Dans la famille de l’autocariste lorrain Transports Schiocchet Excursions sàrl, on est plutôt du genre dur à cuire et à faire le vide autour de soi, tant la rancune est tenace contre les concurrents, les voyageurs et les autorités. Après avoir fait parler d’elle en s’attaquant à une poignée de femmes de ménages françaises, qui préféraient le covoiturage pour aller travailler au Kirchberg à la ligne d’autobus exploitée par Transports Schiocchet Excursions sàrl, voilà que l’entreprise s’en est pris au ministère luxembourgeois des Transports et à une société d’exploitation d’autocars luxembourgeoise Voyage Emile Weber, mettant en cause une licence d’exploitation d’une (petite) ligne entre la France et le grand-duché que le premier a accordé à la seconde.
Schiocchet exploite aussi une ligne transfrontalière, sur un trajet différent. Les routes des deux autocaristes français et luxembourgeois ne font que se croiser et à une seule reprise. Le transporteur français a tout de même considéré que l’ouverture de la ligne exploitée par Emile Weber lui causait préjudice en détournant une bonne partie de sa clientèle en raison du prétendu non-respect du parcours défini dans l’autorisation octroyée par le ministère luxembourgeois des Transports. Après avoir littéralement harcelé l’autocariste luxembourgeois et son sous-traitant en France en faisant établir une bonne dizaine de constats d’huissiers pendant les trajets entre la France et le grand-duché, fait, en vain, le siège du ministère des Transports pour qu’il retire l’autorisation, Transports Schiocchet Excursion a finalement lancé en décembre 2008 devant le tribunal administratif une procédure en annulation, sinon en réformation des autorisations et conventions litigieuses.
« Une procédure incroyable », juridiquement peu étoffée, commente un proche du dossier qui ne s’étonne pas que le tribunal administratif ait déclaré irrecevables les deux recours introduits par l’entreprise familiale. La société exploite depuis février 1990 une ligne régulière entre des communes frontalières françaises et les principaux quartiers d’affaires à Luxembourg. La liaison fut créée à l’origine pour les femmes de ménage des institutions européennes, de la Cloche d’Or et de l’Aéroport.
L’exploitation commerciale de lignes transfrontalières est devenue une activité « non négligeable » dans le chiffre d’affaires des exploitants de bus et de cars. La demande est forte et pas seulement pour les « techniciennes d’entretien » aux horaires décalés par rapport aux autres employés frontaliers. Il n’existe aucun chiffre officiel renseignant du poids de cette activité par rapport aux liaisons intérieures.
Les dirigeants de Schiocchet voient en tout cas rouge lorsque, côté luxembourgeois, le ministre des Transports, Lucien Lux à l’époque, accorde aux Transports Weber l’autorisation d’exploitation d’une liaison régulière entre les deux côtés de la frontière. La société luxembourgeoise la sous-traite à une entreprise française. Deux allers-retours quotidiens sont initialement mis en place, puis face au succès commercial de la ligne, six. Aussitôt, Schiocchet réagit. Une lettre est adressée à Lucien Lux sollicitant le retrait de l’autorisation ministérielle en raison du non-respect par Weber et son sous-traitant de l’itinéraire autorisé et des horaires presque identiques aux siens, contribuant ainsi à la perte d’une partie de sa clientèle. Néanmoins, les contrôles effectués par le ministère à la suite des réclamations ne permettent pas d’identifier d’irrégularités dans l’exploitation de la ligne, ni de fantaisies dans les horaires de desserte.
Assigné, l’État luxembourgeois ne fit d’ailleurs pas déposer de mémoire dans la procédure, jugeant probablement inutile cette démarche.
Le tribunal a considéré dans son jugement du 30 juin dernier que les itinéraires des deux lignes étaient « sensiblement différents » avec un seul point d’intersection et des dessertes de localités en France « considérablement éparpillées dans l’espace », de sorte que « la clientèle diffère également » et que le potentiel des deux lignes « n’est pas le même ». Les juges se sont d’ailleurs demandés en quoi une annulation de l’autorisation luxembourgeoise pouvait servir les intérêts de l’entreprise Schiocchet : le préjudice allégué par ses dirigeants n’étant pas l’exploitation proprement dite de la ligne d’autocars, mais une exécution contraire à l’autorisation, « la partie demanderesse ne saurait retirer un avantage d’une annulation de la décision elle-même, de sorte qu’elle n’a pas d’intérêt à agir à l’encontre de la décision déférée ». Vu la ténacité des dirigeants lorrains, il n’est pas exclu qu’ils fassent appel de cette décision devant la Cour administrative.
En France, la procédure qu’ils avaient intentée en 2005 contre une dizaine de femmes de ménage des institutions européennes contre leur employeur luxembourgeois suit son cours devant la Cour d’appel de Nancy où l’affaire devrait être appelée le 18 novembre prochain pour un éventuel renvoi pour une mise en état.
Le tribunal de grande instance de Briey avait condamné le 9 juillet 2009 les Transports Schiocchet à payer 500 euros à chacune des femmes de ménage assignées et 1 000 euros à la société de nettoyage qui les employait, pour abus de droit. Le transporteur réclamait à l’ensemble des parties assignées (femmes de ménage et leur employeur Onet) un montant de 2,329 millions d’euros de « préjudice économique » en plus des indemnités de factures non acquittées, préavis de rupture de contrat et indemnités de cessation pour un montant total d’environ 90 000 euros.
L’autocariste reprochait à Onet d’avoir orchestré la désaffection de la ligne de bus entre la France et le Kirchberg « par des agissements déloyaux ». Aux femmes des ménages était fait grief d’avoir, sous couvert de covoiturage, « développé une activité organisée, rémunérée et constitutive d’une concurrence illégale et déloyale » et en outre d’avoir « fait des émules », contrevenant ainsi « aux dispositions relatives au transport routier de personne qui est strictement réglementé ».
Dans leur défense, les femmes de ménage ont parlé de véritable « traque » de Schiocchet à leur encontre et justifié l’usage en commun de leur voiture en raison de leur mauvaise appréciation des services du transporteur. Elles ont raconté à l’audience s’être fait suivre par les huissiers jusque sur leur lieu de travail. Du coup, elles avaient formulé, ainsi qu’Onet, une demande reconventionnelle de dommages et intérêts. Les juges de Briey leur ont fait droit. La société de transport lorraine fut impuissante à démontrer au tribunal un lien entre le covoiturage et la désaffectation de la liaison qu’il exploitait entre les deux frontières. Pas plus que ses dirigeants n’ont pu prouver, comme ils alléguaient, qu’Onet avait fait interdiction à ses employées d’utiliser les services de Schiocchet : « Il n’est pas (...) démontré que l’organisation de ces covoiturages ait procédé d’une intention de désorganiser la société Schiocchet et d’en réduire le chiffre d’affaires. Si une telle réduction est inévitable, elle n’est qu’un effet collatéral de la pratique du covoiturage, lui-même étant l’expression, en matière de transport de voyageurs, de la liberté des individus de répondre ou non à l’offre commerciale dont ils sont destinataires et de modifier le choix qu’ils auraient fait antérieurement ». Il a fallu un tribunal de grande instance pour le dire pour droit et une cour d’appel pour peut-être rappeler ces principes à des dirigeants qui viennent de se faire fermer, par la justice luxembourgeoise pour défaillance à la loi, leur succursale à Rumelange.