Cet été, pendant les quelques semaines où une partie de la population fuit le climat pluvieux et morose du petit pays pour des contrées plus clémentes, la compagnie de théâtre Independent Little Lies fête ses quinze ans. Pour l’occasion, ILL organise un festival de théâtre prolongé assez hors du commun : Summerdreams. Il s’agit de cinq textes a priori non prévus pour le théâtre, cinq mises en espace pluridisciplinaires, ayant lieu à des endroits inhabituels, cinq esquisses de pièces qui trouveront peut-être un jour une suite. Summerdreams se veut donc moins, comme le sont souvent ces célébrations, une rétrospective, un rappel de choses accomplies, mais une perspective, un regard tourné vers l’avant.
Deux des cinq mises en espaces ont déjà eu lieu : Narzissus und Echo, un collage de textes autour du célèbre mythe d’Ovide, de Linda Bonvini, et The@er – love: (im)-possible, d’Anne Simon, expérimentation en communication : deux personnes dans deux salles différentes se parlaient via webcam. Le public a eu le choix de voir le spectacle depuis l’une ou l’autre salle.
Ce soir, vendredi 13 août à 20 heures, aura lieu, à la bibliothèque de la ville d’Esch, Starting out: Arthur [&] Mary de Claire Thill, un spectacle ayant pour visée de redonner vie aux personnages des manuels scolaires anglais dont plus d’un se souviendra peut-être. Deux mises en espace suivront, Voix de femmes, un collage de textes de femmes sur la femme, de Jill Christophe, le 27 août au Café Diva à Esch, et Draam-kulturlandschaftlëtzebuerg, de Nathalie Ortner, un portrait du paysage culturel luxembourgeois fait par des écrivains, artistes, ou autres personnalités, dont les contributions hétérogènes seront lues, ou jouées, ou mises en musique, le 11 septembre, au Musée de la résistance à Esch. Ces soirées, gratuites, ont lieu dans la convivialité, autour d’un verre, et jusqu’à présent, le public a répondu à l’appel.
Notons que ces spectacles sont réalisés exclusivement par de jeunes artistes (que des femmes d’ailleurs), dont certains sont à leur premier travail de mise en scène. Et c’est exactement cela ILL, me dit-on : moins une compagnie de théâtre, qu’une plateforme permettant à de jeunes créateurs pleins d’énergie de monter des projets, de présenter des textes innovants. Nous voilà au cœur de la discussion : où exactement se situe ILL dans le milieu du théâtre luxembourgeois ? Car ce qui commença, il y a quinze ans, par une petite troupe de théâtre au Lycée Hubert Clement d’Esch, et la mise en scène d’une pièce de Dirk Gindt (Der Beste Tag), est entre-temps devenu une grande équipe, « avec sa vieille garde (Marc Baum et Claire Thill sont tous les deux des membres fondateurs), me dit Fabienne Lentz, membre du comité de ILL depuis 2004, et avec ses jeunes artistes motivés, comme Anne Simon (qui peut, chez ILL, profiter de libertés qu’elle n’a peut-être pas ailleurs) ou Jill Christophe. »
Il serait donc faux de comparer ILL à une petite troupe d’amateurs de théâtre dont les membres exercent tous un « travail stable » à côté de leur hobby. Les acteurs et metteurs en scène dont ILL est composé le sont souvent à plein temps, et se démarquent par leur formation et leur professionnalisme. Exemple : Claire Thill était élève de l’International School of Theatre Philippe Gaulier à Londres et à Paris. Et « à part le travail plus ou moins administratif du comité, il n’y a pas de bénévolat chez nous, explique Geneviève Hengen, qui fait partie dudit comité depuis quatre ans, toutes les productions sont payées. Et pourtant, nous n’avons pas de bureau, rien qu’une boîte postale à Esch. Nous dépendons des budgets que le ministère de la Culture nous accorde. »
Et voilà le hic : le théâtre de ILL est souvent politique, sombre, dérangeant. Comme le dit leur site internet : « Actuellement, ILL est une bande de terroristes désireuse de secouer une société luxembourgeoise qui semble somnoler en se laissant mettre à l’étroit chaque jour un peu plus ». Citons comme exemple les productions Mercury Fur (Johannes Maile, une co-production avec le théâtre WUK de Vienne) en 2007 et Die Terroristen (Marc Baum) en 2008, deux pièces qui décrivent un monde violent, des personnages fêlés, qui dénoncent la ploutocratie et le pouvoir absolu des médias. La critique sociale, la révolte contre un certain ordre établi est un sujet omniprésent. Il n’est pas étonnant d’apprendre que des conflits idéologiques ont déjà opposé ILL et ledit ministère, qui a parfois fait comprendre que le théâtre devrait être un peu plus « divertissement » et un peu moins « miroir de la société ». Un problème vieux comme la littérature elle-même. « Il est clair que si on nous accorde un grand budget pour un projet, comme Die Terroristen, la pression du côté officiel est tout à fait autre. Mais ILL n’est pas déi Lenk, attention à la confusion, » dit Fabienne Lentz.
L’originalité d’une compagnie comme ILL – qui la démarque du théâtre officiel – réside probablement dans exactement cela : le travail de contestation, de plus en plus important dans une société où la berlusconisation ne fait que progresser. Il y a, de tous temps, eu des chiens de garde du pouvoir officiel, des Virgiles, et il s’est, quelques fois, trouvé des rebelles que tout amaigrissait, des sophistes, des rhéteurs, des Ovides. Independent Little Lies font partie de ceux-ci.