Mercredi 8 octobre à Milan Le Premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel (DP) et le ministre du Travail et de l’Emploi Nicolas Schmit (LSAP) assistent au troisième sommet européen de l’Union européenne, organisé par la présidence italienne du Conseil des ministres, dédié au sujet du chômage des jeunes. Les chefs d’État et de gouvernement ainsi que les responsables de la Commission et les ministres du Travail y essayent de relancer une initiative décidée en avril 2013, mais dont la mise en œuvre s’est grippée depuis : la garantie jeunesse. En effet, afin de lutter contre le chômage dramatiquement élevé des jeunes en Europe – cinq millions de jeunes chômeurs, soit un taux moyen de 21,7 pour cent, ce qui, à part les drames personnels, risque de coûter « plusieurs points de croissance à la zone euro, et ce pendant au moins une décennie », selon l’économiste Joseph Stiglitz (Le Monde du 7 octobre) –, la Commission a débloqué une aide extraordinaire de six milliards d’euros à investir dans la mise en place de programmes spéciaux ciblés. Or, en un an, seulement un pour cent de cette somme a été engagé dans des programmes concrets.
Le Luxembourg n’est pas éligible pour l’aide européenne, réservée aux pays dont le taux de « Neet » (not in education, employment or training) dépasse les 25 pour cent. Alors que l’Allemagne (7,6 pour cent) est l’élève modèle dans le domaine, les pays du Sud comme l’Espagne (53,7 pour cent) ou la Grèce (51,6 pour cent) en forment le peloton de queue. Avec un taux de chômage des jeunes de près de quinze pour cent (quelque 2 600 personnes en début d’année), le Luxembourg se situe parmi les meilleurs élèves. Néanmoins, Nicolas Schmit a promis une attention particulière de l’administration à ces jeunes demandeurs d’emploi qui ont entre seize et 24 ans. Le Plan national de mise en œuvre de la garantie pour la jeunesse a été finalisé et envoyé à Bruxelles en mai et officiellement lancé fin juin de cette année. Un programme ambitieux qui promet « une solution » (école, stage ou emploi) pour chaque jeune inscrit à l’Adem, et ce dans ce fameux délai de quatre mois.
Mercredi 8 octobre, place de l’Étoile à Luxembourg. La « Maison de l’orientation » qui y a été installée il y a deux ans, s’est transformée en une ruche le temps de la journée porte ouverte. Des jeunes aux oreilles piercées et aux bras tatoués cherchent leur chemin vers le service voulu ; des mamans avec leurs filles adolescentes demandent timidement conseil à l’un ou l’autre assistante sociale, éducateur ou responsable de service qui les accueillent avec le sourire. « Le regroupement de tous les services qui aident le jeune à trouver son chemin vers le marché de l’emploi s’est avéré très utile », explique Claudine Colbach, directrice de l’Action locale pour jeunes (ALJ). Ici, le CPOS (Centre de psychologie et d’orientation scolaires) aide le jeune à définir ses compétences et à sonder ses envies professionnelles ; le Beruffsinformatiouns-Zentrum (Biz) pourra lui montrer les différentes carrières et les métiers existant dans les domaines qui l’intéressent, le Service national pour la jeunesse (SNJ) lui organiser un volontariat, s’il désire expérimenter avant de s’engager dans une formation spécifique, et l’ALJ l’accompagner concrètement dans son retour à l’école.
L’ALJ est un des trois acteurs, avec le SNJ et l’Adem (Agence pour le développement de l’emploi) de la mise en œuvre du plan garantie pour la jeunesse, qui ne doit pas seulement orienter le jeune demandeur d’emploi vers le marché du travail, mais aussi, éventuellement, l’encourager à terminer une scolarité qu’il a peut-être abandonnée sans diplôme. Ce qui est le cas de 45 pour cent des jeunes qui se présentent, la plupart du temps à l’Adem. Les deux maîtres mots du programme sont « mise en réseau » et « parcours personnalisé ». Une fois inscrit à l’Adem, le jeune se verra proposer dans les deux semaines un rendez-vous avec un « conseiller spécialisé », formé pour le programme. Ils étaient 1 600 personnes à entamer ce parcours depuis fin juin.
