d’Lëtzebuerger Land : Depuis cette rentrée académique, l’Uni.lu a emménagé dans ses nouveaux bâtiments à Belval ; la Maison du savoir, la Maison des sciences humaines et celle de l’innovation sont désormais occupées. Quelles sont, une semaine après l’inauguration officielle, vos premières expériences avec les étudiants sur place ? Est-ce que tout fonctionne comme prévu ?
Luc Dhamen : J’avoue que les dernières semaines étaient un peu stressantes, parce que nous avons dû gérer plusieurs choses en même temps, dont le déménagement de l’Université du Luxembourg et la rentrée académique n’étaient qu’un des chantiers. Alors, certes, bien que les bâtiments aient été prêts, il y a toujours des ajustements à faire en dernière minute, il y avait notamment la mise en place des installations de sécurité. Mais d’après les retours que j’ai eus jusqu’à présent, l’Université est très satisfaite de la manière dont nous avons géré la chose. Et je dois dire que nous aussi, nous trouvions que cela s’est bien passé.
Certains enseignants-chercheurs et étudiants se plaignent de bâtiments qui ne seraient pas adaptés à leurs besoins, bourrés de haute technologie, mais pas forcément fonctionnels. Est-ce que vous allez faire des adaptations ?
Bien sûr que nous allons faire des adaptations. Nous allons d’ailleurs nous concerter prochainement avec l’Université pour une mise au point. Il est évident, et cela chaque maître d’ouvrage le sait, qu’aucun chantier n’est parfait dès le début.
Une des critiques récurrentes est par exemple la présence jugée massive de personnel de sécurité privé dans les bâtiments.
Nous avons recours à des sociétés privées pour les services de conciergerie qui ne pourraient être garantis par le personnel propre. Et ces personnels connaissent bien les bâtiments parce que beaucoup d’entre eux furent déjà sur le chantier, donc ils peuvent vraiment guider les gens. C’est la définition que j’aimerais en donner : ils sont une aide à l’orientation, et c’est pour cela aussi qu’il y en a autant, parce qu’au début, cette orientation est encore plus importante pour les quelque 2 000 étudiants qui viennent seulement de découvrir le site. Le sentiment négatif provient probablement du fait qu’ils portent des uniformes de leurs sociétés de gardiennage, mais ce sont surtout des concierges et des guides. Nous avons essayé de développer ce concept avec tous les acteurs impliqués. Et je dois dire que jusqu’à présent, les échos que j’ai reçus étaient plutôt positifs.
Dans une de ses prochaines séances plénières, la Chambre des députés devrait adopter le projet de loi n° 6782, qui modifie les missions du Fonds et vous attribue aussi des missions de gestion et d’entretien des bâtiments à Belval, qu’en fait vous assumez déjà. Comment vous y préparez-vous ? Et n’y a-t-il pas un risque de dérive vers une privatisation de fonctions publiques essentielles d’un État, comme l’enseignement ?
La nouvelle loi ne nous attribue pas seulement une partie de maintenance, de gérance et d’entretien préventif de ces infrastructures, dont l’État deviendra propriétaire pour déléguer, à son tour, leur gestion au Fonds Belval, mais aussi une partie de gestion proactive des infrastructures, avec la volonté d’exploiter également les parkings, les surfaces commerciales, les hauts fourneaux, les grandes salles de réunion du site et auditoires de la Maison du savoir, l’université en gardant cependant un droit de réservation prioritaire. Puisque les cours d’enseignement de l’Uni.lu ne sont en principe dispensés que durant 28 semaines par an et que les autres activités de l’université, en dehors de cette plage, tels les examens, conférences ou autres ne sont pas de nature à remplir toutes ces salles, il serait dommage de ne pas mettre ces infrastructures à disposition des autres partenaires du site, dont les centres de recherches, ou de rentabiliser et valoriser autrement ces équipements le restant de l’année.
Il y a douze auditoires sur le site, dont le plus grand peut accueillir jusqu’à 750 personnes, il serait dommage qu’ils restent vides. Nous avons donc aussi pour mission d’exploiter ces équipements durant le reste du temps, avec une palette d’offres de location pour l’État, les établissements publics du site, mais aussi des locataires privés, auxquels nous facturons le grand auditoire 4 000 euros par jour, ce qui est, je crois, un prix correct. Il s’agit souvent de tout un package qui est demandé, cela va de la simple conférence en passant par la visite guidée du site et/ou des hauts fourneaux jusqu’au dîner le soir. Grâce à la possibilité d’utilisation des grandes salles de réunion, de rencontre ou de conférence par tous les partenaires présents sur le site, nous faisons faire des économies considérables à l’État, vu que ces infrastructures coûteuses et importantes en surface ne doivent pas être réalisées dans tout le bâtiment : ces synergies font que les programmes de construction peuvent être réduits, et cela revient moins cher aussi bien en ce qui concerne le coût de la construction proprement dite que, également et surtout, en ce qui concerne les coûts d’entretien et d’exploitation ; et, en plus, tout le monde apprend à se connaître, à cohabiter et à développer des interactions intéressantes entre institutions.
