Une société française accusait l’Œuvre nationale de secours grande-duchesse Charlotte (l’Œuvre), gérant la Loterie nationale, de lui avoir piqué le jeu de grattage Picobello. Un procès a été intenté en France, notamment pour concurrence déloyale et reprise du jeu sans autorisation, mais les juges ont conclu que le jeu n’était pas protégeable. L’affaire remonte à plusieurs mois (l’arrêt de la Cour d’appel de paris date du 29 avril dernier), mais il a fallu qu’une revue spécialisée1 en droit de la propriété s’intéresse à certains des principes juridiques dégagés dans la procédure judiciaire pour qu’elle soit révélée.
En effectuant une étude sur le marché des jeux TV en Europe, une responsable marketing de la société française Games Marketing Services (GMS) est tombée sur le pot aux roses : le jeu Picobello, diffusé sur RTL Tele Lëtzebuerg, était la « copie conforme » du jeu télévisé « Gagnez au Jackpot TV » développé par sa société et principalement vendu à des pays africains, au bassin de population trop faible pour qu’y soient lancés durablement des jeux de loto. « Gagnez au Jackpot TV, vante GMS sur son site Internet, est donc un compromis qui allie les produits de grattage et la mécanique d’un jeu à cagnotte évolutive ». Et d’indiquer que l’apparition de ce jeu avait permis « à de nombreuses loteries notamment africaines de relancer leur chiffre d’affaires sur le segment des instantanés ».
Au Luxembourg, Picobello est devenu un « jeu légendaire » de la Loterie nationale lancé en 1998. Il avait fait gagner la somme record de 400 000 euros à l’été 2006 à un joueur qui avait acheté son ticket à Esch et avait eu droit de pousser cette roue de la fortune à la TV. Au dernier décompte affiché sur le site Internet de la Loterie nationale, 18 joueurs ayant gratté les trois TV sur leur ticket, se sont partagés 900 000 euros.
Dans la procédure judiciaire initiée en France, GMS reprochait par ailleurs à la société britannique Scientific Games International Limited, qui avait été initialement chargée par le plaignant de l’impression des tickets de Gagnez le Jackpot TV ainsi que de sa promotion en Afrique et au Proche orient, d’avoir « pris part à la préparation du jeu litigieux ». Toutefois, GMS ne pourrait pas revendiquer la paternité d’un concept tombant dans le domaine public des idées.
Dans un procès en première instance, les juges du fond ont en effet considéré que le jeu n’était pas protégeable par le droit d’auteur. GMS ne se résigna pas pour autant et devant la Cour d’appel de Paris attaqua le gestionnaire de la loterie luxembourgeoise sur le fait de lui avoir « pompé » l’enchaînement des séquences du jeu et la combinaison des mécanismes de tirage : achat du ticket et grattage où apparaissent trois TV dans une première étape, participation du candidat à l’émission dans une seconde étape et à un autre plateau TV dans une ultime étape pour tenter de décrocher le jackpot à travers le cumul des gains. Il y a, a plaidé GMS, un droit d’auteur sur cette combinaison et l’enchaînement des séquences. Les juges sont restés insensibles à ce genre d’arguments : « Les règles, (….) détaillées dans la présentation des étapes du déroulement du jeu, ne constituent qu’une articulation de concepts ou de principes insusceptibles de donner prise à des droits d’auteur ; (…) leur nouveauté est indifférente, seule important l’expression formelle du jeu, laquelle n’est pas revendiquée en tant que telle par l’appelante ». Les juges n’ont pas davantage estimé qu’il y avait une concurrence déloyale avec la reprise d’un jackpot cumulable d’une émission sur l’autre : « La référence au terme jackpot, ont-ils dit, emprunté aux jeux de casino, est tout à fait courante en matière de jeux d’argent. » Et d’ajouter que l’existence d’une cagnotte, cumulant les gains non distribués, existait déjà dans les années 1970. Quant à SGI, sa responsabilité contractuelle n’a pas été retenue par la Cour d’appel de Paris, GMS étant restée en défaut d’apporter la preuve de la remise par la société britannique d’informations confidentielles.