La décision prise cette semaine par Twitter de remplacer le symbole de l’étoile par celui d’un cœur pour la fonction du signet (favorite), qui permet de marquer des tweets, anodine en apparence, a déclenché une tempête de mécontentement parmi une partie des utilisateurs du réseau de microblogging. Les réactions de dépit et d’incompréhension ont été les plus fortes parmi les adeptes les plus chevronnés du réseau, qui y ont vu une insupportable bâtardisation. Cet épisode est révélateur des convulsions que traverse Twitter, déchiré entre la popularité dont il jouit auprès d’un public de leaders d’opinion, influent mais par définition limité en nombre, et le besoin de séduire un nombre toujours croissant d’utilisateurs pour satisfaire ses investisseurs.
C’est en effet pour satisfaire les attentes ses actionnaires que Twitter, désormais à nouveau cornaqué par son fondateur Jack Dorsey, a pris cette décision. Après tout, le cœur est à la mode chez les utilisateurs d’Instagram, qui reste en plein essor, et sa symbolique s’apparente beaucoup au « like » qui a fait les fortunes de Facebook. Imitant une des recettes de ses concurrents qui parviennent à briller par des taux de croissance plus conséquents, le réseau cherche donc à se rapprocher du public « standard » des consommateurs, cible première des annonceurs. Sur son blog officiel, Twitter ne s’en cache pas: « Nous voulons faire en sorte que Twitter soit plus facile et plus gratifiant à utiliser, et nous savons que par moments, l’étoile pouvait prêter à confusion, surtout auprès de néophytes », a expliqué le réseau.
La communauté des tweeters avertis ne le voit pas de cet œil. Pas par aversion pour le symbole du cœur – qui pourrait s’opposer par principe au symbole universel de l’amour et de l’affection ? – mais parce que la fonctionnalité du signet, des plus utiles lorsqu’on est submergé en permanence par des avalanches de tweets pour se donner une chance de les retrouver, ajoute une couche de caractérisation très appréciée au sein du réseau. Les signets d’un utilisateur étant visibles par les autres, ils servent aussi de marqueurs, en plus des listes de ceux qu’il suit et de ceux qui le suivent. Sauf que l’usage du signet qui s’est instauré n’est pas celui de dénoter nécessairement une approbation comme le suggère le pouce du like de Facebook, ou le « +1 » de Google+. Même si la fonctionnalité reste la même, difficile d’assumer que sa signification restera inchangée dès lors qu’elle sera signalée par un cœur.
« Why are my fav stars now hearts twitter what have u done », a tweeté un utilisateur. « When did the stars become hearts on twitter??? Did this transformation happen over night?! I can't fav tweets anymore I have to LIKE THEM??! », s’est emporté un autre. Un troisième en a conclu que pour préserver le réseau tel qu’il l’appréciait, il fallait le nationaliser. « Comme si Internet avait besoin de plus de likes », a raillé un journaliste de Wired.
Twitter ne va sans doute pas se laisser impressionner par les cris de protestation de sa base d’utilisateurs la plus en vue, même si celle-ci représente une élite de leaders d’opinion composée notamment de journalistes, politiques et célébrités en tous genres. D’autres initiatives, comme celle des « Twitter Moments » qui s’apparente aux pratiques des posts suggérés de Facebook et font la joie des publicitaires, indiquent une stratégie délibérée qui risque le divorce avec cette catégorie d’utilisateurs expérimentés et la grande masse des internautes que l’on veut séduire pour faire tourner les compteurs. Pour ceux qui entendent passer en résistance face à l’adoption du cœur et utilisent Twitter surtout dans un navigateur sur leur ordinateur, une solution est déjà disponible sous forme d’une extension destinée au navigateur Chrome qui transforme les cœurs en étoiles. Un plaisantin a suggéré une échappatoire valable pour les apps : « L’app Twitter pour Blackberry a encore des étoiles pour les signets. Elle ne sera probablement pas actualisée pendant des années. »