Après avoir mis à l’honneur le travail de Nicolas Muller, la galerie Octave Cowbell présente l’œuvre minimaliste et métamorphique de Sarah Nance à travers une sélection de pièces récentes. Originaire de l’Iowa (USA), l’artiste américaine est spécialisée dans l’étude des fibres et des matières textiles. Son curriculum vitae détaille un éventail impressionnant de compétences techniques : impressions textiles, tricot, corderie, maillage, tressage, vannerie, patchwork, ainsi que nombre de procédés de teintures issus de cultures non-occidentales tels que l’ikat, le batik ou le shibori. Nous voilà prévenus sur le solide savoir-faire pluridisciplinaire de la jeune femme, qui enseigne au Harpur College of Arts and Sciences de SUNY-Binghamton à New York. Elle a par ailleurs dirigé, de 2021 à 2023, le groupe de recherche « Propositions pour une Terre en expansion », qui résulte de la collaboration entre artistes et scientifiques de la NASA.
Ce n’est dès lors pas étonnant si l’artiste file, d’œuvre en œuvre, des liens entre le terrestre et le céleste, tout en interrogeant les apparences entre le naturel et l’artificiel, entre notre environnement et les produits de l’industrie textile par le biais de matériaux scintillants, comme si une voie lactée se reflétait en toute chose. À l’image de ce maillage réalisé à la main en fil holographique – on songe à un filet de pêche – qui s’étend sur quelques mètres, intitulée a veil to cover all stones iii (2025), et dont la forme de barque nous invite à prendre aussitôt le large. Les pierres en question n’ont ici de précieuses que les couleurs irisées produites par le fil holographique. Plus concrètement, face à cette œuvre à entrées multiples, le titre fait allusion au grillage adossé aux falaises qui sert à retenir les roches en bord de route. Il s’agit d’une œuvre inachevée, que l’artiste a entamée il y a six ans, au cours d’un processus de fabrication aussi lent que long : son objectif est d’atteindre le million de mailles (elle en est à la moitié). Une façon, pour Sarah Nance, d’infiniser son être, d’ouvrir son existence à un temps géologique. Non loin, une œuvre investit le sol, dont l’aspect brillant, proche de l’aluminium, évoque la texture légère des couvertures de survie. Il s’agit de cloud shutter ii (2025), dont les formes stratifiées ont été obtenues à l’aide de mylar, une matière plastique dérivée du xylène, conçue initialement pour répondre à des besoins aérospatiaux. Déployé à terre, cet étrange nuage remue tant la géologie, la matière plastique utilisée étant obtenue à partir du pétrole et donc des profondeurs terrestres, que le champ maritime, puisqu’elle s’apparente à une vague frémissante aux reflets ondoyants, oranges et argentés. De ces deux pôles recueillant les mouvements du monde, l’œuvre en constitue l’interface sensible.
Plus avant, deux œuvres filaires font lever les têtes. Ainsi de cloud seeds (2023), qui reprend les oscillations dessinées par les stalactites, que l’artiste a découvertes en se rendant dans une mine de mica. La pièce elle-même a été entièrement confectionnée en sequin de mica, un minéral lamellaire connu pour ses propriétés réfléchissantes. « L’artiste a récupéré des plaques de mica, les a redécoupées au laser pour obtenir de fines lamettes, qu’elle a ensuite reliées entre elles à l’aide d’un fil de soie », précise Guillaume de la Follye de Joux, responsable de la médiation à Octave Cowbell. Un travail précieux et minutieux qui charrie le raffinement de la joaillerie, et dénote forcément par rapport aux usages dérivés et factices du sequin – dans le secteur vestimentaire notamment. On retrouve cette préciosité dans étoiles (2025), bien qu’il s’agisse cette fois-ci d’une préciosité factice, puisque reposant sur des billes en plastique, en vue de feindre le scintillement du cristal ou de la glace. Cette étrange étoile, l’un des nombreux mirages de cette exposition, clignote comme un phare dans la nuit, répand arbitrairement ses signaux vers un spectateur à l’affût d’un signe. Et bien qu’elle soit faussement précieuse, l’œuvre n’en demeure pas moins virtuose par la technique de filage employé ici pour assembler ces particules en toque.
À côté de cet astre luisant, beartooth star ii (2021) déploie comme une fleur ses multiples couleurs. Il s’agit d’une série où chaque œuvre porte le nom d’un paysage. Le titre de celle qui est présentée à Metz désigne à la fois une chaîne montagneuse du Montana et le parc naturel que l’artiste a arpenté, un appareil photo à la main. Les clichés de végétation, roches et lacs pris in situ servent de modèle à ce patchwork réalisé dans les tons du paysage, toujours en recourant à des textures particulières, tel le mylar, pour leur aspect métallique et leur propriété réfléchissante. Face à ce paysage qui s’étend de la flore aux étoiles se présente un dessin au graphite formé de petits carrés, comme des tesselles de mosaïque, réalisé par projection à partir de sel que l’artiste a prélevé à Salt Lake, dans l’État de l’Utah. « Reprenant la tradition de mettre du sel aux quatre coins d’une pièce, l’artiste a rapporté chez elle le sel issu de cet ancien lac, particulièrement riche en minéraux. Il s’est alors chargé en humidité, puis s’est mis à cristalliser ; ce qui a produit de petits reliefs, sur lesquels Sarah Nance s’est basée pour dessiner cette cartographie », détaille le guide.
On oublie souvent la contribution du son à une exposition au profit de la seule perception visuelle. Le spectateur peut entendre par moment un chant de consolation de Sarah Nance. Sa mère était d’ailleurs chanteuse d’opéra. Un grand poème pour une terre meurtrie adapté de la berceuse américaine Hush-a-bye, et modulé à partir d’une technique de mesure de distance qui utilise les propriétés de la lumière. Des données prélevées depuis le cratère Merriam (Arizona), devenu aujourd’hui mine d’extraction...