« Le gouvernement a décidé de changer le cours des choses, » avait lancé le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) lors de la déclaration sur l’état de la nation le 5 mai. « Non pas radicalement. Mais avec suffisamment d’énergie pour que ceux qui viendront après nous ne soient pas écrasés par le poids des erreurs que nous commettons aujourd’hui par légèreté et par égoïsme générationnel. » Deux mois plus tard, le Luxembourg s’attend à un automne chaud, parce qu’à la rentrée, le système d’indexation automatique des salaires saura à quelle sauce il sera mangé.
Dans l’intervalle, les étudiants auront de quoi se réjouir : à la prochaine rentrée, les effets du nouveau système d’aides aux études supérieures se feront ressentir – le ministre de l’Enseignement supérieur François Biltgen (CSV) avait promis aux étudiants un avenir meilleur, les syndicats prédisent une diminution du pouvoir d’achat aux familles les moins bien loties. Les frontaliers n’auront, eux, que leurs yeux pour pleurer.
Autre « changement du cours des choses » annoncé par le gouvernement : les salaires de base de la fonction publique seront revus à la baisse. Les jeunes intéressés à suivre une carrière dans le public seront donc dès le départ moins bien lotis que leurs prédécesseurs. Or, dans un curriculum « normal », c’est justement pendant ces années-là que les jeunes ont besoin d’argent pour s’établir et fonder un foyer. Surtout au grand-duché, où certains sont obligés de prendre un crédit faramineux pour s’offrir un logement, allant sur quarante ans et plus, hypothéquant même les générations à venir. Si le gouvernement peut le faire, pourquoi pas les particuliers, dira-t-on – cette année, la dette publique s’élève à 7,2 milliards d’euros. Ou bien ils vont s’établir de l’autre côté des frontières luxembourgeoises, où leurs enfants n’auront plus droit ni aux chèques-service, ni aux aides pour étudiants.
« Personne ne sera chassé du paradis, » avait encore assuré Jean-Claude Juncker dernièrement. Et d’annoncer la suppression des bonifications d’intérêts liés à l’achat de logements pour les familles avec enfants et l’adaptation du crédit d’impôt sur les actes notariaux pour les revenus faibles – le bëllegen Akt était réservé à la première acquisition d’un logement et son abolition partielle touche donc maintenant davantage les jeunes ménages. S’il est vrai que ces mesures n’ont pas aidé à freiner les effets de la spéculation foncière et à éviter la flambée des prix de l’immobilier, il est surprenant que le gouvernement ne mette pas davantage en doute sa propre politique du logement dans son ensemble. Quoiqu’il en soit, ni le « mea culpa » du Premier ministre d’il y a quelques années, ni le pacte logement n’ont aidé à changer – jusqu’à présent – la situation dramatique sur le marché du logement, qui continue à miner l’avenir des jeunes générations.
Selon une étude du Ceps/Instead, parue en début du mois sur la pauvreté des enfants au Luxembourg, cinq pour cent des enfants résidant au Luxembourg vivent dans une situation de surpeuplement. « Ce résultat est d’importance dès lors que le manque d’espace que représente une situation de surpeuplement peut avoir des répercussions importantes sur les autres domaines de la vie et notamment sur les performances scolaires des enfants, » écrivent les chercheurs du Ceps. La proportion du revenu disponible investi dans le logement est plus important pour les ménages à faible revenu, ce qui est une des explications pourquoi le Luxembourg a un risque de pauvreté très élevé par rapport aux autres pays. « En termes de taux de pauvreté des enfants, la situation du Luxembourg est plus proche de celle du Portugal que de celle des pays voisins, écrivent-ils encore. De plus, elle est « particulière, au sens où le risque de pauvreté monétaire des enfants est nettement plus élevé que le risque encouru par l’ensemble de la population. » Une question de solidarité entre les générations ?
Le Rapport national sur la situation de la jeunesse au Luxembourg présenté la semaine dernière par la ministre de la Famille et de l’Intégration, Marie-Josée Jacobs (CSV) montre bien le lien entre la situation familiale, le milieu d’origine, la santé physique et mentale, la carrière scolaire et les perspectives professionnelles des jeunes. D’une part, des efforts ont été lancés ces dernières années en matière de réformes de l’éducation nationale, des mesures de soutien aux familles comme les chèques-service ou le développement des structures d’accueil. La ministre s’attend aussi à des progrès importants au niveau de l’aide à l’enfance et l’instauratin de l’Office national de l’enfance. Or, ces mesures concernent en premier lieu la petite enfance, les jeunes,en tant que pivot entre les générations, la période de transition entre dépendance et autonomie n’entrent en ligne de mire que lorsque la situation s’annonce problématique. Car la jeune génération est tout spécialement vulnérable face à une crise financière et économique de grande ampleur comme nous la traversons actuellement.