Cette partie de nos nouvelles missions, nous l’assurons effectivement déjà, notamment dans le cadre de la Présidence luxembourgeoise du Conseil des ministres de l’Union européenne. Nos trente employés avons travaillent beaucoup en ce moment ; selon les manifestations prévues, ils sont ici dès 6h30 et certains ne repartent qu’à 23 heures pour arriver à tout faire. Nous avons énormément de visites du site, mais aussi des conférences dans les auditoires de la Maison du savoir, où nous devons parfois assurer des missions complexes comme du live-streaming, des vidéo-conférences en direct entre le public de l’auditoire et un autre conférencier à l’étranger ou encore l’installation d’un Twitter-wall – ce qui, dans un bâtiment neuf où tout doit encore être rôdé, peut s’avérer un véritable casse-tête. Mais grâce à une bonne équipe, entièrement dévouée à la réussite des projets, cela fonctionne. Je dis toujours que nous faisons ces missions aussi dans l’intérêt national : on parle beaucoup de nation branding en ce moment, donc nous faisons aussi du Belval branding. Si les participants européens d’un tel événement partent satisfaits, cela profite à tout le pays. Il faut dire que notre site est si exceptionnel, que cette constellation de vestiges industriels plus de l’architecture contemporaine de qualité est si unique qu’il serait dommage de ne pas les valoriser.
Mais alors vous devez recruter d’autres profils à l’avenir, car jusqu’à présent, votre personnel était surtout constitué d’architectes et d’ingénieurs...
Oui, nous avons pu ouvrir quatre nouveaux postes, qui concernaient des techniciens spécialisés dans l’audiovisuel ou des aides administratives et d’accueil permettant de mieux gérer les événements et d’offrir un service de qualité.
Est-ce que votre dotation budgétaire – 3,5 millions d’euros en 2015 – augmentera en conséquence ?
Il en a été question à un moment, mais cela n’a pas été fait ; les budgets à venir devront tenir compte notamment des frais de fonctionnement en conséquence des nouvelles missions confiées au Fonds Belval ; si l’on regarde ce sujet du seul point de vue financier, les recettes que ces nouvelles missions vont générer – exploitation des parkings publics sur le site, locations des salles et visites guidées –, suffiront amplement à couvrir les frais de personnel supplémentaires.
Vous avez pu rassurer les députés de la commission de contrôle de l’exécution budgétaire lundi que la plupart des budgets de construction ont été respectés, à l’exception de la restauration des hauts fourneaux. Qu’est-ce qui a causé les dépassements dans ce domaine ?
En fait, il y avait deux lois concernant les hauts-fourneaux, la première concernant la stabilisation et sécurisation des structures pour éviter que des pièces ne se détachent, et la deuxième ayant trait à leur restauration dans l’état que nous connaissons aujourd’hui et qui est, je crois pouvoir le dire, très réussie. C’était une opération dont on ne savait pas exactement quelles surprises ou imprévus, inhérents à tout projet de restauration, pourraient se présenter, quels étaient les vrais états de dégradation face auxquels il fallait réagir de façon appropriée. Finalement le budget d’une loi a été dépassé légèrement, alors que l’autre est restée en-dessous du budget disponible. Mais en considérant les deux lois ensemble, on est sous les cent pour cent du budget alloué.
La Maison du nombre, celle des arts et celle des livres devraient pouvoir ouvrir en 2016-2017. Quelles sont les autres étapes à suivre ?
Oui, ces trois bâtiments, qui sont en construction, devraient être prêts fin 2016 ou au début de l’année 2017, sachant que la Maison du livre deviendra plutôt un centre de rencontres, seulement deux tiers de l’ancienne Möllerei dans laquelle elle sera installée étant occupés par la bibliothèque universitaire. Il faudra effectivement réfléchir à ce qui adviendra de l’autre tiers, qui était initialement prévu pour faire partie du Centre national pour la culture industrielle (CNCI). Au nord du site, la maison de la vie et celle des matériaux, qui abriteront des laboratoires, sont également en construction et devraient pouvoir être achevés en 2018. Donc jusqu’à présent, nous avons terminé quinze projets et cinq autres sont en construction.
Puis nous allons analyser les prochains projets dont les planifications seront entamées en 2016 : la phase 1 du Centre sportif, suivie par la maison de l’environnement 2 et la maison des matériaux 2.
Nous avons eu un bon échange d’idées avec notre ministre de tutelle, François Bausch (Déi Gréng), où il a notamment été question du logement à Belval. L’État possède encore des terrains qui s’y prêteraient, mais il faudra veiller à une certaine mixité entre logement étudiant et logement classique ou d’autres formes d’habitations moins connues, sinon, là encore, les bâtiments risqueraient de n’être occupés que 28 semaines par an. Et nous optons toujours pour une mixité des fonctions, donc le commerce, la restauration, des espaces pour professions libérales etc., et l’espace urbain, qui occupe toujours une priorité dans nos réflexions : création de places animées à échelle humaine, qualité et aménagements urbains cohérents, perméabilité urbaine aux rez-de-chaussées dans ce lieu conçu en grande partie comme zone piétonne...
