La hausse des prix s’accélère en Europe

L’inflation est-elle de retour ?

d'Lëtzebuerger Land vom 31.08.2018

Bonne surprise en cet été 2018 pour tous ceux qui travaillent au Luxembourg. Les chiffres de l’inflation en juillet (+ 1,5 pour cent sur un an selon le calcul du Statec) ont en effet déclenché une tranche indiciaire entraînant la hausse de 2,5 pour cent des salaires, traitements et pensions au 1er août.

Et ce n’est pas fini, car même si la date de déclenchement de la prochaine tranche est « encore hautement incertaine » elle pourrait intervenir « déjà au troisième trimestre 2019 en cas de réalisation du scénario haut », c’est-à-dire celui d’un retour durable de l’inflation.

Or le 17 août, moins de dix jours après la publication du Statec, l’institut statistique européen Eurostat révélait une accélération de hausse des prix en Europe, avec un rythme annuel de 2,2 pour cent pour l’ensemble de l’UE, de 2,1 pour cent pour les pays de la zone euro et de 2,5 pour cent pour le Luxembourg !

Pour la zone euro, le rythme annuel d’inflation en juillet 2017 n’était que de 1,3 pour cent, et ce taux prévalait encore en mars et avril 2018. L’accélération date du mois de mai avec 1,9 pour cent, la barre des deux pour cent ayant été atteinte en juin.

Ce seuil n’est pas neutre. C’est l’objectif que la BCE cherche à atteindre depuis des années grâce à sa politique monétaire accommodante : si on considère qu’un peu d’inflation revient à mettre de l’huile dans les rouages de l’économie européenne, il correspond au niveau optimum de « lubrification ».

D’après Eurostat, à la fin juillet 2018, vingt pays de l’UE (sur 28) dont treize de la zone euro (sur 19) se situaient au-dessus des deux pour cent, parfois depuis plusieurs mois, ce qui devrait en toute logique provoquer une modification de la politique monétaire de la Banque centrale. Or, lors de sa dernière réunion plénière à Riga à la mi-juin, la BCE a annoncé que ses taux resteraient inchangés au moins jusqu’à la fin de l’été 2019, seuls les rachats d’actifs étant appelés à diminuer puis cesser à partir d’octobre 2018. Les chiffres publiés par Eurostat le 17 août n’ont provoqué aucune réaction particulière de sa part, comme si elle ne croyait pas au retour de l’inflation.

Une première explication tient au fait que les instituts nationaux, qui utilisent des méthodes différentes pour calculer les indices de prix, donnent presque systématiquement des résultats inférieurs à ceux d’Eurostat. Le cas est flagrant au Luxembourg, avec un écart d’un point ! En Belgique, Statbel parle d’une hausse annuelle de 2,17 pour cent là où Eurostat donne un chiffre de 2,7 pour cent. En France, l’estimation européenne est un glissement annuel de 2,6 pour cent tandis que l’Insee donne 2,3 pour cent.

La deuxième raison tient au caractère ponctuel de la hausse, qui serait surtout imputable, toutes choses égales par ailleurs, à la forte progression des prix de l’énergie (+ 9,5 pour cent sur un an en juillet) et à moindre titre des prix de l’ensemble « alimentation, tabac, alcool » (+ 2,5 pour cent), deux postes qui pèsent près du tiers du budget des ménages. Déjà fin 2012, l’inflation européenne en rythme annuel avait, pour les mêmes raisons, franchi la fameuse barre des deux pour cent avant d’amorcer un net repli.

Pour de nombreux experts, la hausse enregistrée au cours des derniers mois ne sera pas durable, de sorte que les prévisions pour l’année restent inférieures à deux pour cent : en juin, la BCE évoquait une hausse de 1,7 pour cent en 2018 pour la zone euro, un chiffre maintenu pour 2019 et 2020. Au Luxembourg, selon l’indice national, les prévisions d’inflation, malgré une progression au quatrième trimestre, restent de 1,4 pour cent 2018 et 1,8 pour cent en 2019.

Enfin, les économistes préfèrent raisonner sur les chiffres de « l’inflation sous-jacente », c’est-à-dire débarrassés de l’influence de prix très volatils comme ceux de l’énergie et des produits alimentaires (notamment des fruits et légumes, sensibles aux caprices de la météo). Elle ne prend en compte que l’évolution du prix des services (44,4 pour cent du budget) et des produits manufacturés (26,3 pour cent), qui a été très modeste en juillet 2018 : respectivement + 1,4 pour cent et + 0,5 pour cent en rythme annuel.

