Ça commence à chauffer pour le matricule du Commissariat aux assurances dont la responsabilité a été mise en cause dans le naufrage de la compagnie d’assurance-vie Excell Life, placée en liquidation judiciaire en juillet 2012, après deux ans de vie artificielle sous perfusion. Le 2 octobre prochain, une première audience doit avoir lieu dans le cadre de la plainte qui fut introduite au mois de décembre 2012 par une soixantaine de victimes de la faillite et qui y ont laissé une partie de leurs économies. Il s’agit d’une audience de fixation. Rien ne dit que la suite de la procédure ira vite, d’autant que les liquidateurs de la faillite d’Excell Life, qui avaient un temps laissé entrevoir aux avocats des victimes qu’ils pourraient s’associer à leur plainte, semblent avoir renoncé à attaquer le régulateur luxembourgeois de l’assurance pour une série de défaillances et de fautes graves dans le contrôle de la compagnie. Paul Laplume, l’un des liquidateurs d’Excell Life n’a pas pu être joint cette semaine par le Land pour s’expliquer sur les démarches suivies jusqu’à présent, ni sur les intentions de se joindre à d’autres procédures judiciaires, notamment en Espagne d’où sont originaires les actionnaires d’Excell Life et où leurs noms sont associés à un gigantesque scandale de corruption (affaire ERE) et une fraude présumée à l’assurance, avec des milliers de victimes. Cette affaire donne lieu à une enquête aussi spectaculaire que médiatique, en raison notamment du nombre de victimes, de l’identité des inculptés et de la popularité de la jeune et jolie juge espagnole qui mène les investigations, Mercedes Alaya. La magistrate a rassemblé, sans le vouloir, un club sur le réseau social Facebook comptant plus de 27 000 fans qui scrutent le moindre de ses actes, le moindre article de presse sur l’avancée d’une enquête mettant en cause des cadors de la classe politique de la péninsule. Ses investigations visent aussi des personnalités du business, parmi lesquelles un des anciens hommes forts d’Excell Life, Edouardo Pascual, qui fait partie des nombreux inculpés en Espagne. Son nom était également apparu dans les années 2000 dans le scandale de la banque Eurobank, toujours en Espagne. Après quoi et alors que tous les signaux étaient au rouge, rien ne l’empêchera de fonder au Luxembourg, grâce à une opération de portage avec le groupe Foyer, une compagnie d’assurance pour pomper l’argent que des épargnants parfois modestes avaient mis de côté en vue de leur retraite. D’abord sous le nom de Clave pour attaquer le marché espagnol, puis d’Excell Life International pour s’ouvrir d’autres horizons géographiques sous le label de qualité luxembourgeois qu’il contribuera à galvauder.
Les liquidateurs d’Excell Life vont-ils engager des actions judiciaires en Espagne pour tenter de récupérer des fonds en vue d’indemniser les victimes ? Ils se sont faits récemment octroyés par la justice luxembourgeoise les moyens de le faire, plus de six millions d’euros, rien pour que payer leurs frais. Un jugement commercial du 15 juillet dernier a validé en effet une requête des liquidateurs Paul Laplume et Me Evelyne Korn présentée un mois plus tôt et proposant un premier dividende pour les clients d’Excell. A priori une bonne nouvelle. Mais pas pour toutes les victimes, surtout pas celles qui se sont laissées entraîner à souscrire des contrats investissant dans des produits prétendûment de bons pères de famille, mais qui se sont révélés toxiques, voire frauduleux.
Le jugement du 15 juillet permet de faire le point sur les actifs jusqu’à présent rapatriés : les liquidateurs ne disposaient jusqu’alors que de fonds propres de 385 314 euros, après que furent déduits les « dépenses d’administration » déjà engagées (451 405 euros). Il leur fallait donc trouver du cash. Paul Laplume et Evelyne Korn ont estimé devant le tribunal le prix des opérations de liquidation à 6,151 millions d’euros. Une fourchette haute, selon leurs arguments fournis aux juges. « C’est pas mal », estime un des avocats des victimes qui espère qu’une partie de ce montant, à défaut d’être utilisé pour les besoins de la plainte contre le Commissariat aux assurances, pourrait à tout le moins financer d’éventuelles actions en Espagne. On reste dans le flou sur les intentions des liquidateurs qui n’ont de compte à rendre qu’aux juges commissaires de la faillite et pas aux victimes.
D’où viennent les 6,151 millions d’euros ? Ils ont été ponctionnés, avec l’autorisation des juges, à hauteur de 25 pour cent sur les actifs que la compagnie avait placés dans des fonds d’investissements « bien sous tous rapports » et que les liquidateurs ont admis comme créanciers : 26 entités, pour l’essentiel des Sicavs, mais aussi trois entités identifiées par un simple numéro. En tout, 24,605 millions d’euros ont pu être recouvrés pour alimenter partiellement le premier dividende versé aux victimes d’Excell Life et accessoirement les dépenses de Paul Laplume et Evelyne Korn. La procédure étonne : pourquoi ne pas rembourser aux créanciers la totalité de leurs dépôts dans les fonds facilement récupérables au lieu de seulement 75 pour cent ? Pourquoi n’avoir admis comme créancier de la liquidation certains fonds d’investissement et avoir exclu les produits toxiques comme les fonds Orelius ou en avoir considérablement réduit les montants sans explication acceptable pour les investisseurs ? Les liquidateurs n’ont pas à se justifier.
