Tout de suite, l’impensable : un homme, visiblement éreinté, largué dans un train, écoute son répondeur. Une voix de femme paniquée, qui parle de la disparition d’un enfant, le leur. Arrivé sur les lieux, Julien (Guillaume Canet) ne peut que constater la désolation, ce bivouac installé dans une vallée enneigée, cet endroit vide, où son fils n’est plus. Marie (Mélanie Laurent), son ex-femme, oscille entre raison et évocation du pire. Pour Julien, tout va trop vite. Il y a le gendarme qui parle de kidnapping et le nouveau compagnon de Marie, Grégoire (Olivier de Benoist), qui lui étale tout son bonheur et l’égratigne au passage. Car Julien est absent, pour les sorties de classes, les week-ends et même les vacances. C’est pour ça que Marie l’a mis en classe verte, le petit, pour avoir un peu de calme, elle qui se remet difficilement d’une fausse couche. Julien reprend peu à peu sa place. À l’aide des vidéos tournées par son ex-femme, il enquête lui-même, se passant des autorités qui n’ont que peu goûté sa violence envers Grégoire, qu’il soupçonnait. Coincé dans l’habitacle de sa voiture ou lâché en plein massif du Vercors, Julien traque, avance presque bestialement vers une piste qu’il suivra en solitaire.
Pour son cinquième long-métrage, sobrement intitulé Mon garçon, Christian Carion s’offre un fantasme de cinéaste : proposer à un comédien expérimenté, lui-même metteur en scène, de ne lui donner les scènes qu’au compte-goutte et ainsi filmer toute la surprise, les propositions, les improvisations. Guillaume Canet, complice du réalisateur depuis son deuxième film (Joyeux Noël, 2005), s’est ainsi prêté au jeu, séduit par la proposition. Il en résulte des imperfections collant parfaitement au contexte, telle cette élocution parfois hésitante, cette superposition de répliques ou encore ce regard hésitant, presque hagard, traduisant l’incapacité du personnage à adopter un comportement rationnel. Mais si la caméra d’Eric Dumont, chef-opérateur venant du documentaire (que déjà Stéphane Brizé avait fait venir à la fiction en 2015 pour La loi du marché) reste intensément proche du personnage, elle tient en respect les codes du thriller, allant fort lorgner du côté du cinéma de Michael Mann, de ses personnages habités par leurs quêtes organiques. La tension du film est scénarisée, mais constamment un degré au-dessus des narrations classiques puisque prenant en compte la force de proposition de l’acteur. On appréciera le désespoir cru qui le tenaille, mais c’est surtout dans la violence que Canet sort des rails, enfin. La colère n’est pas un vain mot, ici, elle est impossible à négocier, enfle logiquement. Carion se plaît aussi à filmer ce chasseur en huis-clos, où il est face-à-face avec la douleur.
Cette incursion de l’improvisation dans la fiction est la grande force du film. Cependant, elle ne cache que peu de temps la faiblesse dramaturgique de l’ensemble. En effet, le scénario ne se focalise que sur la traque elle-même, ne donnant que peu d’importance à l’histoire globale et surtout au dénouement : le concept en lui-même et le suspense distillé ne tiennent pas leurs promesses jusqu’à la fin et ne permettent pas de combler le manque de substance de l’ensemble. Marylène Andrin-Grotz