Comme chaque année depuis sa création en 2008, le Festival Cineast offre l’occasion inespérée de voir des films d’Europe centrale et orientale. La manifestation luxembourgeoise a débuté le 5 octobre avec la projection en avant-première d’Aurora borealis, de la réalisatrice hongroise Marta Mészaros, et l’inauguration de l’exposition Making a difference dans les Caves voutées de Neimënster.
Au programme de cette dixième édition, un panorama riche d’une centaine d’œuvres, courts et longs-métrages confondus. Dix-neuf pays autrefois affiliés à l’URSS y sont représentés, dont pour la première fois des films albanais. L’importance de ces productions si souvent tenues en marge de l’industrie cinématographique a depuis longtemps été démontrée. Grâce au génie d’Ernst Lubitsch, les comédies hongroises ont connu un franc succès à Hollywood, tandis que Béla Tarr (Les Harmonies Werckmeister, 2000) figure parmi les cinéastes adulés de Gus Van Sant. Ces dernières années a émergé une génération de réalisateurs roumains prometteurs, tels que Cristian Mungiu, Corneliu Porumboiu ou Catalin Mitulescu. Le documentaire d’Alexander Nanau, Toto est ses soeurs (2016), compte parmi les plus beaux films de l’année 2016. À l’école de Lodz, en Pologne, se sont formés Jerzy Skolimowski, Krzysztof Kieslowski, Roman Polanski, ou encore Andrzej Wajda, auquel le festival rend hommage en présentant Afterimage (2017).
Les jeunes cinéastes qui composent aujourd’hui ce paysage cinématographique ne l’ont pas oublié. S’ils ont gagné en liberté de tons et de sujets, comme en témoigne les comédies de la section FunnyEast, leurs styles puisent souvent dans l’héritage de leurs ainés. Ce constat vaut particulièrement pour les huit films sélectionnés dans la compétition officielle. Trois d’entre eux sont des drames sociaux de facture réaliste. Filthy, réalisé par Tereza Nvotova, aborde sans détour des sujets graves (le viol) ou intimes (la sexualité d’une adolescente), autrefois tabous dans le cinéma soviétique. Daybreak, de Gentian Koçi, décrit les tourments quotidiens de Leta (Ornela Kapetani), une jeune femme partagée entre l’éducation de son enfant et les soins à prodiguer à une dame âgée. 3/4, du réalisateur bulgare Ilian Metev, lauréat du « Guépard d’or des Cinéastes » au dernier Festival de Locarno, s’inscrit dans une sensibilité plus poétique. À Sofia, Mila (Mila Mihova) et son jeune frère, le fantasque Niki (Nikolay Mashalov), passent avec leur père les derniers jours de l’été. C’est le crépuscule de l’enfance, et le réalisateur captent les moments de tension et d’attention qui affectent leurs relations familiales.
Krzysztof Krauze et Joanna Kos-Krauze ont quant à eux retracé le génocide perpétré au Rwanda dans Birds are singing in Kigali. Le film a pour emblème symboliquement des vautours dévorant la carcasse d’un animal. Le plan, qui reviendra à plusieurs reprises, est de mauvais augure, annonçant les massacres ethniques qui vont avoir lieu. Le montage parallèle confronte les points de vue et les trajectoires de deux femmes, la Polonaise Anna Keller et la Rwandaise Claudine Mugambira. La mémoire de l’Holocauste vient hanter chaque image de ce film récompensé d’un Lion d’argent au Polish Film Festival. Comme par exemple dans cette séquence où des vêtements sont entassés dans une église désaffectée.
Un dernier groupe de films se détache de la compétition officielle par leurs aspects loufoques, décalés, parfois jusqu’à l’absurde. Pour son cinquième film, Directions, sélectionné lors du dernier Festival de Cannes, le Bulgare Stephan Komandarev jette un regard à la fois acerbe et tendre sur les difficultés économiques de son pays. Par désespoir, même « Dieu a préféré partir depuis longtemps », comme l’affirme l’un des personnages de ce road-movie conduit par cinq chauffeurs de taxi. Avec Soldiers : A story from Ferentari, qui se déroule dans une banlieue malfamée de Bucarest, Ivana Mladenovic signe un film très drôle sur l’improbable idylle unissant Adi, un anthropologue passionné de musique, à Alberto, un ancien prisonnier.
Miracle, comédie écrite et mise en scène par la Lituanienne Eglé Vertelyté, ressemble, par sa photographie, à un film d’Aki Kaurismäki. Les vestiges du communisme subsistent : bustes de Lénine, drapeau rouge, propagande télévisuelle, sans oublier le Kolkhoze géré depuis 1978 par Irène (Eglė Mikulionytė)... Jusqu’au jour où un entrepreneur américain (Vyto Ruginis) se présente pour racheter et moderniser la ferme. Le miracle dont il est ici question dépendra-t-il de cet homme providentiel, ou s’agit-il, une fois de plus, d’une énième diversion conduisant à de faux espoirs ? Cet héritage soviétique transparaît tout autrement dans November, de Rainer Sarnet, libre adaptation du best-seller estonien Rehepapp d’Andrus Kivirähk. Le film évoque à bien des égards Andreï Roublev (1966) de Tarkovski, tant pour son traitement pictural du noir et blanc que pour sa thématique pagano-chrétienne (l’épisode de la sorcière). Et par ses aspects baroques et son recours à des matières argileuses, November fait songer aussi à la dernière épopée médiévale d’Alexeï Guerman (Il est difficile d’être un dieu, 2013).
Outre les films comparaissant pour l’obtention du Grand Prix Cineast, la manifestation luxembourgeoise entend bien s’adresser au plus grand nombre, du cinéphile averti au public familial. Des soirées d’accompagnement viennent également ponctuer le séjour des festivaliers, avec des repas, des concerts et des débats organisés en présence des professionnels invités. En attendant les délibérations du Jury international présidé cette année par Anne Fontaine, fêtons, comme il se doit, le dixième anniversaire de Cineast avec le groupe de rock Svjata Vatra (samedi 14 octobre, à partir de 19 heures aux Rotondes).