Tous les anciens soldats qui avaient accouru jeudi dernier pour la première de Ons Arméi - un documentaire d'une quarantaine de minutes de Cathy Richard et Tom Alesch sur le service militaire obligatoire qui existait entre 1944 et 1967 au Luxembourg -, n'étaient pas satisfaits à l'issue de la projection. Peut-être parce qu'ils estimaient ne pas être assez longtemps à l'image, ou parce qu'ils ne se retrouvaient guère dans cette description peu flatteuse d'une armée miniature aux ambitions démesurées.
Durant ces 23 ans, quelque 35000 jeunes hommes ont été obligés de porter l'uniforme, alors même que la Deuxième Guerre Mondiale venait à peine de se terminer. Tous ne l'ont pas fait de gaîté de coeur, surtout ceux qui revenaient du front. Se basant sur des images d'archives du Centre national de l'audiovisuel et des témoignages d'anciens soldats, Cathy Richard et Tom Alesch nous montrent tout le folklore de cette armée, le peu de professionnalisme de ses dirigeants, le dilettantisme sympathique des simples soldats.
«Rétrospectivement, je me rends compte que ce que j'y ai vraiment appris d'utile était la dactylo,» dit l'une des anciennes recrues, et une autre se souvient qu'elle a aussi appris à fixer un bouton. Le journaliste Rosch Krieps, ancien rédacteur du Land, montre une photo d'une troupe de «l'armée d'occupation» luxembourgeoise à Bitbourg en Allemagne: ils portent quatre uniformes différents. Hilarité générale dans la salle. Mais ce qui rend cette armée-là tellement sympathique dans le film, c'est qu'elle ne semble avoir aucun lien avec son métier de base: la mort. À aucun moment du film il n'est question de blessés, voire même de morts. Une seule fois, dans le contexte des volontaires de la guerre de Corée, cela est évoqué brièvement, et encore, on parle alors pudiquement de soldats qui ne sont «jamais revenus».
C'est avec cette armée, qui, durant son apogée, atteignant la fière taille de 10000 soldats, réservistes compris, que les gouvernements successifs d'après-guerre et leurs états-majors respectifs comptaient «prendre leur responsabilité» et défendre leur propre territoire face à un «ennemi hostile» potentiel auquel aucun des soldats ne semblait vraiment croire. Vue avec cinquante ans de recul, l'ambition semble absurde. L'argumentation de l'époque toutefois ressemble fortement à celle qu'utilise le gouvernement Juncker/Polfer actuel pour aller recruter des soldats dans les lycées, voire même les écoles primaires. Originalement, le service obligatoire fut aboli grâce à un cavalier seul de Jean Spautz, alors jeune député chrétien-social, qui proposa de le transformer en volontariat durant les discussions budgétaires de 1966.
Une grave crise interne avait précédé cette initiative politique, crise provoquée par l'absence de stratégie militaire cohérente et adaptée aux moyens du pays, et à deux procès très médiatisés contre des militaires. Le grand point faible du documentaire est que celui qui ne connaît guère l'histoire aura du mal à suivre, à comprendre ce qui a mené à cette succession d'incidents. Tout documentaire n'étant que la somme des possibles, plusieurs témoins importants étaient morts lors du tournage ou alors ne voulaient pas donner d'interview - notamment le colonel Winter. Dès lors, Rosch Krieps apparaît comme le seul «expert» en la matière, ce qui est un peu rudimentaire. Alors que Roger Manderscheid, ancien soldat réserviste, est le plus virulent critique de cette armée, en lisant notamment des extraits de son roman Feier a Flam (Phi, 1995) décrivant ses souvenir de cette armée. Que le film commence avec une vache a dû lui faire plaisir.
Si Anne Schroeder, productrice chez Samsa Film, a pris l'initiative de proposer ce film à Tom Alesch, c'est lui qui a demandé à Cathy Richard de le joindre pour cette entreprise périlleuse. À l'arrivée, leur collaboration s'avère avoir été extrêmement fructueuse, car Ons Arméi est un film dynamique, divertissant, plein d'humour et de détails originaux, et on sent que beaucoup de choses sont nées de cette réflexion commune sur le sujet et sur l'image.
Des images en noir et blanc avec ce superbe grain qui fait le charme des archives, de petites animations, des séquences comiques en accéléré d'un soldat-type, des interviews d'anciens soldats filmées à des endroits pas possibles (un des éléments les plus caractéristiques du «style Alesch») - bref, ce mélange d'images très différentes, leur montage astucieux et plein de surprises, une bande son truffée de clins d'oeil et une musique originale très ludique font de Ons Arméi un petit bijou pour la forme.
Ons Arméi n'est pas vraiment un film politique, mais plutôt un conte sur une nation microscopique qui veut tout faire comme les grandes. Vu comme ça, il constitue une réussite.
Ons Arméi de Cathy Richard et Tom Alesch, produit par Anne Schroeder, Samsa Film, en coproduction avec le CNA. Le film sortira prochainement dans la série Films made in Luxembourg en DVD bilingue luxembourgeois/francais.