C’est ainsi que le gouvernement avait concentré ses efforts en automne dernier sur le combat contre le chômage des jeunes, en lançant notamment le site www.anelo.lu pour aider les jeunes diplômés à trouver un emploi. Le ministre socialiste du Travail, Nicolas Schmit avait aussi lancé tout un panel d’incitants à l’adresse des employeurs pour qu’ils soient encouragés à embaucher les nouveaux arrivants sur le marché du travail. Le service volontaire d’orientation des jeunes, organisé par le Service national de la jeunesse, est un des modèles de bonne pratique. « Cet exemple montre que tout dépend de la motivation du jeune, » résume Ralph Schroeder, le responsable du département jeunes auprès du ministère de la Famille, « à partir de ce moment-là, il arrive à développer des ressources extraordinaires. » Faire participer au lieu de dicter un comportement semble être la clé du succès et permet de débloquer des situations qui avaient été jugées sans issue à un moment ou un autre.
Le rapport sur la jeunesse, élaboré par l’Université du Luxembourg est le premier de cette envergure. Il donne une image exhaustive de la situation sur quelque 400 pages, rassemblant toutes les données qui ont été prélevées sur les différents sujets qui touchent les jeunes.
Le constat récurrent : un garçon issu d’une famille d’immigrés venant du Portugal, du Cap Vert ou des pays de l’Ex-Yougoslavie est particulièrement défavorisé et vulnérable. Que cela soit au niveau de l’éducation, de la formation et de ses chances sur le marché du travail, des loisirs, de la santé et des comportements à risques. « Nous avons toujours pensé que les manques de l’éducation scolaire étaient palliés par l’apprentissage non-formel, qui a lieu en-dehors de l’enceinte des écoles, explique Ralph Schroeder. Mais l’étude a montré le contraire. Même à ce niveau-là, les disparités sont reproduites. »
L’inégalité des chances commence donc dans le berceau. Et risque de demeurer le fil rouge dans les curriculums. Une fatalité ? « Il ne faut pas oublier que la majorité des jeunes arrive à s’en sortir, ajoute Ralph Schroeder, la plupart trouve sa place dans la société. Mais il faut se rendre compte qu’il devient de plus en plus difficile de fonder une famille et de trouver un logement convenable. Il y a des membres de la société qui ont plus de difficultés que d’autres pour trouver leur place, c’est indéniable. » S’y ajoute que le réseau social et les connaissances privées sont des atouts primordiaux pour réussir.
En automne prochain, le service jeunesse du ministère de la Famille et le groupe interministériel, constitué pour faire un suivi de la situation des jeunes au Luxembourg, compte présenter un plan d’action très concret qui cible justement cette population-là : un « pacte pour la jeunesse ». Marie-Josée Jacobs a déjà annoncé qu’il ne faudra pas s’attendre à la création de nouveaux services. Sur ce point-là, les résultats du rapport lui donnent raison : il existe une multitude d’organisations très fragmentées et déconnectées qui feraient bien de se concerter et de mieux coopérer. Un souhait difficile à réaliser dans le secteur conventionné où la concurrence est parfois rude par souci de garder sa part du gâteau.
On aurait pu s’attendre à une appréciation de certaines mesures de la part des experts de l’Université, mais le rapport ne dresse qu’un sommaire de la situation existante, qui constituera la base scientifique du plan d’action. L’évaluation des différentes initiatives se fera lors d’une prochaine étape, assure Ralph Schroeder.
Dans la note d’introduction, le gouvernement prend d’ailleurs position en assurant que « permettre aux jeunes de s’intégrer, de trouver leur place dans la société ne veut pas dire les obliger à se couler dans un moule prédéfini. La politique de la jeunesse doit ici être empreinte d’un respect intergénérationnel qui donne à chacun les moyens de chercher sa place. Il ne peut s’agir d’un processus de colonisation mentale de la jeune génération par celles qui la précèdent. »
Le gouvernement est donc conscient du danger, car somme toutes, il est surprenant que les jeunes continuent à soutenir le pacte entre les générations, le système de financement des pensions et de la santé qui constitue le fondement de la société, et à en supporter les effets de plus en plus lourds à porter. C’est sans doute parce qu’ils espèrent sortir indemnes de cette phase difficile de la vie, que le gouvernement a promis d’améliorer – ou du moins il a promis de ne pas les mettre en péril. Ils ont droit à une place au soleil.