Avant la tempête boursière de début avril, les banques européennes avaient retrouvé les faveurs de la cote, l’indice sectoriel Euro Stoxx Banks (portant sur 22 établissements cotés) progressant de plus de 32 pour cent entre le début janvier et la fin mars 2025, contre 11,3 pour l’indice général Euro Stoxx 50. À l’origine de ce regain d’intérêt, après plusieurs années de désaffection, leurs bons résultats en 2024, eux-mêmes issus d’une profonde transformation de leurs modèles d’affaires, un développement pas forcément visible des clients mais qui n’a pas échappé aux investisseurs.Fondamentalement, le business model des grandes banques européennes reste celui de la « banque universelle », mais la répartition entre les différentes activités évolue rapidement au détriment de la banque de détail (également appelée banque commerciale de réseau ou retail banking en anglais). La banque de détail, dont les clients sont les particuliers, les professionnels et les petites entreprises, demeure le pilier principal de l’activité mais peut-être plus pour très longtemps, car ses conditions d’exercice sont devenues très contraignantes.
Entre 2008 et 2021, la politique « accommodante » de la BCE s’est traduite par une forte baisse des taux qui a pesé sur les revenus, principalement tirés de la marge réalisée sur les crédits accordés. Le rebond des taux à partir de 2022, aurait pu permettre la reconstitution des marges si sa brutalité n’avait pas aussi freiné la demande de crédits. La banque de détail est devenue, par ailleurs, un secteur hautement concurrentiel avec l’irruption, portée par la technologie, de « nouveaux entrants » (banques en ligne, néobanques, fintechs diverses) qui, après avoir conquis plusieurs millions de clients grâce à une offre simplifiée et low cost accessible via une expérience-client fluide et pratique, cherchent aujourd’hui à étoffer leur gamme et à affronter les banques traditionnelles sur une palette bien plus large de produits et de services.
Ainsi, Revolut (cinquante millions de clients dans le monde) lancera prochainement une offre de crédit immobilier, actuellement en phase de test. La fintech allemande Trade Republic, connue à l’origine pour avoir démocratisé l’investissement boursier, dispose d’une licence bancaire depuis décembre 2023 et propose désormais comptes-courants rémunérés, produits d’épargne classiques et cartes de paiement. Les banques de détail, bien qu’ayant tenté de faire face en développant leur « proposition de valeur » en ligne, se retrouvent désormais face à une concurrence frontale très compétitive en termes de tarifs, alors qu’elles continuent à supporter les coûts élevés de réseaux d’agences de moins de moins fréquentées, un phénomène ancien qui s’est accéléré après la pandémie de Covid-19.
Le changement le plus visible de la transformation du retail banking est la réduction drastique du nombre de points de contact. BNP Paribas a annoncé fin mars 2025 sa volonté de fermer un tiers de ses agences françaises d’ici 2030, soit 500 sur 1 500. Son cas n’est pas isolé : une petite révolution dans un pays longtemps réticent à supprimer des agences et qui en compte encore deux fois plus, par rapport à sa population, que dans le reste de l’Europe. En Allemagne, où le nombre d’agences a été divisé par deux en dix ans, la Deutsche Bank a annoncé 2 000 suppressions de postes dans le réseau en 2025, pour « redresser la barre de la rentabilité dans la banque de détail ». Il ne devrait plus rester fin 2026 que 650 agences, soit deux fois moins qu’en 2020, et trois fois moins qu’en 2014.
Les fermetures d’agences sont un crève-cœur pour les banques coopératives et mutualistes, très présentes dans certains pays, car leur maillage étroit est directement corrélé à leurs imposantes parts de marché, notamment en termes de dépôts. Pour elles, la réduction du réseau n’a pas seulement un impact en interne avec des suppressions d’emploi, mais aussi une dimension socio-politique, en raison du risque d’apparition de véritables « déserts bancaires », déjà visible dans les pays les plus étendus comme la France et l’Espagne.
