Reçu ce mail d’une personne concernée : Ce qui se passe avec Esch 2022 est un copier/coller exact de ce qui se passe au Luxembourg City Film Festival. Soit, implicitement, une ingérence du pouvoir politique – libéral, de surcroît –, dans la chose culturelle. Dans les coulisses du minuscule monde du cinéma autochtone, ça discute beaucoup – ça jase même. Petite enquête sur les faits.
Après plusieurs années de discussions, Robert Garcia (Déi Gréng), le directeur de la dernière année culturelle (celle de 2007), et Joy Hoffmann, alors encore « Monsieur cinéma » du Centre national de l’audiovisuel, créent ce festival du film tant désiré, aux critères duquel le festival du film fantastique de Romain Roll et de sa bande de copains, le Cinénygma, ne répondait pas. Cela devait être un festival aux ambitions sérieuses, mais la première tentative, le très glamour DirActor’s Cut, importé de Paris en 2007, devint un gigantesque flop. Puis suivit le festival Discovery Zone, organisé par l’association sans but lucratif Festival de cinéma – Ville de Luxembourg. Cette fois allait être la bonne, peu à peu, le festival se professionnalise, tous les pionniers de l’exploitation et de la réception des films sont de la partie, soit dans l’asbl, dans le Conseil d’administration, le comité exécutif ou le comité artistique. Gladys Lazareff est engagée comme directrice et Alexis Juncosa comme responsable de la programmation, le festival change de nom et devient le Luxembourg City Film Festival (ou LuxFilmFest), multiplie les programmations, devient compétitif, accueille de plus en plus d’invités-stars (279 l’année dernière) et de public (29 300 personnes en 2017). La huitième édition aura lieu du 22 février au 4 mars 2018. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
Pas vraiment. Parce que depuis ses débuts, il y a des querelles internes au CA, surtout sur la place des films luxembourgeois dans ce festival : Faut-il montrer tous les films produits au Luxembourg dans le cadre du festival ? Et si oui, faut-il en plus les montrer en compétition, donc en concurrence avec des œuvres artistiquement ambitieuses venues des quatre coins du monde et sélectionnées sur base de critères de qualité rigoureux ? Ce printemps, cette querelle s’est encore amplifiée sur pression de Bady Minck (Amour Fou) et de Vincent Quénault (Red Lion), qui ne comprenaient pas que les films qu’ils avaient produits et montrés dans des festivals à l’étranger (Die Nacht der Tausend Stunden de Virgil Widrich et Barrage de Laura Schroeder respectivement) ne soient pas en compétition. The Toy gun de Marco Serafini (Calach Films), financé par le Film Fund, était même complètement rejeté, ceux qui l’ont vu le traitant d’incommensurable navet. Pour calmer les producteurs énervés et leur lobbyiste Guy Daleiden (DP) du Film Fund, le comité artistique du festival aurait alors proposé de leur réserver une sélection rien qu’à eux – ce que, lucides, ils refusèrent, de peur de la ghettoïsation. Cette année, cela a été tenté avec les courts-métrages, où ont été alignés tous les films terminés, sans aucun critère de sélection – et c’était un désastre.
Xavier Bettel (DP), Premier ministre, ministre des Médias et ministre de la Culture, aurait reçu « beaucoup de réclamations concernant le festival », raconte Guy Daleiden, directeur du Film Fund (dont Bettel est le ministre de tutelle), vis-à-vis du Land. Il n’a donc été prêt à concéder une augmentation de la dotation budgétaire étatique, demandée par le festival, de l’ordre de 50 000 euros (à 350 000 euros, paritairement avec la Ville de Luxembourg), qu’à condition que les structures décisionnelles soient revues. Premièrement, dit-il à Daleiden, il faudrait que soit clarifié qui représente qui au Conseil d’administration et deuxièmement, pour éviter les abus de pouvoir, il faudrait instaurer une incompatibilité entre le CA et le comité artistique.
Car jusqu’ici, Claude Bertemes (directeur de la Cinémathèque), Nico Simon (ancien directeur d’Utopolis) et Viviane Thill (responsable du département cinéma du CNA) étaient dans les deux comités. Plusieurs membres du CA, comme Bob Krieps, Jacky Beck ou Nico Simon, ne représentent plus le ministère de la Culture, pour le premier, et Kinépolis, pour Beck et Simon. « Il faut savoir que la Ville et l’État nous donnent 700 000 euros à eux deux, concède Colette Flesch (DP), la présidente de l’asbl, c’est beaucoup d’argent. Il est alors normal qu’ils donnent des instructions à leurs représentants quant à l’utilisation de cet argent public. » Ainsi, les frais du chapiteau sur la place de la Constitution étaient par exemple un sujet pour eux, il est remplacé par l’aquarium du Casino Luxembourg. « Mais jamais, au grand jamais, il n’y a eu d’ingérence politique sur le contenu, continue-t-elle, et je vous assure qu’il n’y en aura jamais ! »
Le 5 décembre, lors d’une assemblée générale de l’asbl, une grande majorité des membres présents a voté pour la nouvelle composition du CA, soit trois représentants de l’État, trois de la Ville de Luxembourg, un de Kinépolis et trois de la société civile. Les noms de ces membres seront fixés au printemps, à la fin des mandats de l’actuel CA. Ce même CA a quant à lui voté majoritairement pour une incompatibilité des deux comités. Claude Bertemes, Joy Hoffmann, Nico Simon et Viviane Thill ont donc quitté le comité artistique. Gloria Morano (responsable de la programmation jeune public) et Boyd van Hoeij (critique de cinéma et membre du comité de sélection du Film Fund) les ont remplacés. Viviane Thill a en outre démissionné du CA, où Nico Simon garde son mandat en tant que « conseiller cinéma et audiovisuel ».
Alors, ingérence politique ou pas ? Guy Daleiden du Film Fund profite-t-il du fait que les pionniers Hoffmann-Simon-Garcia sont à la retraite pour récupérer le festival et en faire une vitrine pour le cinéma autochtone uniquement ? « Je trouve cela ridicule comme reproche », répond l’intéressé. Qu’il s’agissait juste de vérifier les structures après dix ans de fonctionnement. « Vous savez, dit un autre membre du CA sous couvert d’anonymat, il en va un peu des anciens membres de ‘l’Utopia-Mafia’ comme de la DDR de Honecker après la chute du mur de Berlin : ‘sie wurden abgewickelt’ (ils ont été liquidés) ».
Alexis Juncosa, lui, reste imperturbable. On lui aurait dit que les affaires internes du CA ne concernaient pas l’équipe, qui continue donc à chercher des films et à négocier des avant-premières et des invités. « Je crois déjà pouvoir vous dire que ce sera la meilleure édition que nous ayons jamais eue », se réjouit, pour sa part, Colette Flesch. josée hansen