Des pays du Proche et du Moyen Orient, ceux qui furent trop jeunes, trop pauvres ou trop timides pour les découvrir avant les guerres successives qui ravagent la région depuis la fin du siècle dernier, ne connaissent que les images de destruction et de mort. Heureusement que les artistes sont là pour les raconter autrement. Marjane Satrapi a relaté son enfance en Iran, dans la belle série de bande dessinée
Persepolis, Riad Sattouf le fait avec ses souvenirs d’une jeunesse en Libye puis en Syrie avec L’arabe du futur (dont le quatrième tome vient de paraître fin août) et le dessin animé The Breadwinner de Nora Twomey nous narre l’Afghanistan de la fin des années 1990, après l’occupation soviétique et ses guerres sanglantes, lorsque les talibans reprirent violemment en main le pays détruit.
Pour cette coproduction luxembourgeoise de Stephan Roelants (Melusine), cofinancée par le Film Fund et qui sortira en salles au Luxembourg le 26 septembre, la réalisatrice irlandaise (*1971) a travaillé avec l’écrivaine canadienne Deborah Ellis (*1960) qui, pour sa série de livres pour enfants Paravana, une enfance en Afghanistan, parue au début du siècle au Canada, avait voyagé plusieurs fois au Pakistan, pour y interviewer des réfugiés afghans sur le régime des talibans. Durant l’écriture du scénario, basé sur les livres d’Ellis, elle, Twomey et Anita Doron ont échangé avec des Afghans pour ajuster leur version du Kaboul de cette époque-là, recherches auxquelles fut largement associé Daby Zainab Faidhi, qui a dessiné les décors et connaissait bien la capitale afghane. Et le Kaboul que l’on voit dans ce film développé avec Aircraft Pictures et la société irlandaise de Tomm Moore, Cartoon Saloon (Song of the sea, 2014) est impressionnant de poésie et de désolation. Nora Twomey a réalisé le film en écran large et nous offre des plans magnifiques sur une ville de sable et de poussière, où la misère des petites maisons en briques s’ouvre sur de petites ruelles pleines de vie et de couleurs sous un soleil brillant.
Parvana, donc, est une jeune fille de onze ans que nous rencontrons assise avec son père devant un petit étal sur lequel ils offrent leurs dernières possessions : la plus belle robe de Parvana sertie de pierres, quelques bricoles, des services de lecture et d’écriture. Le père de Parvana était enseignant avant la guerre, mais est interdit de travail, il a perdu une jambe au combat contre les Russes et essaie tant bien que mal de nourrir sa femme, ses deux filles et son petit garçon de quelques mois. Or, le vieux sage est arrêté par les talibans, parce qu’il transmet son savoir à ses filles, et jeté en prison sans autres formalités. Alors il ne reste plus de garçon en âge de travailler à la famille, et les filles sont interdites de sortie sans l’accompagnement d’un homme. Paniquée, Parvana décide alors de se couper les cheveux en garçon, d’enfiler les vêtements de son frère mort – et de sortir pour subvenir aux besoins les plus urgents de la famille (elle en sera ce « breadwinner » du titre) en exerçant toutes sortes de petits boulots. Entre peur et joie devant cette nouvelle liberté, Parvana rencontre Shauzia, une autre fille transformée en garçon, et ensemble, elles partent à la découverte de la vie d’adulte.
Le père de Parvana lui avait appris l’importance de l’Histoire de l’Afghanistan pour comprendre son peuple, et l’importance des histoires et contes pour appréhender la vie. Elle va donc raconter tous les soirs à son petit frère des bribes d’une fable sur un petit garçon qui doit affronter un méchant éléphant – histoire qui deviendra une métaphore de sa propre vie. Ce n’est pas un hasard que The Breadwinner ait été nommé au Filmpräis et aux Oscars cette année (outre la fait qu’Angelina Jolie en ait été une des coprodutrices) : ses images sont époustouflantes de beauté et de simplicité. Le public luxembourgeois, qui a pu le découvrir au printemps au Luxembourg City Film Festival, a toutefois pu se rendre compte qu’il s’agit plutôt d’un film pour adultes ou adolescents, son histoire et ses enjeux étant trop complexes pour les enfants de l’âge de Parvana.