Le grand vague « Ce que nous observons, c’est que le jeunes ne savent pas toujours ce qu’ils veulent vraiment dans la vie », explique Vera Weisgerber, chargée du projet auprès de l’Adem. Il s’agit donc en premier lieu d’établir un profil du jeune demandeur, de voir quels sont ses diplômes, son expérience et ses compétences, quels sont ses éventuels problèmes (familiaux, sociaux, de santé) et comment les résoudre, afin de pouvoir ensuite définir ensemble son « parcours personnalisé vers l’emploi ». Pour un jeune avec diplôme, ce parcours sera beaucoup plus rapide que pour un jeune sans formation achevée. C’est pourquoi un retour sur les bancs de l’école sera toujours proposé, avec l’entremise de l’ALJ.
Qui organise par exemple Back to school, des programmes de stages en entreprise, non rémunérés mais de très courte durée, maximum deux semaines, pour fournir au jeune un regard de l’intérieur dans une profession et de l’orienter peut-être vers une formation professionnelle. Souvent, ceux qui ont décroché il y a quelques mois ou années, sont beaucoup plus âgés que les autres élèves de leur niveau scolaire, l’ALJ les aidera alors à trouver une école qui accepte de les intégrer dans son cursus. Ou alors une autre voie, sachant que l’École de la deuxième chance est déjà surpeuplée et que les offres en formations professionnelles pour adultes sont sous-développées au Luxembourg. Des ateliers de ALJ, comme Yes ech wëll, où une quinzaine de jeunes sont encadrés durant quatre mois et demi avec des cours de teambuilding, de stylisme ou encore de gestuelle, doivent redonner goût à un apprentissage régulier et aplanir des problèmes qui ont pu rendre leur accès au marché de l’emploi plus difficile. Après le premier de ces workshops intensifs, 92 pour cent des participants ont trouvé une solution pour démarrer une carrière.
Ceux parmi les jeunes qui ne savent pas encore vraiment quoi faire, plutôt école ou plutôt boulot, peuvent s’inscrire dans un service volontaire (d’orientation ou civique, selon ses diplômes) encadré par le SNJ et qui ont lieu dans des ONG ou des asbl, dans les secteurs social, culturel ou écologique. Le tout, encore une fois, pour acquérir une première expérience et se faire une idée. Ici, le jeune est défrayé avec un petit argent de poche et inscrit aux assurances sociales. « Mais au gouvernement maintenant de trancher : nous avons un millier d’inscriptions pour de tels services volontaires par an, mais nos moyens ne nous permettent d’en encadrer que 250 à 300 par an », précise Nathalie Schirtz, la responsable de la garantie jeunesse du SNJ.
Si les deux services en charge du volet formation du programme, l’ALJ et le SNJ, furent plus lents à mettre en place leurs offres spécifiques, c’est non seulement une question de moyens, notamment humains, mais aussi une question structurelle : sous le gouvernement Bettel/Schneider/Braz, tous les services en charge de la jeunesse ont été regroupés dans le portefeuille de l’Éducation nationale, donc de Claude Meisch (DP), ce qui a impliqué un certain nombre d’adaptations. Une des principales missions de Vera Weisgerber à l’Adem est d’ailleurs le travail de coordination entre les administrations et entre les personnes en charge, « ça ne servirait à rien d’établir trois ‘parcours personnalisés’ à trois endroits différents pour le même jeune. »
Encadrement personnalisé « Le programme de la garantie jeunesse est exemplaire de ce que sera, à terme, notre méthode de travail pour tous les demandeurs d’emploi », explique la directrice de l’Adem Isabelle Schlesser. Une quinzaine de conseillers spécialisés, volontaires pour ces postes, ont été spécialement formés pour encadrer ces jeunes ; ils n’ont pas plus d’une centaine de clients par conseiller (contre une moyenne d’entre 300 et 400 dans le fonctionnement régulier de l’Adem) et peuvent ainsi garantir une prise en charge beaucoup plus personnalisée du jeune demandeur. Dès son deuxième rendez-vous, le jeune signe une convention de collaboration, dans laquelle l’Adem s’engage à lui trouver des « offres de qualité » – mais ce n’est pas une garantie d’emploi ! –, alors que le jeune s’engage à s’impliquer activement dans la recherche d’un contrat de travail. Seul mille personnes, sur les 1 600 qui se sont inscrites en un peu moins de quatre mois, ont finalement suivi le premier atelier proposé dans ce contexte, un atelier de rédaction de CV. Donc 600 jeunes ont été « perdus » en cours de route, soit parce qu’ils ont trouvé un emploi, soit parce qu’ils ont repris l’école ou se sont simplement découragés.
