Paris, Luxembourg, San Francisco, c’est l’itinéraire de Virginie Simon. Après sa thèse en nanotechnologies contre le cancer, la biologiste lance en 2010 la plateforme My Science Work (MSW). Depuis, elle cherche un modèle d’affaires applicable à l’open access. Initialement hébergée par l’incubateur Paris Pionnières, elle passe en 2012 au Luxembourg. Le fonds luxembourgeois Edison capital partners investit ; le gouvernement, grâce au programme de l’aide aux « jeunes entreprises innovantes », double la mise. La start-up a jusqu’ici a réussi à lever 1,89 million d’euros, à part Edison capital, « des entrepreneurs luxembourgeois » et « un couple d’entrepreneurs français », tous devenus actionnaires. Virginie Simon ne veut en dire plus, et préfère évoquer « une histoire de rencontre et de confiance ». La firme emploie huit personnes à temps plein, répartis entre le siège luxembourgeois et les filiales à Paris et, celle, clinquant neuve, à San Francisco où nous avons joint la fondatrice sur son portable français.
Elle est enthousiasmée : « Les locaux de Twitter sont à quelques rues ! C’est un environnement au potentiel colossal, on est aspiré par la dynamique. » Avec le directeur général et co-fondateur Tristan Davaille, Simon a été envoyée ce printemps en Californie passer trois mois chez Plug and Play un accélérateur du Silicon Valley qui héberge plusieurs centaines de start-ups, dans l’espoir d’y tomber sur le « prochain Google ». Après ce séjour subventionné par le gouvernement luxembourgeois, les deux fondateurs de MSW ont quitté la vallée pour s’installer au cœur de la ville, chez un autre incubateur, Rocket Space. Depuis le début du mois, MSW y occupe un petit bureau et espère mettre à profit le carnet d’adresses de son nouveau protecteur. Reste la hantise de voir un concurrent soutenu par un venture capitalist piquer leur idée. Car aux États-Unis, explique Simon, « lorsqu’un venture capitalist flaire un potentiel, les montants investis sont énormément plus conséquents qu’en Europe ».
« Plus les sociétés sont grandes, plus elles auront tendance à établir leur QG dans le Silicon Valley, explique Simon. Les petites start-ups, elles, se retrouvent à San Francisco », où les loyers tournent aux environs de 2 500 dollars pour un vingt mètres carrés. Souvent ces jeunes et dynamiques cadres de Google ou Apple emménagent dans des appartements desquels les anciens habitants viennent d’être expulsés. La faute aux gros salaires versés aux employés des monopolistes d’Internet, « un ingénieur moyen dans le Silicon Valley débute avec 12 000 dollars le mois, plus les primes ».
MSW se fait le chantre de l’open access, c’est-à-dire de l’accès libre et gratuit aux résultats de recherches via Internet. La start-up espère tirer profit de la mise en concurrence des universités entre elles : Pour décrocher les budgets, il faut figurer en haut des classements internationaux, et pour y être parmi les premiers, faire publier un maximum d’articles peer-review (avalisés par un comité de lecteurs anonymes) et se faire citer le plus souvent possible. Et, pour être cité, disent les lobbyistes de l’open access, rien de mieux que de partager ses recherches sur la toile.
Pour affronter ces nouveaux impératifs du rendement académique chiffrable, MSW offre aux instituts de recherche la possibilité de greffer leurs archives sur sa plateforme et compte ainsi se positionner comme carrefour de la production scientifique. Aujourd’hui, le site réunit déjà vingt millions d’articles. Virginie Simon évoque son portail dans des termes très idéalistes. Elle dit vouloir rendre la science « plus accessible en termes de pertinence de recherche, d’aide à la compréhension et d’accès aux publications scientifiques à tous ceux qui n’en ont jamais eu la possibilité. » Elle voit dans l’open access « une libération de la recherche, une révolution scientifique, créatrice d’un nouvel écosystème »
Or, il faudrait rencontrer les discours utopistes des acteurs de l’ICT avec un minimum de précautions. Le champ lexical du Silicon Valley regorge de slogans vagues et ambigus comme « transparence », « ouverture » et « partage » qui souvent servent d’écran de fumée aux intérêts financiers d’une industrie qui n’applique pas à elle-même les remèdes qu’elle prescrit aux autres (notamment au secteur public). Ainsi, alors que tous se méfient – et avec raison – des arguments réchauffés par l’industrie pharmaceutique ou bancaire, ceux servis par le secteur de l’ICT sont le plus souvent béatement acceptés sans examen du business model qui les sous-tend.
Academia.edu s’est positionné dans le même secteur que MSW, celui de la recherche académique, mais dans une approche qui rappelle beaucoup Facebook. Le site regroupe plus de quatorze millions de chercheurs individuels qui y ont établi un profil. Or malgré cette force de traction, Academia.edu peine à trouver un modèle économiquement viable, capable de monétariser ces informations recueillies sur les jeunes académiques, cible favorite des publicitaires. (C’était ce potentiel qui avait initialement poussé Amazon à se lancer dans la vente des livres, pour moissonner un maximum d’informations sur ces clients aisés.) Une piste envisagée serait d’isoler les sujets tendance (trending topics) de la recherche en déterminant quels articles scientifiques trouvent le plus d’écho, et de vendre ces informations aux départements recherche et développement des grands groupes privés. Dans une interview, le CEO d’Academia.edu déclarait il y a peu : « Scientists have printed papers out, and read them in their labs in un-trackable ways. As scientific activity is moving online, it’s becoming easier to track which papers are getting more attention from the top scientists. »
Faire l’apologie du libre accès, tout en l’exploitant financièrement, n’est-ce pas une contradiction ? Et pourquoi ne pas laisser aux bibliothèques ou autres institutions publiques le soin de gérer l’accès aux études scientifiques subventionnées à 90 pour cent par le secteur public ? Pour Virginie Simon les institutions publiques ne seraient pas « extrêmement flexibles et innovantes » au niveau technique et incapables d’assurer les services que proposent aujourd’hui des sociétés privées. Elle prévoit une « très nette augmentation » du chiffre d’affaires pour 2015.
Le modèle d’affaires de MSW est celui du « freemium » qui mélange offre gratuite en libre accès (free) à offre haut de gamme et payante (premium). Aux utilisateurs non enregistrés, MSW offre un accès à une large collection d’articles gratuits, aux clients payants, le site ouvre d’autres fonctionnalités comme les adresses mails des auteurs ou des annotations d’articles laissés et classés par les précédents utilisateurs. L’utilisateur peut également acheter à l’unité les articles publiés dans des revues payantes, MSW versant une rétrocession aux éditions.
La petite équipe autour de Virginie Simon a choisi une approche hiérarchisée. Tandis qu’Academia.edu cherche le contact direct avec les chercheurs individuels, MSW a signé des partenariats avec les institutions, intégrant ainsi les scientifiques qui y sont employés. « Pour chaque institution qui devient client chez nous, c’est l’ensemble de ses chercheurs qui sera ,obligé’ de déposer, en temps réel, ses nouveaux articles chez nous. Cela nous assure un trafic des données. » À la fin de l’année académique, la production de chaque chercheur pourra ainsi être quantifiée, analysée et classée. C’est la réalisation du vieux rêve fordien appliqué au domaine de la recherche académique.