J’aime rentrer. Je savoure chacune de mes rentrées, et je dis à chaque fois à mon amoureux, car je le ressens comme ee laangt heemkommen. Cela a très peu à faire avec notre chez-nous et tout à faire avec le fait que rentrer chez-nous commence dès que nous quittons un nulle-part au nom de Dikkrecherstrooss et que nous cheminons quelques 250 mètres de la rue Jean Haris avant de franchir la porte de chez-nous.
Laang heemkommen je l’ai piqué à Supertramp et je l’ai détourné de son sens qui décrit le choix de se détourner de son chemin au profit d’une réflexion sur les choses plus importantes. C’est précisément à quoi ont invité Guy Vattier, maire de Briey, et le Luca (Luxembourg Centre for Architecture) à l’occasion de l’édition 2015 d’Impressions d’architecture sur le thème « reconquérir les rues ».
Un programme complet comportant expositions, visites, vernissages, conférences, table-rondes, promenades et soirée festive avec une sélection d’invités et d’orateurs délicieusement complémentaires, le tout dans une ambiance où l’on se sentait chez-soi. Chez-soi, bien évidemment grâce à l’accueil, à l’ouverture et à la chaleur des participants, mais beaucoup plus en raison de l’accessibilité et de la connaissance du sujet. Reconquérir les rues a ainsi rendu attentif sur ces caractéristiques spécifiques de la rue connue, vécue, utilisée, subie par tous et qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, est bien plus flexible et plus malléable que sa réputation due à la rigidité des ingénieurs qui la dressent et qui la calculent. Ainsi la rue, l’espace rue, est cultivable, fertile et peut être souple, même câlin et ceci pas que ailleurs, tel que l’on l’a vu ces 16-18 octobre passés, pas que à travers des interventions de spécialistes, artistes ou collectifs pluridisciplinaires, mais aussi à Luxembourg et sans nécessairement faire exprès, chez-nous an der Stad…
D’Fleschiergaas, la rue de la Boucherie est un bel exemple de métamorphose de l’espace-rue dans le temps, sans planification mais suite à l’appropriation des citoyens. Depuis l’ouverture et grâce au succès permanent de jour comme de nuit en semaine comme en weekend du Urban, les utilisateurs qui au début ne faisaient que transiter cette rue se sont petit a petit sédentarisés, les autres commerces y ont contribué à leur tour de manière à ce que des bancs en bois et des tables et des chaises ont fini par être installés entre les bacs à plantes à leur tour installés afin d’éviter le stationnement des voitures. Aujourd’hui c’est une petite rue où l’on s’attarde, on est soit déjà soit encore au Urban ou au Kale Kaffi ou au Essenza etc. Et tant qu’on y est on s’attarde également devant les autres vitrines, on se rencontre on papote. Physiquement, les seuils perdurent mais à peine si l’on s’en aperçoit.
Le Grund, ce petit quartier qui est le nôtre, a connu un phénomène plutôt inverse… Alors que le Updown, le vins fins et la boulangerie-pâtisserie Viaduc continuent de poser chaises et tables sur la pavé, le Liquid Bar a même installé un banc devant son entrée, Mosconi se donne tout le mal mignon et végétal afin de ne surtout pas donner l’impression d’avoir une terrasse extérieure côté Grund, mais uniquement côté Alzette, le Scott’s quant à lui a carrément choisi de construire un seuil là où il n’y en avait jamais : une énorme terrasse en bois avec garde-corps, là (est-ce par réaction ?) on choisit d’être moche plutôt que mignon. Mignon, moche, caché ou ouvert, en faisant un petit tour du quartier l’on découvre d’autres bancs, d’autres plantes devant des maisons qui annoncent des chez-nous, qui racontent la citoyenneté des habitant, leur aisance, leur ouverture et disponibilité mais surtout leur présence.
Cependant la tendance actuelle générale et locale ressemble plutôt à de la méfiance. La vie semble se retirer de la rue, des jardinets ou « frontages » des rez-de-chaussées, même pour ne s’installer qu’à l’intérieur, aux étages ou côté cour. Mais s’est couper court !
La rue de Strasbourg, la rue du grand-duché connue au-delà des frontières, hélas pour les mauvaises raisons, connaît un sort bien plus inquiétant. Elle est longue, la rue de Strasbourg, elle fait deux fois et demi mon heemkommen, et elle est une des rues les plus habitées de la capitale. Remplies de chez-nous, elle a de plus en plus l’air d’une rue nulle-part. Un nulle-part occupé par une population errante mais sédentaire de soi-disant-dealers, les habitants se sentent de moins en moins chez-eux ils se retirent de l’espace rue et abandonnent leur citoyenneté. La vie de quartier tient à une toile d’araignée invisible, tissée entre les commerçants installés aux alentours de la place et qui s’approprient l’espace-rue en affirmant leur présence. Comme dirait Hamlet, c’est être ou ne pas être – dans l’espace-rue.
Pour reconquérir nos rues il faudra les cultiver ensemble ; déambuler, trainer, y gaspiller notre temps, nos envies, nos ressentis, nos folies nous y rencontrer et dire « Moien ». Il est indispensable de nous affirmer chez nous, de signaler que l’on s’approche de chez nous, d’un chez-nous car dès que nous sommes chez-nous ou chez quelqu’un, nous sommes là et nous ne sommes plus nulle-part. « Bienvenus » – dites-le avec des fleurs, avec un banc, une chaise, une plante. Vous serez étonnés, cela marche mieux que le « chien méchant ».