Le monde des guides de voyage est bousculé par les nouveaux usages. Mais le Luxembourg garde une place chez les éditeurs internationaux

Le tour du Luxembourg en 200 pages

Incontournable, le château de Vianden figure dans tous les guides
Photo: Olivier Halmes
d'Lëtzebuerger Land du 18.08.2023

Dès la fin du Moyen Âge, les itinéraires de pèlerinages ont fait l’objet de petits livres imprimés contenant des informations pratiques sur les distances entre les villes, les moyens de transport, les auberges, les monnaies, la législation, le vocabulaire de base dans la langue locale ou des descriptions de lieux remarquables. Les premiers guides touristiques, tels que nous les connaissons aujourd’hui sont apparus en Allemagne. L’éditeur Heinrich August Ottokar Reichard se base sur ses voyages en Allemagne, en Suisse et en Italie pour rédiger le Guide des voyageurs en Europe qui paraît en 1793. Suivront les guides Rheinreise de Karl Baedeker en 1828 et les guides Murray en Grande-Bretagne à partir de 1836. John Murray lance l’idée de collection, couvrant peu à peu toute l’Europe, et il est rapidement copié par les autres éditeurs. Ainsi en France, les guides Richard développent une cinquantaine de titres jusqu’au rachat par la maison Hachette en 1855, relate Hélène Morlier, historienne des guides de voyage (Les Guides Joanne : invention d’une collection, 2011). Cette maison est toujours le plus gros éditeur de guides en France. « Louis Hachette flaire l’intérêt des chemins de fer et demande aux directeurs de compagnies d’établir des kiosques de vente dans les gares. Il y vendra sa collection de Bibliothèque de chemins de fer », décrit-elle. Avec le développement de l’automobile, Michelin bouscule le marché du guide avec des itinéraires de routes, quelques indications touristiques et des hôtels. « Dans les années 1950, les guides Michelin se développent en donnant des références à des prix abordables. Hachette, son concurrent s’adresse, avec les Guides bleus, organes culturels de référence, à un public riche qui fait des croisières, prend l’avion et qui a les moyens de partir longtemps », ajoute l’historienne. Nouvelle étape qui suit la démocratisation des voyages, le Guide du Routard est lancé en 1973, la même année que l’australien Lonely Planet. Deux collections qui s’adressent à une clientèle plus jeune, pas très fortunée et qui recherche des « bons plans » et des informations insolites.

Les nombreuses évolutions liées au numérique, à l’internet ou aux réseaux sociaux – guides en ligne, forums spécialisés, sites de recommandation, blogs d’influenceurs... – ont bouleversé le marché. Les éditeurs ont souffert de cette concurrence (et des mois sans voyages pendant la pandémie), mais les guides imprimés gardent une aura et réputation de professionnalisme et de déontologie. Depuis un demi-siècle, les guides ont assez peu changé. Les rubriques, les types d’informations données, les étoiles pour signaler les objets dignes d’attention, les cartes et les plans évoluent peu. Mais l’image des pays se transforme. Cela se confirme en observant la diversité des guides qui s’intéressent au Luxembourg et la manière dont le pays y est perçu et présenté. Dans le guide de l’exposition Greetings from Luxembourg, au City Museum en 2008, Guy Thewes rappelle que le Luxembourg était jugé inhospitalier, « réputé pour ses mauvais chemins et ses forêts impénétrables » jusqu’au début du 19e siècle. Avec l’essor du mouvement romantique, la nature sauvage cesse d’être « affreuse » et devient « sublime » et « pittoresque ». En 1825, paraît chez Jobard à Bruxelles le premier ouvrage contenant des vues des châteaux et ruines du Grand-Duché : Voyage pittoresque dans le Royaume des Pays-Bas de Jean-Joseph de Cloet et de l’illustrateur Jean-Baptiste Madou. D’autres ouvrages, généralement édités en Belgique, suivent : Itinéraire du Luxembourg Germanique en 1844, Les Ardennes en 1854 ou encore Guide du voyageur en Ardenne en 1857. Marquée par la peu aimable forteresse, la capitale n’est pas ou peu visitée. Le tourisme se développe d’abord dans les Ardennes et au Mullerthal. Ainsi, un guide touristique continue d’affirmer en 1885 qu’« à part son site pittoresque, Luxembourg offre peu d’intérêt pour le voyageur ».

