Retour à la case départ. Le dispositif mis en place dans l’urgence enmai 2004, quelques semaines avant les législatives qui reléguèrent leslibéraux dans l’opposition et firent revenir les socialistes au pouvoir,ne pouvait pas tenir la route très longtemps. Un an avant la nouvelleépreuve des urnes, le ministre LSAP de l’Économie, Jeannot Krecké a confectionné un projet de loi qui ne donnera plus qu’un seul maître à la tête de l’autorité de la concurrence, au lieu des deux qui dirigent actuellement l’un le conseil de la Concurrence et l’autre l’inspectionde la Concurrence. La loi du 17 mai 2004, qui avait aboli l’office des prix et créé deux autorités de la concurrence, l’inspection et le conseil de la Concurrence, va se soumettre à la liposuccion pour lui retirer sa mauvaise graisse. L’opération chirurgicale donnera naissance à un Conseil de la concurrence plus fort, doté de super pouvoirs comme celui par exemple de donner des avis et de s’autosaisir, ce qui lui est interdit dans l’état actuel du droit. En supplément, la super autorité aura désormais la faculté de mener des enquêtes sectorielles. Cette autorité sera telle que l’avait rêvé le gouvernement précédent avant que les Sages ne lui ôtent ses illusions et n’estropient son projet de loi.
Le nouvel ensemble sera construit sur le modèle de l’Institut luxembourgeois de régulation. À sa tête, une structure dirigeante composée de quatre personnes : deux permanents (qui pourraient être par exemple les actuels président duconseil et rapporteur général de l’inspection) et deux agents externes. L’exécution serait assurée par un « staff de fonctionnaires d’État ». Le tout constitué de trois carrières supérieures, deux carrières moyennes et une secrétaire.
La question encore non résolue est celle de savoir d’où et commentles postes seront créés, puisque Jeannot Krecké conçoit difficilementque son ministère soit amputé de fonctionnaires. D’où le nécessairerepassage du projet devant le ministre de la Fonction publique.C’est dans un souci de mieux administrer et moins cher que JeannotKrecké a présenté la semaine dernière au conseil de gouvernementson texte qui va fusionner en une seule entité deux organes qui fontsouvent double emploi en plus de diverger parfois dans le traitementde dossiers. Le projet est à deux doigts d’une adoption. Un point ausujet du statut des agents qui composeront le conseil de la Concurrence, nouvelle formule, doit encore faire l’objet de l’aval du ministre de la Fonction publique. Du coup, le projet de loi n’est pas encore tombé dans le domaine public.
Si le texte fait consensus au gouvernement et même dans les milieuxéconomiques – les accords tripartites de 2006 auraient admis le principe d’une seule autorité –, la grande inconnue viendra très probablement du Conseil d’État qui avait obligé le gouvernement CSV/DP en 2004 à faire marche arrière au nom du respect de la convention de sauvegarde des droits de l’homme (le président du conseil aurait cumulé les fonctions d’instruction et de décision, ce qui contrevient à l’exigence d’un procès équitable) et de construire ces étranges objets, surtout lorsqu’ils sont rapportés aux dimensions du pays, que sont le conseil et l’inspection de la concurrence.
Les avis des Sages étant relativement imprévisibles, les rédacteursde l’avant-projet de loi ont pris toutes les précautions possiblespour parer à toutes les critiques qui verraient dans la fusion des deuxautorités en une structure monolithique une entorse aux droits del’homme. Une annexe de quatorze pages a été accrochée au projet,qui justifie en long et en large l’opportunité de la fusion et s’épanchelourdement sur les incongruités qui émaillent le travail des autorités de la concurrence du fait de leur séparation fonctionnelle, entre l’Inspection, qui instruit les dossiers et le Conseil, qui tranche les affaires.
