Entretien avec Claude Waringo

S'inscrire dans le réel

d'Lëtzebuerger Land du 19.04.2001

d'Lëtzebuerger Land : Lundi commence la deuxième édition de la Semaine du documentaire luxembourgeois, après une première expérience en 1998. Vous allez présenter trois nouveaux documentaires réalisés tous les trois en coproduction avec le Centre national de l'audiovisuel... Comment est née l'idée, l'envie d'en faire un festival ?

Claude Waringo : Le hasard ou le concours de circonstances a fait que les trois documentaires sur lesquels nous travaillions ont été terminés plus ou moins en même temps. Donc nous nous sommes dits que, plutôt que d'enchaîner deux ou trois premières au gré des disponibilités, ce serait mieux de faire une programmation élargie et d'en faire un festival. En 1998, la première expérience avait prouvé l'intérêt du public, 2 000 personnes étaient venues voir les films, un succès qui dépassait de loin nos attentes. Pour le public, comme pour les cinéastes eux-mêmes, c'est une occasion rare de voir ces films sur grand écran. 

Comme le film de Paul Kieffer et Marc Thiel Ech war am Congo est produit par le CNA, samsa étant le producteur exécutif, nous avons décidé d'organiser ce festival ensemble, ce qui est nouveau par rapport à 1998. Ainsi, la sortie de ce documentaire sur l'expérience des Luxembourgeois dans la colonie belge est enrichie de toute une série d'événements : projections (Lumumba, fiction de Raoul Peck, France 2000, et Mobutu, Roi du Zaïre, documentaire de Thierry Michel, Belgique/France/Congo, 1998, durant le festival) émission de débat sur RTL Télé Letzebuerg (dimanche 22), expositions (Notre Congo au Centre de documentation sur les migrations humaines à Dudelange etc.), ce qui permettra aux intéressés de vraiment faire le tour du sujet. 

 

En regardant les trois nouveaux documentaires - Ech war am Congo, Histoire(s) de Jeunesse(s) et Les perdants n'écrivent pas l'Histoire - Mémoires luxembourgeoises de la guerre d'Espagne - on cherche bien sûr des parallèles, des éléments communs. Et on constate alors très vite qu'ils s'agit en fait de trois films très politiques, plutôt de gauche d'ailleurs. Est-ce intentionnel ou un hasard ?

(Rires) C'est vraiment un hasard. À part le fait qu'un documentaire est en soi toujours plutôt politique. Sinon, les choses se sont développées ainsi. Prenons le film d'Anne Schroeder par exemple, sur l'histoire des jeunes au Luxembourg durant le XXe siècle : au départ, il s'agissait d'un film très ludique, mais par la force des choses, par les périodes que le film aborde, comme les années d'occupation et de guerre par exemple, il devient forcément politique. Ou alors par les questions que les interlocuteurs évoquent : ceux des années 1930 disent n'avoir rien eu, mais se souviennent avec beaucoup de nostalgie de leur jeunesse, alors que vers la fin du film, les jeunes d'aujourd'hui affirment avoir tout le confort, le luxe même, mais ne sont pas vraiment satisfaits... Par ces biais-là, le film est au moins sociopolitique. 

Par contre pour le film sur la guerre d'Espagne, nous étions conscients dès le début qu'il allait être politique, et même très délicat. Nous nous demandions : qui étaient ces gens et pourquoi sont-ils partis à cette guerre en Espagne ? À travers ces questions, à travers les nombreux interlocuteurs que Frédéric Fichefet et Edie Laconi ont interviewés, le film donne une image du Luxembourg des années trente, et même jusqu'à aujourd'hui. Il a fallu plus de cinquante ans pour que le Luxembourg commence à réfléchir sur cette période de son histoire, et le film prouve que ce n'est toujours pas complètement digéré, que les gens ont toujours autant de mal à comprendre ce qui a pu motiver leurs frères ou pères à partir se battre pour un idéal si loin du Luxembourg. 

Le film sur le Congo, quant à lui, est basé sur les films d'amateurs des Luxembourgeois qui étaient au Congo, films que le CNA a reçus suite à son appel public de dépôt de films d'amateurs. Paul Kieffer confronte ses images aux récits de ces pionniers. En leur laissant toute liberté de raconter leur vie quotidienne en Afrique, on découvre aussi les côtés plus sombre de ce colonialisme, comme le petit racisme au quotidien. Donc oui, là aussi, il s'agit d'un film politique. 

 

Rien que sur votre site Internet (www.samsa-film.com), on compte plus d'une douzaine de documentaires à votre actif, et encore, tous ceux que vous avez produits n'y sont pas... J'interprète cela comme une réelle volonté de samsa de s'inscrire dans le réel luxembourgeois. Pourquoi cet engagement pour des sujets « luxembourgeois » ? 

C'est un fait qu'au niveau des longs-métrages, nous produisons tous des films qui ne concernent pas vraiment la réalité luxembourgeoise, qui dépassent un peu le Luxembourg. Or, je suis persuadé qu'on doit se situer dans son environnement, a fortiori dans le domaine de la culture. 

En plus, le film documentaire est une quête permanente de sujets pour long-métrages. Un pays doit d'abord digérer son Histoire avant de pouvoir raconter des histoires ; le film documentaire est une importante contribution à cela. Nous allons d'ailleurs diffuser ces documentaires à l'étranger - leur qualité est d'un niveau tel que cela se justifie pleinement -, cela nous permettra de montrer que le cinéma luxembourgeois est à même de produire du contenu. Normalement, l'industrie cinématographique luxembourgeoise est synonyme de production, et bien, avec des films comme ceux-ci, il pourra peu à peu être assimilé au contenu. L'expérience du documentaire peut aussi être une base pour que les cinéastes un jour filment au Luxembourg comme ils filmeraient n'importe où, de façon beaucoup plus naturelle, en considérant la coulisse locale comme quelque chose de banal.