La construction des réseaux de chemins de fer, rend l’accès au pays plus aisé. Parallèlement, le tourisme thermal commence au milieu du 19e siècle à Mondorf, alors que les lords britanniques se bousculent au bord de la Sûre pour pratiquer la pêche. Vers 1855, le jeune Alexis Heck reprend l’auberge paternelle pour la transformer en un établissement de premier ordre, l’Hôtel des Ardennes à Diekirch. Il sera largement cité dans les guides de l’époque. Le Guide Baedeker Belgique et Hollande y compris le Luxembourg lui attribue le signe distinctif d’un astérisque. En 1905, le Guide Joanne Grand-Duché de Luxembourg, Oesling, Massif des Erenz, dresse une liste exhaustive des équipements de l’hôtel y compris une « chambre noire aménagée pour les photographes amateurs, une chasse gardée pour les pensionnaires ou deux bibliothèques avec des livres français, allemands et anglais ».

Les guides touristiques internationaux consacrés au Luxembourg ne sont donc pas récents. Cependant, pendant très longtemps, le Grand-Duché était toujours traité dans le même ouvrage que la Belgique. C’est d’ailleurs encore le cas pour plusieurs éditions récentes comme Lonely Planet, The Rough Guide ou le richement illustré Dorling Kindersley. Le premier Guide Michelin Belgique-Luxembourg paraît en 1934, il faudra attendre 2012 pour que le Grand-Duché soit traité à part. D’autres regroupements régionaux comprennent aussi le Luxembourg. L’éditeur allemand Reise Know-How rassemble Saar-Lor-Lux, le Guide du Routard a proposé un éphémère Ardenne : France-Belgique-Luxembourg, Dumont a joué la carte du QuattroPole (en français) avec un guide Quatre villes : Luxembourg, Metz, Sarrebruck Trèves. L’automobile-Club allemand Adac s’est concentré sur la Moselle de part et d’autre, englobant la rive luxembourgeoise.

Le premier à avoir mis le Luxembourg seul à l’honneur, est l’éditeur français Le Petit Futé. En novembre 1991 sortait le City Guide Luxembourg. Alors qu’il était installé à Bruxelles, Mike Koedinger qui n’était pas encore le fondateur de Maison Moderne ou l’éditeur de Paperjam, commence à travailler pour l’édition belge du guide. La marque lui propose ensuite de créer un guide sur la ville de Luxembourg et il se lance. « J’étais chef d’édition en tant que freelance, avec les responsabilités de la rédaction en chef, de la régie publicitaire, de la promotion et de la diffusion. Une grosse prise de risque alors que je n’avais même pas 25 ans », rembobine-t-il. Vendu 300 francs luxembourgeois, cette première édition brassait des adresses aussi variées que des restaurants (dont les notices étaient rédigées par Claude Neu), des salons de beauté, des commerces de bouche, des concessionnaires automobiles, des bars et des lieux de culture, le tout, uniquement en Ville. Après une soirée de lancement en grande pompe au Brummel’s, haut lieu des nuits de la capitale de l’époque, les 3 000 exemplaires diffusés par MPK sont vendus comme des petits pains. « À l’époque, les médias traditionnels ne s’intéressaient pas au lifestyle, il n’y avait pas de guide de ce genre. Ce sont les Luxembourgeois qui se sont précipités dessus, plus que les touristes. » Mike Koedinger appliquait déjà la recette qu’il poursuivra dans ses publications suivantes : Des mises en avant payantes proposées aux établissements sélectionnés, un partenariat avec RTL pour une visibilité maximale, une rédaction « insider » bien informée qui ose la critique. Malgré le succès commercial, après trois années de collaboration, l’éditeur n’a pas voulu donner plus de moyens pour rendre le guide plus attractif avec du design, des couleurs et des photos. « Une chance pour moi, j’ai créé Explorator », se félicite encore Koedinger.