« Les auteurs du présent projet, souligne l’exposé des motifs, estiment sur base d’une analyse juridique fouillée que les exigences de l’article 6 de la CEDH (convention européenne des droits de l’homme, Ndlr) ne s’opposent pas à ce que ces deux fonctions soient assumées par une seule et même autorité ». Le Conseil d’État pousserait parfois trop loin la solution de l’arrêt Procola, nom d’une célèbre affaire tranchée par la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg qui a poussé à la création des juridictions administratives, les sages ne pouvant pas servir de seconde chambre, et donc faire les lois, et juger ensuite de leur conformité. Le texte de l’annexe elle-même, assure d’ailleurs « juridiquement possible » le fait de confier les fonctions d’instruction et d’exécution à une même autorité administrative et de doter ce Conseil de la concurrence du pouvoir de formuler des avis et de s’autosaisir, soit en vue de fournir un avis, soit en vue de débuter une procédure pouvant déboucher sur une sanction ».
Si le gouvernement de 2004 s’était plié au diktat des Sages en acceptant le principe des deux autorités, c’est parce qu’il y avait doublement urgence. Les échéances législatives d’abord. Henri Grethen, le ministre DP de l’Économie de l’époque ne voulait pas décevoir son électorat. Ilavait promis l’abolition de l’office des prix et il s’y tint. Le second impératif venait alors de Bruxelles. Il s’agissait de transposer au Luxembourg avant le 1 er mai 2004 le règlement N°1/2003 du Conseil de l’UE sur la mise enoeuvre des règles de concurrence à peu près harmonisées. Il y avait donc urgence.
Le locataire actuel du ministère de l’Économie dispose de coudées plus franches. Le gouvernement pourra même se payer le luxe de faire passer sa réforme du droit de la concurrence avec ou sans opposition formelle du Conseil d’État, quitte à faire un forcing en seconde lecture. Personne ne se plaindra de la concentration des compétences au sein d’une même autorité. Le gouvernement s’y attèle au nom d’une « gestion saine et efficace des finances publiques » et d’une optimisation de « l’allocation des ressources humaines ». Or, jusqu’à une date récente, les deux entités avaient plus tendance à tirer à hue et à dia, pour ne pas dire à se « bouffer le nez » qu’à travailler main dans la main. Une question d’hommes d’abord. La mésentente entre les deux dirigeants respectifs du conseil et de l’inspection était de notoriété publique. Le changement à la tête de la seconde a permis de détendre le climat de travail.
« Je ne veux pas être une chambre d’enregistrement de l’inspection de la Concurrence », souligne Thierry Hoscheit. D’où les vérifications « approfondies » que le conseil opère après avoir été officiellement saisi d’un dossier par l’inspection. Dans le dossier de Tanklux, les investigations supplémentaires du conseil ont débouché sur une remise à plat de certains pans de l’enquête et un renvoi de l’affaire une nouvelle fois devant l’inspection pour un complément d’enquête. Cette affaire sur la distribution et le stockage de produits pétroliers au Luxembourg a en tout cas montré un fonctionnement peu efficace du dispositifà deux têtes.
« Les deux premières années d’application de la loi de 2004 ont démontré que la coexistence de deux autorités administratives oeuvrant dans la même matière et n’entretenant entre elles aucun lien organique ou hiérarchique conduit à un gaspillage des ressources lorsque leur collaboration n’est pas assurée par des mécanismes institutionnels de nature à dépasser les blocages ou divergences de vue », note diplomatiquement l’exposé des motifs de l’avant-projet de loi. L’avenir fera donc l’économie de l’inspection. Actuellement rattachée au ministère de l’Économie et du Commerce extérieur, elle va devenir une dépendance du conseil de la Concurrence.
Une seconde annexe au texte de loi, destinée elle aussi à convaincrele chaland, mentionne encore le décalage de la situation luxembourgeoise par rapport au reste de l’Union européenne : trois pays seulement (la France, le Danemark et le Luxembourg), y lit-on, ont maintenu une répartition des fonctions d’instruction et de décision à deux autorités administratives. Trois autres pays (Autriche, Belgique et Finlande) ont pris l’option d’une séparation organique en confiant les fonctions d’instruction à une administration et le pouvoir de décision à une juridiction. Les 21 autres États de l’UE ont confié les deux fonctions à une seule et même autorité administrative. L’Espagne vient d’ailleurs de changer de camp en fusionnant le 1er septembre ses deux autorités de la concurrence en une seule structure.