Si 77 pour cent des jeunes inscrits suivent un « projet régulier », c’est-à-dire qu’ils sont « prêts » pour le marché de l’emploi et cherchent uniquement la bonne opportunité, presque un quart, 23 pour cent, se voient offrir un « projet intensif », individualisé, avec une offre de formations et d’appuis répondant à leurs faiblesses. L’Adem a actuellement un catalogue d’une centaine de formations, qui peuvent, promet la directrice, encore être adaptées aux besoins qui s’avéreraient. « Les stages et les formations sont essentiels, raconte Vera Weisgerber, parce qu’ils permettent au jeune de voir comment fonctionne concrètement un métier, mais aussi pour des compétences plus ‘soft’ comme entrer dans un réseau… Et surtout ne pas rester cloisonné à la maison ».
Les stages les plus courants pour les jeunes demandeurs d’emploi restent les CAE (contrat appui-emploi, secteur public et paraétatique) et les CIE (contrat d’initiation à l’emploi, secteur privé) : en août, il y avait 350 jeunes en CAE et 750 en CIE. Outre une aide substantielle pour l’employeur (qui se voit attribuer un cofinancement allant de 50 à 75 pour cent de la rémunération du jeune), ces stages garantissent une formation complémentaire et offrent souvent une voie vers un contrat fixe, surtout ceux dans le privé. Le « projet jeunes » lancé en 2013, avant la garantie jeunesse, offre une formation plus intensive dans laquelle le jeune participe à six ateliers et un stage d’un an en entreprise dans différents secteurs afin de voir concrètement quelles sont ses compétences et ses envies professionnelles. Quelque 300 jeunes y ont participé la première année dans 183 entreprises différentes, de la restauration au transport.
« Nous saluons bien sûr la garantie jeunesse comme un élément d’une politique d’emploi active », affirme Taina Bofferding, secrétaire syndicale à l’OGBL, où elle est responsable de l’encadrement des jeunes, et par ailleurs députée socialiste. « Mais pour nous, il reste beaucoup de questions non-résolues : par exemple la définition de l’offre ‘de qualité’, qu’est-ce que cela veut dire ? Et puis, tout cela sonne bien, mais ces formations ne sont pas toujours efficaces et l’encadrement proposé laisse souvent à désirer. » Pour elle, il est également incompréhensible que le programme s’arrête à 24 ans ; l’OBGL-Jeunes aimerait le voir prolongé jusqu’à trente ans, pour accueillir aussi davantage de jeunes universitaires en recherche d’emploi. D’ailleurs, Taina Bofferding voit une réelle tendance vers une précarisation des jeunes sur le marché de l’emploi, le contrat de travail à durée indéterminé devenant une exception, alors que beaucoup de jeunes débutant sur le marché se verraient proposer de plus en plus de contrats à durée déterminée qu’ils sont obligés d’enchaîner avant de décrocher le Graal, « ce qui pose vraiment la question de la perspective d’avenir pour le jeune » constate-t-elle. Le syndicat demande en outre une « vraie évaluation » du programme après les premiers quatre mois. L’Adem promet des chiffres concrets sur les réussites et les adaptations à faire d’ici novembre.