’un travail continu, à Paris, avec Yva Barthélémy.
Une formation, de façon générale, et pour la voix ce n’est que plus vrai, avec un répertoire toujours changeant, grandissant, cela n’en finit jamais. Même si c’est dur des fois de la mener de pair avec une occupation plus terre à terre, un gagne-pain. Le bonheur est autre quand il s’agit à son tour de passer le relais, de transmettre au moins l’amour de la musique, et Manou Walesch dit tout le bonheur qu’elle tire des cours d’initiation qu’elle donne, bonheur de se trouver face à une quinzaine d’élèves. Un bonheur différent, égal pourtant à celui face à un auditoire qui a été gagné, séduit, un soir de récital ou de concert.
3 « Ach, wer heilet den Schmerz/ dess, dem Balsam zu Gift ward ? » Comment se fait-il que la musique, et le chant en premier, semblent faits pour exprimer nos peines, nos douleurs plutôt qu’autre chose ? Une propension toute naturelle de l’homme ? D’aucuns diront que c’est déjà une manière de les dépasser justement, de se consoler, une sorte de thérapie. Les deux vers en question sont de Goethe, extraits de Harzreise, et ont servi à Brahms pour son Alt-Rhapsodie, pièce maîtresse du registre vocal. Et personne ne se lassera jamais de l’écouter, avec Kathleen Ferrier, on ne ressent alors plus que de la félicité.
La même Ferrier, dans la quatrième mouvement de la Symphonie no 2 de Gustav Mahler ; cela s’appelle Urlicht, et c’est toujours la même calamité : « Der Mensch liegt in grösster Not ! Der Mensch liegt in grosser Pein ! » Gageons que pour Manou Walesch, pour tout alto, pareilles pièces tiennent de bien autre chose que de la simple interprétation, aussi virtuose soit-elle ; on ne peut aller plus profond, et il est alors dans l’exercice de l’exécutant du dévouement, de la dignité.