Au début, personne n’ose parler. C’est normal, les rassure-t-elle. Autour de la table, ils sont sept. Ils ont vingt ans ou à peine, des histoires différentes, des trajectoires un peu bancales. C’est la mission locale qui les envoie faire un stage et cette fois, l’écriture a remplacé la maçonnerie. Quelques idées viennent briser la glace : il faudrait un cadavre, il faudrait le port, il faudrait une vengeance. Olivia Dejazet (Marina Foïs), autrice de polars, les guide dans les codes du genre. Sous le soleil, elle écoute, filtre, respecte beaucoup la parole donnée par ces jeunes de La Ciotat, petite ville portuaire du sud de la France qui a connu le faste et la chute du chantier naval. Et puis, il y a Antoine (Matthieu Lucci), qui refuse le fil. Peu concerné par la ville d’avant, celle dont on ne fait que se souvenir, le chantier, la fierté puis les luttes, le sentiment d’appartenance. Lui non plus ne sait pas à quoi il rêve, coincé entre des grues fantômes et des calanques paradisiaques. Il se dessine un avenir dans l’armée, là où on lui donnerait un but clair, identifiable. Olivia se heurte à ce jeune homme revêche, qui remet en question le déroulement des heures d’écriture et qui va la bousculer dans ses certitudes.
Presque dix ans après sa Palme d’or pour Entre les murs, le cinéaste Laurent Cantet filme à nouveau la difficulté de la transmission dans L’atelier. Loin des murs parisiens et des chaises qui claquent au rythme des punchlines des élèves, le film joue sur ce décor gorgé de soleil où l’ennui se mesure au chant des cigales et au silence pesant du chantier. Désormais, l’activité se passe au port de plaisance, à la rénovation des yachts de milliardaires, une condition qui fascine les jeunes. Dans le fantasme de l’argent, il y a la drogue, la violence, comme s’il ne se gagnait que par le crime. Cantet, aidé au scénario par Robin Campillo (réalisateur de 120 battements par minutes), est d’abord un habile metteur en mots. Ici encore, l’énergie des personnages passe par leurs joutes verbales. Cette fois ci, le contenu-même est en jeu. Antoine, interprété par un jeune homme local qui fit sensation à Cannes, choque et pose ainsi la question du geste d’écrire, de la responsabilité de l’auteur. Sujet identifié, il existe en dehors de l’atelier, il est inscrit dans un cercle familial, plutôt passif, mais aussi amical. Dans les nuits noires du port, la bande joue à se faire peur, mais le courant identitaire dans lequel s’inscrit l’esprit collectif est bien réel : c’est une jeunesse gagnée par l’ennui, mais qui a peur et qui danse sur les tombes que montre le cinéaste. Le personnage de l’écrivain installée, ouverte d’esprit mais pétrie de convictions sur la manière d’enseigner l’écriture, permet de transgresser toutes les lignes narratives tracées pendant la première partie du film. Olivia, par sa quête de sens, sa curiosité et ses recherches sur cet âge délicat du sortir de l’adolescence, va se retrouver en position de manipulatrice, puis de manipulée.
Dommage, alors que l’intrigue prenait une tournure plus instable, plus inquiétante, que le récit se réinstalle tranquillement sur le rail du consensus, usant même de quelques redondances dans les dialogues.
Le personnage d’Antoine, complexe et en tension constante, est passionnant. Mais sa confrontation avec Olivia, celle qui sait dire le pourquoi et le comment des choses, aurait mérité davantage que cette fuite stoppée en plein élan. L’émotion est en effet trop contenue, trop encadrée par l’idée d’en faire un exemple, presque une démonstration. De même, la caméra habituellement organique de Pierre Milon est ici bien trop picturale et ne saisit plus que l’évidence de cette ville-clichés.