En contrepartie de ce repli, parfois spectaculaire (aux Pays-Bas, les réseaux des trois principales banques Rabobank, ING et ABN Amro se sont contractés de 70 à 85 pour cent entre 2018 et 2023), les banques traditionnelles renforcent significativement leurs services en ligne. Certains grands établissements disposent, en plus de leurs services digitaux, de « banques en ligne internes », rachetées ou créées ex-nihilo. À quelques exceptions près, comme BoursoBank (SG), elles sont encore peu développées : apparue en 2013, Hello Bank, de BNP Paribas, ne compte toujours qu’un million de clients sur les sept millions revendiqués par la banque. Il existe donc une importante marge de progression (Hello Bank devrait doubler de taille en cinq ans) mais sous la condition d’investissements importants.
La restructuration de la banque de détail s’accompagne d’une réduction de son importance dans l’activité totale, même au sein des établissements mutualistes. Chez BNP Paribas, le Produit net bancaire des « banques commerciales » en France et à l’étranger, qui en 2024 a crû deux fois moins vite que le PNB total, n’en représentait plus que 36 pour cent. Au Crédit Agricole, la part de la « banque de proximité » dans le PNB est tombée sous les cinquante pour cent tandis que sa contribution au résultat net dépasse à peine vingt pour cent.
En contrepartie, les banques européennes se renforcent sur les autres segments de l’activité comme la banque de financement et d’investissement (BFI), la gestion d’actifs, la gestion de fortune et l’assurance. Ces segments, encore peu développés dans certains établissements, croissent rapidement et contribuent fortement à la rentabilité. Ainsi, chez Santander, première banque espagnole, les revenus du pôle Wealth & Insurance (qui regroupe le private banking, la gestion d’actifs et l’assurance) ont augmenté de quinze pour cent en 2024, moitié plus que les autres activités. Ce pôle, bien que relativement restreint, est deux fois plus rentable, relativement, que la banque de détail. Au Crédit Agricole le pôle Gestion de l’épargne et assurance, dont les revenus ont augmenté de 14,4 pour cent en 2024 (+ 37 pour cent en gestion de fortune), a contribué à 20 pour cent du PNB et à 38 pour cent du bénéfice. À la Commerzbank et à la BNPP, la BFI pèse respectivement environ 42 pour cent et 37 pour cent du PNB, menaçant ou dépassant déjà la part de la banque de détail.
Dans la gestion d’actifs (asset management), autre domaine suscitant un vif intérêt, les grandes manœuvres sont également lancées avec l’annonce en décembre 2024 de l’acquisition d’Axa Investment Managers (850 milliards d’euros sous gestion) par BNP Paribas, pour former un groupe totalisant 1 500 milliards d’euros. Un mois plus tard, l’assureur italien Generali et le groupe bancaire français BPCE décidaient la création d’une entreprise commune dans la gestion d’actifs : avec quelque 2 000 milliards d’euros d’actifs sous gestion elle se classerait au second rang en Europe et au neuvième rang mondial. En revanche le projet de rachat d’Allianz GI par Amundi (Crédit Agricole) qui aurait créé un mastodonte gérant plus de 2 700 milliards, annoncé fin 2024, est au point mort.
En plus d’une profitabilité attractive, les segments d’activité hors-banque de détail (où la relation à distance trouve aussi toute sa place, comme on le voit en private banking) présentent plusieurs avantages. Les besoins de la clientèle, de particuliers comme d’entreprises, sont importants. La rémunération sous forme de commissions y domine, ce qui les rend moins dépendantes des variations de taux d’intérêt. Cerise sur le gâteau, elles sont moins gourmandes en fonds propres. Il reste que, dans une conjoncture incertaine, l’évolution du business model des grandes banques européennes ne sera peut-être pas suffisant pour les protéger des chocs économiques ou commerciaux. Début avril, elles ont d’ailleurs été davantage affectées par la dégringolade boursière que les autres secteurs.