L’exposition Born to be wild ? au musée de la Ville de Luxembourg ne donne ni chaud ni froid, c’est une petite récapitulation sympathique de ce qui occupe et préoccupe les jeunes depuis des décennies au Luxembourg : fêter, sortir en boîte, l’amour, la sexualité, la drogue, la violence, les tenues vestimentaires, les problèmes de poids, l’engagement politique avec les manifestations contre les centrales nucléaires et pour la paix dans le monde. Du député libéral Xavier Bettel, on apprendra qu’il aimait les chansons de Bananarama et Vamos a la playa et on pourra feuilleter un échantillon plastifié des bons conseils du Dr Sommer, publiés par le magazine allemand Bravo, qui fut la littérature de référence pour nombre de jeunes en matière d’éducation sexuelle – au Luxembourg aussi. Les anciennes diapositives du Planning Familial et des extraits sonores d’interviews de la docteure Molitor-Peffer, la pionnière en la matière au grand-duché, y trouvent aussi leur place.
En fait, rien n’a changé fondamentalement. Les rebelles en veste de cuir et en santiags d’antan votent aujourd’hui à droite, les jeunes filles proprettes des années cinquante ont, elles aussi, été filmées la cigarette à la main. Le changement n’est qu’extérieur et l’énigme fondamentale demeure entière : si chacun a traversé cette période, pourquoi n’est-on pas capable de permettre à la jeune génération de la vivre mieux ? Peut-être est-ce un problème d’amnésie collective concernant une époque dont aucun adulte n’a plus envie de se souvenir. Ou alors avec une nostalgie éclipsant les mauvais moments à passer.
Car le bien-être des jeunes est loin d’être garanti, même dans un pays où ils disposent de tout le confort matériel imaginable. Au contraire, « les enfants et les jeunes sont confrontés à des charges et des risques spécifiques dus aux caractéristiques ambivalents de notre époque »1 et la manière dont ils sont capables de porter ce fardeau dépendra des ressources personnelles dont ils disposent. Ce bagage est constitué par le milieu social dans lequel ils vivent, leur relation avec la famille, les liens entre amis, les habitudes alimentaires et sportives, leur état de santé et la manière dont ils se perçoivent eux-mêmes. Ces facteurs sont décisifs et influencent leurs comportements au moment où ils seront confrontés à la drogue, l’alcool, les cigarettes et la manière dont ils seront capables de maîtriser des moments difficiles de dépression ou de violence – dirigée contre d’autres ou contre eux-mêmes. Car le taux de suicide des jeunes entre quinze et 29 ans est depuis vingt ans supérieur à la moyenne en Europe et touche surtout les garçons. Les accidents mortels de la route sont aussi au-dessus de la moyenne européenne.
Qu’est-ce qui pousse donc les jeunes à se suicider, à s’automutiler, à mettre leur vie en péril ? Les statistiques au Luxembourg sont toujours lacunaires et la politique de publication des données est très en retard. Ainsi, des chiffres nationaux de 2006 ne sont toujours pas accessibles, bien qu’ils aient été fournis à l’Organisation mondiale de la Santé pour l’étude HBSC2, à laquelle 41 pays participent régulièrement. Le mois dernier, une nouvelle enquête a été réalisée auprès de quelque 4 500 élèves luxembourgeois de onze, treize et quinze ans, dont les donnés sont en train d’être saisies. Les premiers résultats sont attendus fin 2010 – pour autant que les autorités donneront le feu vert cette fois-ci pour les ouvrir au public.
Ce qui rend cette étude HBSC intéressante, c’est la mise en relation des données avec les autres pays et aussi avec la situation socio-économique des familles, leur situation matérielle mesurée par la possession de voitures, d’ordinateurs, l’espace de leur logement et les vacances. Le Luxembourg se situe ici en quatrième position, derrière l’Islande, la Norvège et l’Angleterre. En règle générale, les enfants issus des milieux pauvres ont plus de mal à pouvoir compter sur le soutien familial et social qui puisse les aider à sortir d’une situation de crise et à s’épanouir.
La communication avec les parents est considérée comme un des indices majeurs pour le bien-être de l’enfant, pour son développement mental et l’aptitude de se forger des relations. La connection avec les parents est aussi un important soutien pendant la période difficile de l’adolescence, un bouclier contre les risques de dépression, la consommation d’alcool ou de cigarettes, le recours à la violence. Une évidence pas aussi évidente que cela, car le Luxembourg est en triste position en ce qui concerne le dialogue entre les parents et leurs enfants. Il est même en avant-dernière position en ce qui concerne la communication entre les jeunes de quinze ans et leurs pères. Cette relation s’améliore lorsqu’on tient compte de la situation socio-économique des familles. Les jeunes issus de familles moins aisées auraient donc peu de chances de pouvoir se confier à leurs proches.
