Biennale d'architecture de Venise 2016

Who walks their talk ?

d'Lëtzebuerger Land du 25.09.2015

Nous avons toutes les raisons d’être curieux et impatients de voir le résultat de l’appel lancé par le Luca (Luxembourg center for architecture) pour la participation luxembourgeoise à la quinzième biennale d’architecture de Venise, qui de tiendra du 28 mai ou 27 novembre 2016. Alors que le Luca avait lancé un premier appel, aux idées originales et convaincantes pour représenter le Luxembourg sur la scène internationale, en juillet avec date limite d’envoi le 23 septembre, ce n’est que le 31 août passé que le curateur de l’édition 2016 de la biennale, Alejandro Aravena, en a révélé le titre : Reporting from the front.

Alors qu’en 2004, le Luxembourg était représenté par une série de bureaux et de projets d’architecture – un petit tour de la crème de la crème architecturale un peu à la manière du BHP ou du prix de l’architecture – par la suite, avec Welcome to paradise en 2006 (en effet à Venise les architectes avaient thématisé le paradis luxembourgeois avant les artistes), Points of view. 4 questions. 44 answers en 2008, Rock-paper-scissors en 2010, Futura bold en 2012, Modernity – loved, hated or ignored ? en 20141, le pavillon luxembourgeois s’est distancié de l’œuvre architecturale, s’orientant vers le questionnement, l’observation, la réflexion, l’étude, la multidisciplinarité, au futur tant qu’au passé.

2016 sera la huitième participation luxembourgeoise à la biennale d’architecture de Venise et permettra de revenir vers l’œuvre autant que vers la pratique architecturale quotidienne, courageuse, revendicatrice et révélatrice. Dans son exposé, Alejandro Aravena demande à voir « des architectures qui malgré la pénurie de moyens intensifient ce qui est disponible plutôt que de se plaindre de ce qui manque », « des cas qui résistent au réductionnisme et à la sur-simplification » et des gens qui « walk their talk » (qui tiennent leurs promesses). S’il n’est pas nécessairement légitime de penser qu’éventuellement le Luxembourg ne serait pas concerné autant que certains autres pays par une telle thématique, il est impossible de ne pas se demander qui à Luxembourg se sentirait visé pas la chose et visé de telle façon à vouloir ainsi représenter le pays.

Sans aucun doute, et indépendamment du public international de la biennale, aux yeux du public national, il sera bien plus intéressant de découvrir la totalités des propositions soumises (plutôt que la seule à être montrée à Venise) et ceci pas par plaisir de curiosité, mais par souci de découverte et de compréhension. Où se trouve à nos yeux et dans ce contexte le « front » luxembourgeois ? À Luxembourg, who walks their talk ? Malgré quelle pénurie de moyens ? Quelle intensification ? Qui résiste à la sur-simplification et au réductionnisme ? Qui ne se plaint pas ? Architectes, ingénieurs, paysagistes, urbanistes, designers, artistes, journalistes, politiciens, professeurs, chercheurs, étudiants, promoteurs, pouvoirs publics, constructeurs, nous en sommes tous concernés, nous y participons tous, et, nous nous plaignons tous – surtout les uns des autres ou plutôt chacun des autres.

L’appel lancé par le Luca revient en fait à un auto-bilan. Il est temps de faire un audit. Le timing pour un tel appel est plutôt très bien : nous voilà en pleine présidence du conseil de l’Union européenne, un état membre fondateur, Heimatland de Schengen, au lendemain du neen, neen, neen, avec JCJ s’explique et qui nous explique à l’Europe, la Nordstrooss qui enfin mène au Kirchberg, le Tram qui commence à se mettre en place et les enfants (des) réfugiés nouvellement arrivés qui viennent d’être scolarisées dans un climat côté enseignants – professeurs – ministère de l’Éducation qui n’en finit pas de nous pomper l’air à nous tous. Alors, la qualité du cadre de vie, la qualité architecturale, urbanistique, paysagère, à garantir en application des directives, des lois et des règlements, en mutation permanente et en prolifération angoissante, est-ce possible ? Est-ce réalisable ? L’OAI (Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils) l’a thématisé plus d’une fois, est-ce une mission impossible ? Existe-t-il un Superjhemp de l’environnement bâti ou à bâtir ? La Mélusine de Serge Ecker aura-t-elle sur la capitale et le grand-duché les mêmes pouvoirs enchanteurs qu’avait eu la Mélusine de la légende ? Faut-il être réaliste et exiger l’impossible comme l’avait prôné le Che ?

À Venise, Reporting from the front montrera des cas de petites victoires osées, de petits risques qui ont remporté à petite échelle car en effet, plus le problème est grand, et plus il faut s’y prendre petit à petit. En ce début d’automne, le Luca collecte toutes les tentatives, les risques et les petites victoires que nous aurons envoyés de nos fronts. Espérons que telle que de Terrence Malick l’a montré dans The thin red line, le Luca ne se limitera pas au choix du récit qui fera la une à Venise et à la présence et à l’action sur place, mais qu’auparavant cette récolte des récits du front, prometteuse car inédite et unique en son genre, sera partagée avec le public luxembourgeois qui ne pourra que se laisser emporter par ces élans et les répercuter à son tour, à son quotidien, à sont front.

1 Cette année, le pavillon a été transposé à l’espace d’exposition du Luca, où il reste visible jusqu’au 19 décembre ; www.luca.lu
Shaaf Milani-Nia
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