Il faut dire que c’est la première fois qu’une compagnie d’assurance-vie luxembourgeoise a été déclarée en faillite. Il n’existe pas de guideline ni de dispositions dans la législation pour conduire une liquidation. Forts de leurs expériences en matière de grosses faillites dans le secteur financier, les liquidateurs tentent de faire au mieux, même si leurs décisions peuvent choquer beaucoup d’investisseurs qui avaient choisi le Luxembourg d’abord pour le secret, ensuite parce qu’ils croyaient que leur épargne y était mieux protégée qu’ailleurs en Europe. Les assureurs de la place, mais aussi le régulateur du secteur, ont longtemps vanté le fameux « super privilège » adossé aux contrats d’assurance en cas de faillite de l’entreprise. Comme il fallait s’y attendre pour des produits qui ressemblent davantage à de l’épargne bancaire que de la prévoyance traditionnelle, cette spécificité luxembourgeoise est mise à rude épreuve dans cette faillite hors norme. Du coup, le mythe de la « protection en béton » a vécu.
Les victimes s’énervent contre les liquidateurs et leurs avocats cherchent des poux dans la tête de ces derniers. Des questions se posent notamment sur d’éventuels conflits d’intérêts que Paul Laplume et Evelyne Korn auraient pu avoir dans le passé en raison de leur proximité avec des entités indirectement liées à la compagnie d’assurance, mais les accusations ne sont pas étayées, du moins jusqu’à présent, par des preuves et aucune demande de dessaisissement n’a encore été introduite. Reste beaucoup de contestations et de frustrations. de nombreuses victimes de la compagnie ont vu leurs déclarations de créance rejetées par les liquidateurs. Certaines ont déjà saisi récemment les tribunaux luxembourgeois pour obtenir un arbitrage. Le Land a pu consulter certains dossiers de plaintes d’investisseurs qui étaient loin de douter que leurs créances n’allaient pas être acceptées ou leur prétentions fortement réduites.
Le 24 septembre 2012, les liquidateurs avaient invité les souscripteurs par courrier à leur adresser leurs déclarations de créances avant le 15 novembre. « Toute déclaration de créance qui parviendra au greffe après le 15 novembre 2012 ne sera pas prise en considération », écrivent les liquidateurs. Le 15 mai dernier, une des victimes reçoit un courrier lui annonçant la couleur : il avait investi plus de 70 000 euros dans un contrat d’Excell Life, mais les liquidateurs ont admis seulement 51 000 euros au passif : « Nous vous informons par la présente que votre déclaration de créance est contestée pour le montant réclamé au-delà de la valeur de votre épargne constituée au jour de la liquidation », lui écrit-on. Il dispose de 40 jours pour contester cette décision. Ce qu’il a fait ainsi que bien d’autres victimes. L’une d’elles, ayant introduit une créance de plus de 100 000 euros liée à une souscription dans le fonds toxique Orelius Golden Invest, l’a vu réduite à une portion congrue : elle pourra récupérer 5 200 euros seulement, lui a t-on fait savoir.
Le Land a également pu consulter quelque unes des plaintes introduites fin juin devant le tribunal siégeant en matière commerciale. Un des plaignants a remis une déclaration de créance d’environ 71 000 euros correspondant à la valeur d’achat des fonds, alors que les liquidateurs invoquent pour leur part une épargne constituée de 51 000 euros. La question est de savoir s’il faut tenir compte d’une valorisation des fonds avant la liquidation, ce qui est favorable aux investisseurs, ou au jour de la liquidation, ce qui est pour eux nettement moins bien. Le contrat lorsqu’il fut souscrit prévoyait le versement d’une prime unique, mais surtout les fonds dans lesquels l’argent fut investi comportaient des placements à capital garanti, avance un investisseur mécontent en arguant que la compagnie « est tenue au remboursement de l’épargne valorisée avant la liquidation » d’Excell Life et pas au moment de celle-ci. Un autre plaignant invoque par ailleurs le fait que les assurés « bénéficient d’un privilège sur les actifs sous-jacent du fonds de la branche 23 (terme plutôt utilisé en Belgique pour désigner certains produits d’assurance-vie adossés à des fonds d’investissement, ndlr) par rapport aux autres créanciers » et que ces produits constituent un patrimoine distinct dans le bilan de l’assureur. L’argument pourrait faire « tilt » devant la justice luxembourgeoise. En tout cas en France, il a permis à de nombreux épargnants de faire annuler des contrats d’assurance-vie, pour certains souscrits au Luxembourg, en raison de défaillances d’informations dans les clauses au nom de la violation des dispositions d’ordre public. Prescriptions d’ailleurs inscrites en lettre d’or dans une directive européenne de 2002 sur l’intermédiation en assurance, qui oblige les assureurs de l’UE à faire une distinction dans leurs bilans entre leurs fonds et le patrimoine des souscripteurs, précisément au nom de la protection de l’épargne. Excell Life n’a pas respecté ces règles élémentaires de protection des assurés et le Commissariat aux assurances n’est intervenu que très tard auprès de ses dirigeants pour tenter de remettre les choses en ordre de marche. La facture pour le régulateur risque d’être lourde, en tout cas en termes d’image de marque.