Dimanche soir, 5 décembre, le singer-songwriter australo-californien Ry X (ou Ry Cuming de son vrai nom), invité par Den Atelier, se produira à guichets fermés… à la Cathédrale de Luxembourg. Il pourra y chanter ses chansons mielleuses à un public conquis, avec la bénédiction des fabriques d’église de la Ville de Luxembourg. Rationnelles, elles préfèrent désormais laisser entrer les marchands du temple – jadis chassés par Jésus dans la Bible –, plutôt que de voir fuir davantage encore de croyants dans une société sécularisée. Les faire venir à la Cathédrale pour un événement commun leur semble désormais mieux que de les voir s’agglutiner, portables à la main, aux stands de Glühwein sur le Knuedler d’en face. L’Église catholique cherche sa modernité.
Et son unité. Car dans ce qui est devenu une véritable guerre qui oppose les fabriques d’église, 285 entités distinctes, au ministre des Affaires intérieures Dan Kersch (LSAP) et à l’Archevêché de Jean-Claude Hollerich, auquel le syndicat des fabriques Syfel reproche d’avoir signé la convention sur la séparation entre l’État et les communautés religieuses en janvier 2015, les fronts semblent mobiles et les alliances fragiles. Grosso modo, il s’agit d’une fracture droite/gauche, anciens/modernes – mais pas seulement. Avec Dan Kersch dans le rôle de l’homme pressé et déterminé à en finir avec ces structures jugées obsolètes que sont les fabriques d’église, chargé par le gouvernement Bettel/Schneider/Braz à mettre en musique son grand projet de réforme de société : à deux ans des législatives, les quadras qui ont accédé comme par magie au pouvoir sans CSV voudraient tellement entrer dans l’histoire comme les grands réformateurs du pays, ayant aboli la dominance de l’Église catholique sur le fonctionnement de l’État.
En face de lui, pourtant, il a une multitude d’acteurs opposés à son projet : 90 fabriques d’église, soit moins d’un tiers de leur ensemble, ont adopté une résolution développée par son comité par laquelle elles défendent ce qu’elles estiment être leurs droits de propriétés sur les édifices que le ministre entend verser au grand Fonds national et se disent véritablement « harcelé[e]s » par le gouvernement. Elles invoquent les conventions internationales des droits de l’homme et la Constitution luxembourgeoise en ce qui concerne la liberté d’association, le droit d’exercer sa religion ou le droit de propriété. Une pétition publique déposée à la Chambre des députés et demandant la modernisation des fabriques d’église plutôt que leur abolition pure et simple a recueilli plus de 11 500 signatures et devra donc être discutée au parlement. Un avis juridique du constitutionnaliste belge Francis Delpérée, commandité par le Syfel, est dévastateur et reproche au projet de loi n°7037 et surtout au processus de son dépôt hâtif d’être anticonstitutionnel. Le syndicat des communes Syvicol, le seul à avoir émis jusqu’à présent un avis officiel, regrette de n’avoir pas été consulté en amont par celui qui fut jadis son président pour des affaires qui concernent en premier lieu les communes, responsables ou non des édifices qui se trouvent sur leur territoire. Aujourd’hui, le Syvicol est présidé par Emile Eicher, député-maire CSV de Clervaux – ses collègues Diane Adehm et Gilles Roth harcèlent le ministre de questions parlementaires de détail sur l’application de la future loi.
Car il ne faut pas oublier que les élections communales d’automne 2017 approchent aussi à grands pas. Et que désormais, ce dossier est hautement explosif sur le plan local. Comme à Diekirch, où la mairie socialiste (elle est dirigée par le président du LSAP Claude Haagen) et la fabrique d’église se disputent les droits de propriété de l’église Saint Laurent, datant du XIe siècle et qui sert désormais surtout à des manifestations culturelles. La ville, voulant la garder dans son giron, veut faire dresser un acte notarié, contesté par la fabrique et le CSV. Et pendant ce temps-là, la Chambre attend l’avis du Conseil d’État avant de continuer à travailler sur le texte de loi. Il est peu probable qu’elle puisse entrer en vigueur pour le 1er janvier ou que les fabriques puissent être abolies pour le 1er avril, comme le prévoit pourtant la convention. Un afflux massif d’affaires juridiques spéculant sur les imprécisions des textes attend le gouvernement.