En se regroupant, les deux institutions lilliputiennes devraient fairemeilleure figure et surtout se montrer plus crédibles et mieux arméesvis-à-vis des milieux économiques. L’arme des enquêtes sectorielles,c’est-à-dire le pouvoir de mener une enquête dans un secteur particulier de l’économie, dont sera dotée la future autorité unique, peut les faire trembler. « Oui, elles seront efficaces si on nous en fournit les moyens », affirme Thierry Hoscheit. Cette extension des pouvoirs des autorités semble d’ailleurs faire consensus au ministère de l’Économie. Le sujet devrait se révéler plus controversé chez les opérateurs économiques.
Certains craignent notamment, que malgré son indépendance sur leplan institutionnel, le futur conseil de la Concurrence devienne l’instrument du pouvoir exécutif pour mener des enquêtes sectorielles très aguichantes auprès du grand public.
La Commission européenne a lancé en 2005 de très médiatiques enquêtes dans les secteurs de l’assurance des entreprises, la banque de détail et les cartes de crédit. Une autre dimension risque de faireévoluer le droit de la concurrence dans le bon sens au Luxembourg :l’attribution d’un pouvoir consultatif au profit de la nouvelle autorité de la concurrence, ce qui lui fut refusé en 2004. Thierry Hoscheit militait depuis longtemps pour en disposer. Il a convaincu au nom de la « sauvegarde et du développement de la compétitivité et de l’esprit d’initiative » inscrits dans la stratégie de Lisbonne. Dans le rapport annuel 2005, le président du conseil de la Concurrence jugeait d’ailleurs ce pouvoir « économiquement souhaitable, politiquement voulu et juridiquement possible ». La seule inconnue à ses yeux était à chercher du côté des moyens juridiques, financiers et humains qui lui seront confiés.
Ce qui va encore changer
Amendes Des clarifications sont attendues sur l’application des amendes et leur modulation en fonction de la gravité des transgressions. La version actuelle de la loi impose indistinctement une amende de dix pour cent du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise incriminée qu’il s’agisse d’un abus de marché ou d’un simple geste de non-coopération avec les gardiens du droit de la concurrence. Avec la nouvelle donne, ce genre de résistance sera moins lourdement sanctionné avec des amendes correspondant à un pour cent du chiffre d’affaires annuel. « Il n’était pas justifié de traiter une infraction au fond plus sévèrement qu’une simple infraction commelanon-coopération », indique Thierry Hoscheit.De toute façon, l’arme la plus redoutée par les entrepreneurs restecelle des astreintes. L’expérience en a d’ailleurs montré toute l’efficacité du dispositif. Dans le dossier du cartel présumé des carreleurs à la cité judiciaire, les patrons récalcitrants à livrer les informations que leur réclamaient les enquêteurs, ont tous fini par faire amende honorable.
Astreintes Dans le nouveau dispositif, le président du conseil de laConcurrence réformé pourra les prononcer seul alors qu’il lui faut actuellement réunir le conseil dans son ensemble. Il dispose actuellement en revanche du pouvoir de prendre des mesures conservatoires.
Mesures de clémence Réunies au sein du réseau européen de laconcurrence (REC), les autorités de la concurrence des 27 ont adopté le 29 septembre 2006 un programme modèle qui définit des principescommuns de traitement des demandes de clémence applicables à l’ensemble des pays de l’UE. C’est ce programme type qui sera transposé. Les Français l’ont déjà fait en avril 2007 et furent d’ailleurs les premiers à le faire en Europe. Peu attractives car trop restrictives, les mesures de clémences destinées aux entreprises coopératives trouvent peu d’applications pratiques, voire même pas du tout, en l’état actuel du texte de loi. La nouvelle version prévoit entre autres une procédure à plusieurs niveaux dans l’exonération totale oupartielle des sanctions.
Aux extrémités du curseur, le système d’immunité totale de la première entreprise qui dénonce une infraction ainsi qu’une réduction des amendes pour ceux qui apportent des informations « à plus-value » seront maintenues, mais un dispositif s’intercalera entre les deux, avec une immunité totale possible, pour les entreprises qui apporteront des « informations pertinentes ».