Toujours ces longues allées, ces travellings arrière face caméra, un long chemin traversant l'image en vertical. Derrière la personne filmée, en horizontal, le portail en barreaux s'est fermé brutalement. L'image, le cadrage, le chemin se répètent plusieurs fois dans Une part du ciel, premier long-métrage de fiction de la réalisatrice belge Bénédicte Liénard. Comme se suivent et se ressemblent les journées en prison. Bénédicte Liénard a fait plusieurs documentaires sur le monde carcéral, c'est un univers qu'elle connaît bien. Une part du ciel fut tourné en partie en prison, en partie en usine (au Luxembourg, le film étant coproduit par Tarantula) avec des acteurs professionnels, des ouvrières et des prisonnières.
Parmi les professionnelles, Séverine Caneele, prix d'interprétation à Cannes en 1999 pour L'Humanité de Bruno Dumont, prix beaucoup critiqué car l'actrice, ouvrière dans la vie, y incarnait son premier rôle au cinéma. Une part du ciel est son premier film depuis lors, depuis les humiliations qu'elle a vécues, et elle y prouve tout son talent.
À l'écran, elle a une présence incroyable, son corps toujours droit, sa tête toujours haute, son regard toujours sombre et méfiant, tout en elle résiste aux humiliations de la prison, tout en elle cherche à sauvegarder sa dignité. Elle incarne Joanna, ancienne militante pour le droit des ouvrières dans une grande boulangerie industrielle. Un jour, son opposition l'a menée à un acte répréhensible qui n'est jamais nommé dans le film. Aussi bien le syndicat que ses collègues l'ont alors laissée tomber et du jour au lendemain, elle se retrouve en prison. Et ne peut tenir bien longtemps avant de recommencer à s'engager. Malgré les intimidations, elle ne cesse de s'engager pour ses collègues et leurs conditions de travail.
Parallèlement, le film accompagne l'(ex-)meilleure amie de Joanna, Claudine (Sofia Leboutte), qui s'est distanciée elle aussi, mais qui, au vu de l'aliénation qu'elle ressent de plus en plus fortement, se radicalise au fur de l'histoire, prenant Joanna en exemple. Les deux sont des femmes extraordinaires, fortes et engagées. Les deux sont seules. Elles deviennent des symboles d'un engagement, d'une résistance à toutes sortes d'enfermements plus que des constructions de psychologies complexes. Bénédicte Liénard filme ces femmes souvent seules, leurs visages en gros plan, l'intimité de leurs corps.
Non sans manichéisme, elle joue sur la dialectique, du dedans et du dehors - les taulardes aussi bien que le personnel de la prison sont souvent filmés devant des fenêtres avec les bruits venant de l'extérieur - de la solitude et du groupe (quand les ouvrières ou les prisonnières marchent ensemble). C'est dans les moments d'intimité et de solitude qu'elle arrive à créer des ambiances d'extrême tension, à rendre la réelle détresse de Joanna ou l'incertitude de Claudine.
La grande maladresse du film, toutefois, ce sont les dialogues. Si le niveau d'abstraction, l'universalité du thème fonctionnent assez bien dans le corps du film - surtout grâce au rythme très lent, comme une respiration, qui rend extrêmement bien le glissement dans la notion de temps en prison - les dialogues sont trop littéraires, ils font trop ostensiblement «bonne volonté». Comme si personne ne disait jamais un mot banal et naturel, toute ligne de texte est si lourde de sens que cela en devient gênant - le pire étant certainement cette scène du directeur de la prison qui, en pleine nuit, entre dans la cellule d'isolement de Joanna et dit: «Je gère la détresse humaine. Et j'ai pas de réponse» puis repart.
Ancienne assistante de Raymond Depardon ou des frères Dardenne, Bénédicte Liénard est dans la droite lignée du nouveau cinéma militant. Il n'étonne guère que le projet ait tout de suite plu à Donato Rotunno, Eddy Géradon Luyckx et leur société Tarantula. C'est rassurant de constater que la législation luxembourgeoise n'attire pas uniquement la production de blockbusters pour le marché US, mais aussi un vrai cinéma d'auteur engagé.