 

Lors de la conférence de presse pour le bilan 2000 du Fonds national de soutien à la production audiovisuelle (Fonspa), fin mars, la ministre de la Culture, Erna Hennicot-Schoepges, regretta que le nombre de projets de documentaires était en nette régression... Est-ce que vous êtes d'accord avec ce constat ?

Non, nous ne produisons pas moins de documentaires, au contraire, depuis que Tarantula fut fondée, nous sommes même deux sociétés à en produire. Ceci dit, il s'agit bien sûr aussi d'une question d'argent : un documentaire coûte, selon les maxima fixés par le Fonspa, cinq millions de francs. Avec cette somme, on peut aussi être coproducteur minoritaire dans un long-métrage de fiction international, qui peut ouvrir d'autres débouchés, une plus grande distribution par exemple, qu'un documentaire luxembourgeois. C'est une question de volonté, mais aussi de fonds.

 

Lors de la même conférence de presse, le Fonspa a aussi confirmé que tout le volet production et financement des films documentaires - au moins ceux qui travaillent majoritairement avec des images d'archives stockées au CNA - sera désormais assuré en exclusivité par le CNA. Ceci dans un souci de simplifier le montage d'un projet et de son budget, mais aussi pour empêcher tout « dysfonctionnement » entre administrations publiques... Quelle en est votre appréciation ? Est-ce que vous croyez aussi que cela va simplifier les choses ?

Cela ne me dérange aucunement, si le CNA reçoit les moyens financiers pour assumer cette nouvelle tâche. Pour cela, il faudra qu'il ait à sa disposition les mêmes sommes que l'avait le Fonspa pour soutenir les documentaires... Non, il faudra qu'il en ait même plus, parce que dans ce système, les producteurs ne pourront pas bénéficier du régime des certificats audiovisuels, donc ils auront besoin de plus d'aide directe. Sur les huit ou douze millions de francs que peut coûter la production d'un documentaire, cela fera déjà des sommes conséquentes. 

En plus, il faudra alors que le CNA se donne des moyens démocratiques et transparents pour le choix des projets.

 

Un des grands handicaps des producteurs de films « luxembourgeois » est la distribution - peu d'écrans, absence de télévision demanderesse de productions, marché limité. Depuis quelques années existe maintenant le réseau Films made in Luxembourg, coordonné par le CNA, et qui assure aussi bien une diffusion en cassettes vidéos qu'à la télévision nationale aux films luxembourgeois et leur permet ainsi tout simplement d'être visibles, d'exister même. Quelles en sont vos conclusions ? 

À part quelques adaptations ponctuelles, des présentoirs par exemple, ce réseau est vraiment d'une grande utilité, les cassettes se vendent assez bien et nous recevons à chaque fois beaucoup d'échos suite à la diffusion par la télévision. D'ailleurs, le CNA vient d'engager une personne qui s'occupera exclusivement de la promotion des films luxembourgeois, au Luxembourg mais aussi à l'étranger, de les présenter à des festivals etc. C'est encore un grand pas en avant. 

 

En une douzaine d'années, grâce au régime des certificats audiovisuels, le cinéma est devenu un véritable petit secteur économique au Luxembourg. Le chiffre magique que l'on nomme toujours est 600 - le nombre d'emplois qui seraient dépendants du secteur. Or, qui dit emploi pense statut... Depuis deux ans, le Luxembourg a sa première loi instaurant le statut de l'intermittent du spectacle. Après une longue période de mise en place, ce n'est que maintenant que les premiers intermittents tentent de profiter de ses avantages, donc du droit au chômage, et rencontrent de grandes difficultés, des détails dans le texte de la loi et dans son application dans la pratique... 

Telle qu'elle est, la loi ne peut pas fonctionner, elle est mal adaptée aux spécificités des métier dans notre domaine. Ainsi, les intermittents doivent se faire remplir un carnet par chaque patron pour lequel ils ont travaillé sous contrat, or, nous, que ce soit un producteur de films ou un théâtre qui embauche une actrice ou un acteur, ne pouvons pas leur donner de contrat de travail à durée déterminée, parce que selon la loi, nous serions tenus de les embaucher après deux renouvellements du CDD... Ce n'est pas du tout adapté à notre profession. 

Ce qu'il nous faudrait, ce serait une nouvelle sorte de contrat, appelons-le « contrat d'intermittent », spécifique au domaine, qui nous permette d'embaucher les professionnels ponctuellement, selon les besoins de chaque projet. Nous aimerions que le ministre du Travail, François Biltgen, consulte les syndicats et les organisations patronales pour mettre un tel contrat en place. Il pourrait fonctionner selon le même principe du carnet, mais devrait être facile à manipuler au quotidien, nous ne voulons pas plus de paperasseries. 

Il y a encore tellement de questions à régler dans le domaine du social ou du droit du travail : qu'en est-il par exemple des heures supplémentaires dans le cinéma ? Et le congé-spectacle ? Et surtout, il faudrait adapter la loi dans ce qu'elle a d'insensé, comme cette stipulation qu'on n'a droit au chômage que trois fois dans sa carrière.

 

josée hansen
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