Cinq ans après son dernier long-métrage Boys on the run, l'aventure initiatique de trois jeunes, tournée dans les forêts de Virginie aux États-Unis, le réalisateur Pol Cruchten revient avec un film très luxembourgeois. Racontant également l'histoire d'un enfant à la recherche de son identité, Perl oder Pica se situe cependant dans un contexte plus local. Nous sommes à Esch/Alzette, au début des années soixante. Norbi (Ben Hoscheit), un garçon de douze ans, passe sa dernière année à l'école primaire. Comme tous les jeunes en transition entre enfance et puberté, il découvre la sexualité, les cigarettes et les opinions divergentes. Les séquelles de la Guerre restent omniprésentes et la colère des luxembourgeois contre les collaborateurs s'abat encore sur les descendants de ceux-ci. Eugène Welscheid (André Jung), le père de Norbi en est un parfait exemple. Tout en vendant des machines à écrire allemandes dans sa papeterie, il est impitoyable lorsque Norbi veut passer du temps avec Fred (Yann Gillen), le fils d'un ancien « Gielemännchen ». Mais Norbi commence à développer un sens critique et observe de plus près le monde départagé en bon et mauvais, tel que ses parents, très catholiques, le lui transmettent. Parmi tous les secrets à découvrir, l'un intrigue particulièrement Norbi : Que signifie la lettre P, que le père inscrit régulièrement dans son agenda ? Emblématique pour tous les mystères auxquels le jeune garçon s'intéresse, les investigations autour de cette lettre vont mener Norbi à une nouvelle perspective sur sa vie. Malgré une longue post-production de onze mois, marquée par de nombreuses séances d'essai, des sondages et d'importantes modifications du montage initial, passé de 150 à 90 minutes, Pol Cruchten se dit content de son film, qu'il a présenté à la presse jeudi dernier, 5 octobre à Utopolis. Le réalisateur, qui avait déjà insisté sur la sous-estimation générale des comédiens luxembourgeois lors d'un précédent entretien avec le Land, précise que Perl oder Pica « est un film qui est très au service des acteurs ». En effet, l'adaptation de Viviane Thill, tout comme le roman autobiographique de Jhemp Hoscheit, ne développe pas une histoire complexe, mais plutôt un compte-rendu d'une époque. À l'exception du mystérieux P inscrit dans l'agenda du père, la vie de Norbi, marquée par les discours anti-allemands, la Guerre froide, le twist et les Beatles, est typique pour le début des années 1960 et laisse une large part d'interprétation aux acteurs. André Jung profite le mieux de cette liberté et donne un visage réaliste à son personnage contradictoire, tiraillé entre amour paternel et application stricte de la morale chrétienne. La scène dans laquelle il donne des explications coincées sur la sexualité à son fils, compte parmi les meilleures du film. D'autres personnages donnent lieu à des interprétations beaucoup moins inspirées et sont plus proche de la parodie. Les deux bonnes sœurs (Christiane Rausch et Claire Thill) voulant acheter une machine à écrire sont particulièrement mal jouées, tandis que « Thierry », en Pendelmeyer, fait son van Werveke habituel. Pour les images, le réalisateur se tient à ce qu'il avait annoncé. La caméra reste une observatrice discrète. Dans l'optique de s'adresser à tous les publics, le film se préserve toujours un ton gentil, et même trop gentil. L'énigme de la lettre P comme fil rouge du film n'est qu'une faible source de suspense. Le choix entre Perl ou Pica, les deux seules typographies disponibles pour les machines à écrire du père, symbolise la bipolarité de l'époque, les divisions politiques, religieuses et sociales strictes, que les préjugés comme séquelles de la guerre viennent renforcer. Boches ou Luxembourgeois, Américains ou Russes, catholicisme ou décadence, tels sont les choix caricaturaux que Norbi va relativiser avec une bonne dose de curiosité et de bon sens. Ces oppositions sont un élément introduit de manière intelligente à tous les niveaux de l'histoire. Mais la confrontation entre les différents points de vue reste toujours dans le cadre de la vocation familiale du film. La critique brille ainsi par sa retenue. Les dialogues ironiques de Perl oder Pica marquent ses points forts, mais restent malheureusement l'exception. L'intérêt du film bascule du coup vers une rétrospective pittoresque du Luxembourg des années 1960, qui évite au moins le pathos nostalgique. Les nombreux tests et sondages ainsi que les choix esthétiques conventionnels du réalisateur ont fait de Perl oder Pica un film lisse, agréable à regarder, mais sans grande excitation.
Irmgard Schmidmaier
Catégories: Films made in Luxembourg
Édition: 12.10.2006