Mais même avec l’extérieur, les relations restent plutôt pauvres en comparaison avec les autres pays. Dès le début de l’adolescence, les jeunes passent de plus en plus de temps avec leurs amis. Or, les élèves luxembourgeois ont l’air plus timides et se retrouvent en queue de peloton lorsqu’il s’agit de répondre à la question de savoir s’ils passent au moins quatre soirées avec leurs copains. D’un côté, ils sont bien sûr moins exposés à des tentations malsaines comme la consommation de drogues entre amis par exemple. De l’autre, ces relations permettent avant tout de développer des liens précieux, de participer à des activités sportives et à s’engager dans un club de jeunes. Ces résultats semblent confirmer l’image des Luxembourgeois qui sont souvent perçus de l’extérieur comme distants, repliés sur eux-mêmes, centrés sur le cocon familial.
Il y a sans doute une corrélation entre cette « frilosité » et le fait qu’avec l’âge, les jeunes ont tendance à moins pratiquer de sport – leur taux d’activité physique se situe même souvent en-dessous de la moyenne de celui prescrit par l’Organisation mondiale de la Santé. C’est un phénomène particulièrement flagrant pour les jeunes filles3. Peut-être que l’offre ne correspond pas à la demande, qu’à un certain âge, elles ne sont plus aussi intéressées à pratiquer un sport de haut niveau où la pression est grande pour constamment améliorer leurs performances. C’est souvent ça ou rien.
En matière de surpoids et d’obésité, le Luxembourg se situe dans la moyenne, mais le nombre de jeunes qui se trouvent trop gros est particulièrement préoccupant. Le grand-duché se situe ici en deuxième place pour les groupes de onze et treize ans et en quatrième pour les jeunes de quinze ans. Il s’agit de la perception subjective du jeune de son corps, indépendamment du fait qu’il ait un surpoids ou non. Il n’est donc pas étonnant que quinze pour cent des enfants de onze ans ont affirmé qu’ils faisaient déjà attention à ce qu’ils mangeaient. Les régimes et les efforts pour perdre du poids font partie de la vie quotidienne de beaucoup de jeunes filles dès treize ans. Dépressions, maux psychosomatiques et des habitudes alimentaires malsaines sont les risques encourus. Car en règle générale, les jeunes obèses qui trouvent quand même qu’ils pèsent « juste ce qu’il faut » ont une qualité de vie nettement supérieure à ceux dont c’est l’inverse – les maigres qui se trouvent trop gros.
À côté du phénomène de l’obésité, on peut observer une recrudescence des maladies chroniques chez les jeunes qui affectent bien-sûr leur qualité de vie. Au Luxembourg, on part du principe que dix pour cent des jeunes sont touchés par une maladie chronique comme l’asthme, le diabète, des maladies cardiaques ou musculaires. Les allergies touchent de plus en plus d’enfants dans nos régions. Les experts médicaux pensent qu’elles sont souvent dues à un système immunitaire déficitaire, trop peu stimulé, à des nuisances environnementales ou à certains modes de vie. 23 pour cent des enfants et des jeunes luxembourgeois sont allergiques.
Un autre indice qui montre si le jeune se sent bien dans sa peau concerne l’école. Est-ce qu’il y va de gaieté de cœur ou est-ce qu’il s’agit d’une corvée ? C’est une question cruciale, car l’école a une grande influence sur l’estime de soi, la perception de soi-même, des comportements qui influencent le bien-être de l’élève et son degré de satisfaction en général. La pression et le stress ne sont pas uniquement liés à la constitution personnelle des jeunes. Les élèves luxembourgeois se situent plus ou moins dans la moyenne, avec même des résultats plus favorables pour les enfants de onze ans.
Or, c’est là et dans la famille qu’ils sont le plus souvent confrontés à la violence. À côté des rixes dans les cours d’école, le « bullying » est particulièrement répandu et résulte d’un déséquilibre des rapports de force. Ce sont des agressions physiques ou verbales, le mobbing en est une des formes très connues, où la victime devient incapable de se défendre, un engrenage pouvant mener à des dépressions, l’anxiété jusqu’au suicide. Elle a de moins bons résultats, une image médiocre d’elle-même et des difficultés à nouer des relations amicales. Solitude, symptômes psychosomatiques et la consommation de substances illicites en sont les conséquences. Le Luxembourg n’est pas épargné par ce phénomène. Il compte un peu plus de victimes que la moyenne, et se trouve nettement au-dessus de la moyenne en ce qui concerne les agresseurs parmi les élèves de quinze ans : dix pour cent des filles et 24 pour cent des garçons ont reconnu avoir harcelé leurs collègues au moins deux fois pendant les mois qui ont précédé l’enquête. La moyenne des 41 pays est de sept pour cent pour les filles et seize pour cent pour les garçons de quinze ans. Le statut socio-économique de la famille n’est pas un facteur déterminant pour ce genre de comportement. La violence est un phénomène répandu, indépendamment de l’origine sociale du jeune.
Derrière ces indices – pour autant que les autorités veuillent bien les publier – se cachent des réalités que les politiques de la jeunesse, de la santé et de l’éducation peuvent sans doute redresser en partie. Mais l’enseignement à en tirer est le rôle central des parents qui n’en sont pas toujours conscients, leur disponibilité et la qualité de communication avec leurs enfants et adolescents.