Ils ont été rapides à dézinguer. En moins d’une semaine, la si posée Confédération générale de la fonction publique (CGFP) a pondu une réaction destructrice sur la réforme du droit de nationalité présentée jeudi dernier, 8 octobre, par le ministre de la Justice Felix Braz (Déi Gréng). Elle aurait « pris acte avec stupeur » de ces propositions, et, bien qu’elle comprenne la volonté de flexibiliser l’accès à la nationalité, annonce son opposition à ce qu’elle juge aller trop loin, le projet équivalant à « brader la nationalité », surtout en ce qui concerne l’allégement des conditions linguistiques nécessaires pour pouvoir devenir Luxembourgeois, et l’introduction du droit du sol, « complètement inacceptable » selon la CGFP. Le syndicat de « l’authentique fonction publique » se veut ainsi le dernier bastion des « vrais Luxembourgeois », qui s’oppose à tout progrès quant à la citoyenneté – tout comme elle s’est toujours férocement battue contre l’accès des non-Luxembourgeois aux postes de l’État jusqu’à ce que les juridictions européennes forcent le Luxembourg à abolir ces discriminations, incompatibles avec le droit européen.
Fred Keup était encore plus rapide à réagir. L’enseignant du secondaire, fondateur de l’Initiatvie Nee 2015, qui s’opposa virulemment au droit de vote pour les étrangers lors du référendum du 7 juin, a écrit un communiqué dévastateur le soir même de la présentation du projet Braz, accusant le gouvernement de « trahison de l’électeur luxembourgeois », qui se tournerait, avec ce projet, contre la volonté des 80 pour cent des Luxembourgeois s’étant exprimés contre ce droit de vote pour les non-Luxembourgeois. Faciliter l’accès à la nationalité, que les tenants du « non » ont pourtant toujours promue comme voie royale de l’acquisition de droits citoyens, équivaudrait à trahir ce que les électeurs auraient exprimé. Et Fred Keup de citer une des enquêtes TNS-Ilres pour RTL réalisée en juin selon laquelle une grande majorité des personnes interrogées seraient contre un abaissement des conditions linguistiques pour pouvoir acquérir la nationalité. Le vocabulaire guerrier de « trahison (par le gouvernement) de la nation qui lui est confiée » se retrouve dans le discours de l’ADR (voir Fernand Kartheiser dans le Land 41/15)
Cette ambiance envenimée explique la parcimonie avec laquelle s’expriment le ministre de la Justice Félix Braz et le chef de l’opposition, Claude Wiseler, président du groupe parlementaire du CSV, sur la question. « Le résultat du référendum, mais aussi les débats déclenchés par l’accueil des réfugiés au Luxembourg rendent la discussion extrêmement difficile », juge ainsi Claude Wiseler, qui voudrait mener le débat autour de la citoyenneté avec une certaine sérénité et dans le calme. « Le référendum du 7 juin ne comportait pas de question sur l’accès à la nationalité, insiste Félix Braz, bien qu’il y ait eu beaucoup de discussions allant dans ce sens. La citoyenneté et la nationalité y ont souvent été liées. Donc oui, nous réagissons aussi à ces débats. » Sachant le terrain miné, il essaie d’obtenir un large consensus politique sur la question, quitte à être un peu moins maximaliste dans ses ambitions de réforme. Ce que d’aucuns, jusque dans les rangs de son propre parti, lui reprochent.
