En 2016, le résultat des référendums au Royaume-Uni et en Italie, comme celui de l’élection présidentielle américaine, tout aussi inattendus les uns que les autres, ont révélé que le lien de confiance était rompu entre les citoyens et les institutions censées les représenter. Les experts les moins pessimistes jugeaient cependant que le phénomène était circonscrit à quelques démocraties occidentales et que la défiance affectait surtout le personnel politique et les partis. Il semble bien cependant que le mal est plus profond, car il touche de nombreux pays et s’étend à plusieurs institutions. C’est ce qu’a pu établir la société de relations publiques américaine Edelman, dont le 17e « baromètre de la confiance » a été publié le 15 janvier.
Un très vaste échantillon de plus de 32 000 personnes dans 28 pays du monde a été interrogé sur la confiance accordée à quatre grandes catégories d’institutions : le niveau général est médiocre, avec 47 pour
cent de « confiants ». Dans quinze pays il est inférieur à cette moyenne. Les gouvernements sont les moins bien lotis (41 pour cent) suivis par les médias (43 pour cent), alors que les entreprises et les ONG tirent mieux leur épingle du jeu (respectivement 52 et 53 pour cent).
Mais en l’espace d’à peine un an, la baisse a été générale, de trois points en moyenne. Les gouvernements et les entreprises ont limité la casse (-1 point dans chaque cas), mais les ONG baissent de deux points (et même davantage dans dix pays) et les médias en perdent cinq : dans 17 pays, ces derniers atteignent un niveau historiquement bas. Les résultats traduisent de fortes disparités géographiques : la confiance est faible en Europe (la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Suède sont entre 37 et 41 pour cent) mais toujours élevée en Asie (hors Japon), l’Inde, la Chine et l’Indonésie affichant même des taux compris entre 67 et 72 pour cent Les différences sociales sont également très marquées : le sous-ensemble « public informé » accorde aux quatre institutions une confiance moyenne de soixante pour cent, soit quinze points de plus que le grand public, là où l’écart n’était que de neuf points en 2012.
De près ou de loin 85 pour cent des répondants ne sont pas pleinement satisfaits du système politique, économique et social dans lequel ils vivent, qu’ils trouvent injuste et sans espoir. 53 pour cent n’y croient plus du tout et 32 pour cent sont incertains. Le désenchantement touche même les « élites » (à 49 pour cent). Géographiquement, l’opinion selon laquelle « le système ne fonctionne plus pour nous » est vivace (65 à 72 pour cent) aussi bien en Europe occidentale (France, Italie, Espagne) qu’au Mexique et en Afrique du sud. Dans dix autres pays ce sentiment est exprimé par 50 à 65 pour cent des sondés. En revanche, il n’est partagé que par moins d’une personne sur deux dans neuf pays, tous situés en Asie, avec des taux faibles au Japon (42 pour cent) en Inde (36 pour cent) et surtout en Chine (23 pour cent).
Le Trust Barometer a examiné en détail les préoccupations des répondants. Elles portent en priorité sur la corruption (quarante pour cent), assez nettement devant les thèmes de l’immigration (28 pour cent d’inquiets), de la mondialisation (27 pour cent), de l’érosion des valeurs sociales (25 pour cent) et du rythme trop rapide de l’innovation (22 pour cent). Il existe une forte corrélation entre ces peurs et le sentiment que « le système est brisé ». Sur le thème spécifique de l’emploi, les sondés expriment une forte crainte de se retrouver au chômage en raison de la mondialisation (soixante pour cent) et de ses corollaires (délocalisations, immigrés payés moins cher), du manque de formation ou de compétences (soixante pour cent) et de l’automatisation (54 pour cent). Une nette majorité des sondés approuve les mesures protectionnistes et favorisant les emplois et les intérêts locaux, même au prix d’un ralentissement de la croissance.
Selon les auteurs du rapport, la perte de confiance et le climat de craintes sont directement à l’origine des votes « populistes ». Dans un sondage américain il est apparu que 67 pour cent des électeurs de Donald Trump ont affirmé ressentir une ou plusieurs de ces craintes, contre 45 pour cent des électeurs d’Hillary Clinton. Au Royaume-Uni, plus de la moitié des votants en faveur du Brexit ont dit les éprouver, contre 27 pour cent des partisans du « remain ». Les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Italie font justement partie des pays qui combinent de faibles niveaux de foi dans le système avec de multiples peurs.
Le document pointe la responsabilité des médias, qui jouent le rôle d’une « chambre d’écho », alimentant l’anxiété et la méfiance et renforçant les croyances personnelles des individus. La confiance dans les médias traditionnels est toujours bonne (57 pour cent) mais elle s’érode (-5 points en cinq ans) car ils sont à tort ou à raison assimilés aux « élites », ce qui profite aux médias en ligne « purs » (+5 points) et aux moteurs de recherche : 64 pour cent de répondants (+3 points) pensent ainsi pouvoir trouver sur Internet des informations plus fiables que celles figurant dans la presse, malgré la prolifération des « fake news » ! Le grand public donne aussi beaucoup d’importance aux médias sociaux, ce qui revient à accorder sa confiance aux informations émises ou relayées par d’autres personnes.
De fait, 55 pour cent des sondés affirment que les individus sont devenus plus crédibles que les institutions. « Une personne comme nous » est désormais placée au même niveau de confiance (soixante pour cent) qu’un expert technique ou académique comme source d’information sur une entreprise, loin devant les analystes financiers (46 pour cent) et surtout les dirigeants (35 pour cent). Par ailleurs, plus de la moitié des répondants disent préférer leurs expériences personnelles, celles de leurs proches ou celles rapportées sur des sites spécialisés, aux données factuelles et aux statistiques. Un mouvement qui provoque, selon Edelman, une « dépendance envers les pairs ».