Automobile

Bilan mitigé pour les primes à la casse

d'Lëtzebuerger Land du 05.08.2011

Ces dernières années des dispositifs d’aide au remplacement des voitures ont été mis en œuvre dans de nombreux pays à travers le monde, avec des objectifs variés :

• Soutenir l’industrie automobile (pas seulement les constructeurs, mais aussi les concessionnaires et les activités connexes) en maintenant le niveau de la demande ;

• Améliorer la qualité de l’air en réduisant surtout les émissions de CO2 ;

• Réduire la dépendance par rapport au pétrole en abaissant la consommation ;

• Améliorer la sécurité routière.

Selon un rapport publié fin juillet par le Forum international des transports, laboratoire de réflexion sur la politique des transports apparenté à l’OCDE et la Fondation FIA (Fédération internationale de l’automobile), les programmes de renouvellement du parc automobile mis en œuvre, souvent à la hâte, aux États-Unis, en France et en Allemagne peinent à atteindre certains objectifs-clés. Toutefois, ce document de 70 pages, rédigé par l’institut néerlandais TNO, ne traite pas de l’impact des mesures sur l’emploi, alors qu’il s’agissait sans doute de l’objectif principal. Il visait surtout à évaluer leur impact sur la réduction de la consommation de carburant, sur celle des émissions de CO2 et d’autres gaz polluants (notamment les oxydes d’azote NOx) et sur l’amélioration de la sécurité. Il a tenté de calculer leur rentabilité globale (coût/bénéfice) pour la société et de fournir des conseils sur la façon dont ces aides, si elles devaient être renouvelées, pourraient être mieux utilisées.

L’étude s’est intéressée aux mesu-res mises en place aux États-Unis (programme CARS), en Allemagne (Umweltprämie) et en France (prime à la casse) en 2009, parce qu’elles ont permis de recueillir des données suffisamment précises pour des analyses et des conclusions détaillées. Les trois dispositifs sont très différents par leur ampleur : le programme allemand a coûté 3 milliards d’euros en subventions, cinq fois plus que son homologue français (555 millions) et même 3,5 fois plus que les mesures américaines (850 millions). La différence est encore plus forte si on rapporte ces chiffres au parc automobile local. En Allemagne, la moyenne est de 68,2 euros par véhicule en circulation, contre 14,8 euros en France et seulement 3,35 euros aux États-Unis.

Mais ils ont de nombreux points communs. En premier lieu, celui d’être tous trois déficitaires, surtout en Allemagne, où les « bénéfices » ne couvrent que 25 pour cent du coût engagé, représenté par les primes pour le retrait des véhicules de la circulation. En France, les bénéfices se montent à 46 p.c. des dépenses, seul le programme américain s’en tire assez bien avec 78 p.c. Rappelons que l’impact social, en termes d’emplois directs et indirects préservés, n’a pas été pris en compte, ce qui fait dire aux auteurs du rapport que le dispositif américain est sans doute équilibré.

Autre point commun : dans chaque pays, les deux impacts les plus forts ne sont pas ceux qui étaient les plus attendus. Globalement, la retombée la plus élevée (53 p.c. du total des bénéfices) concerne la réduction des émissions d’oxydes d’azote. Vient ensuite l’impact en termes de santé publique (diminution du nombre de mort et de blessés) avec 39,4 p.c. En revanche, les incidences positives en matière d’émissions de CO2 sont très faibles en valeur (25 millions d’euros, soit 1,5 p.c. du total), même si elles sont impressionnantes en volume : de 2010 à 2025, on prévoit en effet, grâce aux primes versées, une réduction totale de 100 000 tonnes de CO2 aux États-Unis, de 200 000 tonnes en Allemagne et de 265 000 tonnes en France.

L’impact sur les émissions de NOx s’est révélé prédominant aux États-Unis, où, avec 490 millions d’euros, il représente les trois quarts du bénéfice total des mesures. Le résultat est également très bon en Allemagne (40 p.c. des retombées positives) et en France (37 p.c), mais dans ces deux pays le principal avantage est constitué par les économies en vies humaines et en blessures graves. Ce critère représente 53,6 p.c. des bénéfices en Allemagne et 39,2 p.c. en France, contre seulement 23 p.c. aux États-Unis. En Allemagne, ce sont 60 vies humaines et 6 100 blessures graves qui ont été épargnées grâce aux mesures d’incitation à l’achat de véhicules neufs plus sûrs. Aux États-Unis, le dispositif a permis d’éviter 40 morts et 2 800 blessés, ce qui est finalement bien mieux qu’en Allemagne par rapport au coût du dispositif : on a certes deux fois moins de tués et blessés épargnés, mais les subventions ont été 3,5 fois moindres (et même 20 fois moindres si on considère la taille du parc automobile).

Pour les auteurs du rapport, la principale conclusion est que les dispositifs actuels sont trop généraux, des subventions indifférenciées ne parvenant pas à atteindre des résultats satisfaisants dans tous les domaines étudiés, où les objectifs sont parfois contradictoires.

Une réflexion doit être menée très en amont sur les objectifs de ce type de programme avant d’en fixer les paramètres (conditions et incitations concernant les véhicules repris et les véhicules neufs). Selon Jack Short, secrétaire général du Forum international des transports, qui s’exprimait à l’occasion de la sortie du rapport, « les subventions au renouvellement du parc automobile peuvent être très avantageuses, mais uniquement si elles sont judicieusement conçues ».

Il faudrait donc adopter à l’avenir, si l’occasion se représente dans les trois pays étudiés, ou si d’autres pays souhaitent appliquer des dispositifs analogues, des mesures beaucoup plus ciblées. En ce qui concerne les véhicules à mettre à l’écart, les subventions devraient être modulées de façon à viser davantage les plus anciens (plus de 15 ans) et les plus gros (la cylindrée restant à définir). Il serait aussi souhaitable de tenir compte du kilométrage. En effet, mettre à la casse une voiture ancienne qui roule peu ne procure guère d’avantages, alors que l’élimination d’une voiture plus récente qui roule beaucoup serait plus profitable.

En ce qui concerne les véhicules achetés en remplacement, il faudrait aussi être plus précis, en termes de cylindrée et de motorisa-tion, mais les arbitrages sont difficiles à faire. Par exemple, les petites cylindrées sont moins gourmandes en carburant mais statistiquement moins sûres que des berlines plus grosses. Et l’exemple de l’Allemagne, où l’on a vu, le remplacement d’un grand nombre de véhicules légers et de petite taille par des véhicules de taille moyenne, montre que l’efficacité globale du système s’en trouve réduite.

Le rapport montre aussi qu’en France, la focalisation sur la consommation de carburant et sur la réduction des émissions de CO2 (ces deux critères pesant 23,5 p.c. des bénéfices contre 6,5 p.c. en Allemagne et 3,7 p.c. aux États-Unis) conduit les acheteurs à privilégier les véhicules diesel (plus de trois quarts des immatriculations) au détriment des émissions d’oxydes d’azote.

Dans tous les cas de figure, les modifications proposées conduiraient à rendre les éventuels dispositifs d’aide beaucoup plus complexes qu’ils ne le sont aujourd’hui. Il reste juste à espérer que le marché automobile mondial n’en aura plus besoin de sitôt.

Georges Canto
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