Aujourd’hui, s’il a ajouté des couleurs, des cartes et des photos, Le Petit Futé travaille toujours de la même façon. « Nous essayons toujours de collaborer avec des auteurs locaux ou qui connaissent bien le pays », explique Stéphan Szeremeta, directeur éditorial des guides. L’auteure principale du guide depuis quatre éditions, Soline de Groeve vit à Liège. À en croire la page Instagram de cette journaliste et photographe indépendante, son séjour au Luxembourg remonte à trois ans. « Cela n’empêche pas de vérifier toutes les adresses à chaque édition», justifie le directeur éditorial. On confirme d’ailleurs que des établissements nouveaux figurent bien dans le guide. Même si un voyage récent aurait évité certaines imprécisions, sur le point info du tram par exemple. Stéphan Szeremeta détaille qu’un quart des textes sont renouvelés chaque année et que la sélection n’est jamais orientée par les annonces publicitaires. « Il en va de la crédibilité à long terme, les lecteurs sont vigilants. La valorisation commerciale n’est pas liée à la rédaction, mais permet de maintenir un prix bas. » Si les premières éditions étaient concentrées sur la capitale, désormais le guide s’intéresse à tout le pays. Il comprend un grand nombre d’adresses pour un large public. Par exemple, en matière de restaurants, le très gastronomique Les Jardins d’Anaïs côtoie la pizzeria Il Fragolino ou les sandwiches de Charles. « Ce n’est pas une sélection pointue pour connaisseurs, mais un panorama vaste de ce qui existe. » Il ajoute qu’il faut remplir les 300 pages du guide, ce qui élargit forcément le nombre d’adresses citées.

Les auteurs du Guide Vert édité par Michelin, dans la collection Week&Go, ne vivent pas non plus au Luxembourg. Ce sont des spécialistes des voyages et du tourisme qui sont dépêchés un peu partout dans le monde. L’actualisation des informations est réalisée à distance. Les pages d’adresses sont beaucoup plus réduites (le guide est aussi plus petit, 150 pages) et un peu plus haut de gamme que dans Le Petit Futé. Comme dans le Guide Rouge de restaurants, les étoiles sont de mise : une étoile veut dire « Intéressant », deux « Mérite un détour », trois, « Vaut le voyage ». Très centré sur la capitale, le guide donne la note supérieure au Mudam et au Circuit Vauban.

Du côté des guides allemands, les auteurs sont plus proches du Luxembourg. Susanne Jaspers, fondatrice de la maison d’édition Capybarabooks a revu et réécrit le guide Marco Polo pour l’édition 2021. Elle vit au Luxembourg depuis de nombreuses années et a également conçu des guides pour sa propre maison d’édition. Marco Polo voulait rajeunir son style, avec plus de storytelling, une mise en page plus contemporaine et le tutoiement des lecteurs. « Le ton était plus léger, voire provocateur », se souvient-elle un citant la polémique quand elle a qualifié Esch de « ruppiges Proletennest ». Les élus eschois n’avaient pas manqué de transformer ce bad buzz en campagne de communication et le guide s’assurait une belle couverture médiatique. Quant à l’auteur du guide Dumont, Reinhard Tiburzy, il se présente comme explorant le Luxembourg depuis vingt ans. Sa sélection est plutôt pointue avec des adresses qui ne sont pas réputées touristiques. Il cite par exemple le tout petit Nirvana Café, indien et végane, ou le Chalon de Thé.

Tous ces guides commencent par des sélections des « incontournables » ou « Top 10 ». Le château de Vianden, The Family of Man ou les fortifications de la Vieille Ville sont forcément cités par tous. Le Fonds-de-Gras a les faveurs du Petit Futé, Le Parc Merveilleux est mis en avant par le Dumont, quand le Michelin pointe l’architecture du Kirchberg.

La vente des guides touristiques connaît évidemment « un pic en été, mais on en vend toute l’année », explique Raphaël Genet, chez Ernster dans le centre-ville. Il considère que les Luxembourgeois sont eux-mêmes clients des guides et livres autour de leur pays. Genet constate que Le Petit Futé est le plus acheté, avec une cinquantaine d’exemplaires écoulés sur les deux derniers mois, contre une dizaine de Marco Polo. Il observe aussi une série de nouveautés éditoriales « de niche », avec des guides spécialisés en randonnée ou en cyclotourisme ou encore pour découvrir le Luxembourg avec des enfants.

Côté anglophone, paraîtra dans un an une cinquième et nouvelle édition du guide Bradt, « the only comprehensive, English-language guidebook to focus exclusively on this small but fascinating European country, where public transport is now entirely free. » Reste que les guides les plus branchés, les plus exclusifs comme ceux de Louis Vuitton, de Wallpaper ou de Monocle snobent encore allègrement le Luxembourg.

France Clarinval
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