Le constat est simple et évident : Avec un solde migratoire net de 11 000 nouveaux arrivants par an, selon les chiffres cités par Félix Braz, face à quelque 5 000 naturalisations (dont beaucoup de recouvrements), la proportion des étrangers dans la population ne cessera de croître – on en est actuellement à 46 pour cent, tendance toujours à la hausse. Cela implique un réel problème de participation politique et citoyenne : ces non-Luxembourgeois vivent ici, travaillent ici, payent leurs impôts ici, scolarisent leurs enfants ici – mais ne peuvent pas participer à la prise de décision et au façonnement du pays qu’ils contribuent pourtant à constituer. Bien que, depuis la réforme de Luc Frieden (CSV) en 2008, introduisant la double nationalité et facilitant la procédure de naturalisation – qui devint un droit, avec une procédure administrative, au lieu d’une délibération à huis clos au parlement, analysant chaque cas comme une grâce de la part des politiques –, le nombre d’acquisitions de la nationalité annuel ait été multiplié par dix (400 naturalisations par voie parlementaire en 2006/2007, avant cela, il n’y en avait même que 200 ou 250 par an), le gouvernement Juncker / Asselborn 2 avait lui-même déjà constaté les déficits de la loi. L’analyse réalisée pour le compte de François Biltgen (CSV) retint notamment des conditions linguistiques trop ambitieuses, impliquant une sélection sociale (impossible d’apprendre autant de Luxembourgeois pour un ouvrier romanophone qui rentre crevé le soir après huit heures passées sur un chantier), une clause de résidence constituant un pas en arrière par rapport à la situation d’avant 2008 (sept ans au lieu de cinq) et jugeant l’abolition de l’option pour les conjoints mariés trop sévère (elle fut introduite pour éviter les mariages blancs). François Biltgen lui-même déposa encore, après une large consultation, un projet de réforme en avril 2013, peu avant la chute du gouvernement. L’allégement des procédures pour accéder à la nationalité est prévu dans l’accord de coalition DP/LSAP/Verts de décembre 2013.
L’avant-projet de Félix Braz est prudent en ce qu’il ne vise pas une ouverture radicale du droit de nationalité. Au contraire, il essaie de flexibiliser et de créer des conditions adaptées à chaque situation qui s’avére difficile en pratique dans l’état actuel. Ainsi, il réintroduit l’option pour les époux de Luxembourgeois et abolit en même temps la discrimination d’autres communautés de vie, y compris de couples homosexuels ; cette option n’est liée à aucune condition linguistique (la question des mariages blancs a été réglée dans la réforme du mariage). Il introduit un droit du sol de la première génération : l’enfant né au Luxembourg, même de parents étrangers, pourra choisir de devenir Luxembourgeois à douze ans, s’il habite au grand-duché durant l’année qui précède sa demande, ou le devenir automatiquement à 18 ans. Les parents d’un de ces nouveaux Luxembourgeois pourront eux aussi choisir de devenir Luxembourgeois. Ces options ne sont pas liées à une condition linguistique, mais uniquement à une résidence plus ou moins longue. Puis, c’est un des points les plus avant-gardistes, un élève qui a accompli sept ans de scolarité publique au grand-duché pourra devenir Luxembourgeois par option – le gouvernement voulant faire ainsi valoir son investissement dans sa formation –, et ceux qui habitent le pays depuis vingt ans pourront également opter pour la nationalité – ce qui équivaut à une sorte de reconnaissance. Puis la nationalité s’ouvre automatiquement aux serviteurs de l’État, du soldat au fonctionnaire, qui auront rendu « de bons et loyaux services » à l’État luxembourgeois durant 36 mois. Le projet abolit donc un certain nombre de contradictions dans la législation actuelle, où un jeune non-Luxembourgeois peut mourir en mission dans un uniforme luxembourgeois mais ne pas avoir de droits politiques.
L’acquisition de la nationalité par naturalisation est également simplifiée par l’avant-projet de loi de Félix Braz, baissant le niveau linguistique nécessaire pour passer les examens (niveau A2), modulant les attentes selon le profil du demandeur (âge, formation, durée de résidence au Luxembourg...), et baissant de nouveau la clause de résidence à cinq ans. Autant d’avancées qui sont applaudies par les ONGs œuvrant dans la défense des droits des immigrés (Asti, Clae), dans leurs premières prises de positions émises cette semaine.
Tout en saluant la volonté du ministre de chercher un large consensus et en affirmant ne pas vouloir critiquer le texte par voie de presse alors que le dialogue parlementaire est entamé, Claude Wiseler toutefois se demande jusqu’où ira la flexibilité de Félix Braz à accepter des changements à son texte. Si certains éléments correspondent à ceux de la proposition de loi déposée par Claude Wiseler en mai de cette année – droit du sol, option pour conjoints, abaissement de la durée de résidence à cinq ans et conditions linguistiques –, le président du groupe CSV voit aussi des points de discorde. Un certain nombre des conditions d’option pour la nationalité pourraient faire les frais de ce large dialogue voulu par Félix Braz. Or, pour lui, l’essentiel est d’arriver à une loi soutenue par une large majorité, au-delà des clivages de politique politicienne. Mais une loi qui tienne bon, après trois réformes en quinze ans.