Au Grand-Duché, l’inflation sous-jacente n’était que de 0,7 pour cent en juillet selon le Statec, contre 1,9 pour cent un an plus tôt. En France, elle ne dépasserait pas 0,9 pour cent. Difficile de parler de retour de l’inflation dans ce contexte, mais la tendance est clairement à la hausse un peu partout en Europe. Ainsi pour le Statec, l’inflation sous-jacente au Luxembourg passerait de 1,0 pour cent sur l’ensemble de 2018 à 1,8 pour cent en 2019.

Plusieurs économistes, qui s’accordaient jusqu’ici pour considérer qu’une hausse modérée des prix serait plutôt favorable à l’économie, comme signe de bonne santé et comme stimulant, pensent désormais que même un taux d’inflation modeste pourrait s’avérer déstabilisant dans des économies habituées depuis deux décennies à une faible augmentation du niveau général des prix.

Les consommateurs verront baisser leur pouvoir d’achat, et, dans l’impossibilité (sauf cas d’échelle mobile des salaires) d’ajuster à la hausse leurs revenus, seront tentés de faire des économies là où ils le peuvent, ce qui sapera l’activité dans certains domaines, alors que la croissance donne déjà des signes de faiblesse. Certaines catégories seront spécialement affectées : en France, le gouvernement a annoncé le 26 août que les pensions du régime général de répartition ne seront revalorisées que de 0,3 pour cent en 2018 et 2019, alors que le taux minimum d’inflation prévu est de 1,7 pour cent !

Le monde des placements va subir une pression supplémentaire. D’ores et déjà de nombreux placements liquides et peu risqués ont un rendement réel négatif. C’est notamment de l’épargne bancaire (dépôts à vue, livrets, comptes à terme), qui ne rapporte quasiment rien : au Luxembourg et en Belgique, les taux sur les comptes d’épargne « classiques » sont  de 0,20 pour cent, prime de fidélité comprise. En France le Livret A rapporte davantage, mais le gouvernement a décidé de geler son taux (0,75 pour cent) jusqu’en 2020 ! Les placements en instruments financiers comme les obligations d’État ou les fonds monétaires sont aussi dans ce cas. Une hausse même modérée des prix aggraverait la situation en pénalisant encore davantage les épargnants qui, comme dans les années 70 et 80, subiraient une double peine avec une inflation qui entame le pouvoir d’achat de leur capital et des rendements insuffisants pour le maintenir. Va-t-on vers une « euthanasie des rentiers » ?

Pour espérer gagner de l’argent, il faut accepter de prendre des risques et d’investir plus longtemps ce qu’une majorité des épargnants se refusent à faire comme le montrent les faibles taux de détention directe d’actifs financiers tels que les actions ou les OPC. Même l’assurance-vie en unités de compte est pénalisée : le site français Retraite.com, ayant analysé 350 contrats distribués par des banques, des assurances, des courtiers en ligne et des associations, a trouvé que dans plus de six cas sur dix les frais facturés étaient supérieurs aux performances.

Pour de nombreux experts, l’inflation actuelle « par les coûts » n’est pas saine, car elle ne provient pas d’une pression de la demande sur l’offre. Cette situation se produirait si les conditions de l’emploi étaient telles que les salariés pouvaient réclamer des hausses de leurs rémunérations. Or, même si la croissance européenne se maintenait au niveau de 2,4 pour cent connu en 2017 (ce qui ne sera pas le cas en 2018 selon le FMI), on sait que pour différentes raisons structurelles (digitalisation, robotisation, délocalisations) le chômage ne diminue pas de manière sensible : en juin dernier il touchait encore quelque sept pour cent de la population active de l’UE (8,3 pour cent dans la zone euro) et surtout 15,2 pour cent des jeunes de moins de 25 ans, soit 3,4 millions de personnes (16,9 pour cent dans la zone euro). Et quand les chômeurs retrouvent du travail, c’est souvent sous la forme d’un contrat précaire. Le pouvoir de négociation des salariés en est inévitablement affecté.

Le vrai risque serait de voir revenir la stagflation, si difficile à éradiquer dans les années 70 et 80, avec un chômage élevé coexistant avec une forte inflation alimentée par la hausse des prix de l’énergie. Un cauchemar tel que certains économistes appellent à un programme de grands travaux, sorte de « plan Marshall » dans le domaine des infrastructures (d’Land du 24 août) ou consacré à la transition énergétique.

Georges Canto
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