En parlant de projets remis aux calendes grecques, il y a aussi le CNCI (qui était inscrit dans le deuxième projet de loi sur les hauts-fourneaux mais a été supprimé au Parlement) et les Archives nationales, pour lesquels tout semblait prêt, mais qui n’ont finalement pas été construits...
(Sourit). Oui, nous pouvons aussi parler de ces projets, mais ils dépendent en fait de décisions politiques. Nous avons d’ailleurs pu récemment accueillir la ministre de la Culture Maggy Nagel (DP), avec laquelle nous avons eu un très bon échange de vues. Les lieux qui étaient prévus pour le CNCI ne sont pas complètement perdus pour la culture : nous organisons des réceptions et des accueils sous le toit de la Halle des coulées par exemple. En ce qui concerne les Archives nationales, je peux dire que le conseil de gouvernement devrait prendre une décision les concernant prochainement. Mais c’est bien sûr toujours une question de priorités et de budget : le gouvernement doit décider ce qu’il y a lieu de réaliser en priorité, puis ce qu’il peut financer et quand. Ceci dit, les Archives ont certes un besoin de place, il n’y a pas de doute à cela.
Nous sommes aussi en train de réfléchir à un « bâtiment-phare » dans le domaine de la durabilité au sens large du terme, en prenant en compte de nombreux critères tels l’efficience énergétique, l’écologie, le cycle de vie du bâtiment et des matériaux, le recyclage, la réutilisation, la flexibilité d’exploitation, le confort et l’acceptation, les nouveaux matériaux, des techniques appropriées, les énergies renouvelables,… un bâtiment valorisant le know-how qui est présent sur place et chez tous les acteurs nationaux de la construction, des concepteurs à l’artisanat. Un tel bâtiment du futur, en complément aux monuments industriels et architectures contemporaines, nous irait bien et pourrait faire référence internationalement. Les centres de recherche et l’université pourraient être associés au processus pour créer, le cas échéant, un bâtiment comme laboratoire d’expérimentation. La réalisation d’un tel projet aurait également des retombées intéressantes dans d’autres domaines : sur nos concepteurs, les architectes et ingénieurs, sur notre artisanat et finalement sur l’emploi.
Vous êtes architecte de formation. Quels sont vos « dieux » et quelle est l’architecture que vous défendez ?
(Réfléchit). Je m’identifie le mieux avec une architecture respectueuse, qui sache répondre de façon appropriée à son environnement bâti ou naturel, qui sache par exemple allier passé et contemporanéité, qui soit sobre, épurée et discrète, à formes simples et lignes claires. Un « less is more » a toujours sa justification aujourd’hui de même que le soin et la recherche de la perfection du détail. Donc je dirais que les « modernes » Mies van der Rohe et Le Corbusier sont certes des références importantes, non seulement pour leurs architectures mais également pour leurs réflexions, idées et concepts
Dans cet ordre d’idées, Belval tel que le quartier se présente actuellement, devrait vous convenir ? Le Fonds Belval s’est toujours enorgueilli d’opter pour une architecture de qualité, choisie suite à des concours d’architecture. Est-ce que le résultat vous satisfait ?
Oui, certainement. Le grand défi était de coordonner la diversité des bâtiments et de leurs fonctions sur ce site. Le Fonds Belval a réussi à créer une cohérence dans cette diversité, ce qui va très loin, jusque dans des détails comme l’aménagement et le mobilier urbain ou les espaces verts. Une folie architecturale peut avoir son charme, mais s’il y en avait plusieurs, cela en ferait trop. Aujourd’hui, il y a un dialogue sensible et réussi entre le passé industriel avec ces monuments dans la cité que sont les hauts-fourneaux, et des architectures soignées de très grande qualité, certes, et dont certaines présentent des formes toutes simples, une architecture très lisible aux lignes claires et aux détails très élaborés, ceci face à la forte présence des témoins industriels aux formes et éléments très chargés. Nous construisons toujours à l’échelle humaine, en aménageant des places et des espaces verts pour que l’homme s’y retrouve.
Qu’en est-il du grand projet d’art en espace public Public Art Experience, qui était un peu le dada de votre prédécesseur Alex Fixmer ? Allez-vous le continuer ? Est-ce que les premières résidences auront bien lieu dès cet automne ?
Nous venons d’accueillir tous les artistes retenus aujourd’hui même (mercredi, ndlr.), ils ont maintenant un programme de visites et de présentations de Belval et du Luxembourg qui dure trois jours, avec entre autres des échanges avec la population à Esch, des visites du site naturel Giele Botter, du Mudam ou du Casino, puis certains resteront pour leurs résidences et d’autres reviendront plus tard. Ils auront à leur disposition des appartements sur le site et des ateliers sous les hauts-fourneaux, qui les ont beaucoup impressionnés dès le premier jour. Les artistes travailleront donc pendant leur résidence au site même de la terrasse des hauts-fourneaux et des échanges avec le public, les étudiants, les visiteurs seront possibles. La création artistique contribuera, elle aussi, à l’animation de la Cité. À partir de novembre, il y aura des rencontres Meet the artist à midi à la Masse noire, pour que les artistes puissent aussi rencontrer le public.