Le manque de connaissances économiques et financières des épargnants et des investisseurs est devenu en quelques années un sujet majeur de préoccupation. Pour les autorités monétaires, soucieuses de protéger les consommateurs, ces lacunes les empêchent de faire les meilleurs choix possibles pour la gestion de leurs avoirs ou de leurs dettes et les rendent vulnérables à des offres, notamment digitales, qui relèvent souvent de l’escroquerie. Ils sont déroutés par la sophistication croissante du monde de la finance, en termes de techniques et de produits, comme par les innovations technologiques (apparition des fintechs, des robots-conseillers, des monnaies virtuelles, etc.).
Les professionnels se désolent souvent de rencontrer des clients qui ne comprennent ni le contenu ni l’intérêt des recommandations personnalisées qui leur sont faites, manifestent une aversion excessive au risque et se rabattent in fine sur les solutions les plus basiques (également les moins rentables pour les clients comme pour les banques). Les gouvernements, de leur côté, sont préoccupés de voir que les citoyens n’arrivent pas à bien saisir les évolutions macro-économiques, dont certaines sont inédites (taux d’intérêt négatifs) et comprennent mal les mesures de politique monétaire et budgétaire qu’ils adoptent.
Toutes les études réalisées depuis une vingtaine d’années au niveau national ou international ne peuvent qu’alimenter ces inquiétudes. En 2008, l’OCDE a créé l’International Network for Financial Education (INFE) qui enquête régulièrement sur le niveau d’éducation financière du public. Son dernier rapport publié en 2017, intitulé « Report on Adult Financial Literacy in G20 countries », a porté sur un très vaste échantillon de près de 102 000 adultes âgés de 18 à 79 ans dans 21 pays (19 pays du G20 plus la Norvège et les Pays-Bas).
La culture financière a été évaluée sur trois dimensions, les connaissances proprement dites (sept points), les comportements (neuf points) et les attitudes (cinq points). Sur un maximum possible de 21 points, la moyenne des notes s’élève à 12,7 – ou si l’on préfère 60,5 pour cent de bonnes réponses. Quatre pays seulement ont une note supérieure à quatorze, la France, le Canada, la Norvège et la Chine. Quatre autres affichent en revanche un score inférieur à douze (Inde, Argentine, Italie et Arabie Saoudite).
Sur la partie relative aux connaissances financières, moins de la moitié des personnes (48 pour cent) ont su répondre correctement à au moins cinq questions, ce qui était considéré comme le niveau minimal. De gros écarts ont été constatés selon le sexe, le pourcentage d’hommes atteignant l’objectif minimum étant supérieur de onze points à celui des femmes (54 pour cent contre 43). Curieusement, l’écart était supérieur à vingt points dans des pays tels que le Canada, le Royaume-Uni et les Pays-Bas ! En matière de « bons comportements » seuls 52 pour cent des sondés ont atteint l’objectif minimum (six réponses correctes sur neuf) et sur les attitudes 48 pour cent ont été dans ce cas (trois réponses correctes sur cinq).
D’une étude à la suivante, les résultats ne s’améliorent guère. C’est pourquoi en 2012 les dirigeants du G20 réunis au Mexique ont adopté les « High-level principles on national strategies for financial education » définis par l’OCDE-INFE. Plusieurs d’entre eux n’avaient pas attendu cette date pour mettre en place des programmes d’amélioration de la culture financière de leurs ressortissants, désormais considérée comme une des compétences de base pour tout être humain.
Logiquement, ces programmes visent en priorité les jeunes, avec des modules spécifiques introduits dès l’école primaire et jusqu’au lycée. Ils sont généralement élaborés en coopération avec la banque centrale du pays concerné et son ministère de l’éducation. Ils sont faciles à mettre en œuvre : il existe un vrai consensus sur leur nécessité, aussi bien du côté des pouvoirs publics que des parents d’élèves et des enseignants (qui bénéficient de modules à leur intention), et il suffit de les greffer sur les cursus existants. De ce fait ils sont aujourd’hui généralisés dans les pays développés (voir le Land du 20 juin 2014). Cela étant, l’éducation financière des jeunes n’est pas sans présenter quelques inconvénients.
Par nature, ses effets ne pourront se produire que sur le moyen et le long terme, au moment où les élèves et étudiants auront une vie professionnelle et personnelle les amenant à consommer de nombreux services financiers. De plus, aucun des pays ayant mis en place des programmes d’éducation financière pour les jeunes n’a cherché à en mesurer l’impact, au bout de dix ans par exemple. Mais certaines enquêtes récentes donnent à réfléchir. Selon plusieurs études menées sous l’égide de l’OCDE, les personnes âgées de 16 à 34 ans, récemment issues d’un cursus scolaire ou universitaire, n’ont pas de meilleurs résultats que leurs aînés en compétences économiques et financières. À leur décharge, les facultés d’oubli et surtout les changements incessants qui affectent le monde de l’économie et de la finance et rendent obsolètes une partie de leurs connaissances.
Donner une éducation financière aux adultes est autrement difficile. À leur égard seul le volontariat est a priori envisageable, et la forme classique de cours doit normalement être exclue. Pour cette raison, les initiatives, même si elles sont très nombreuses, ne brillent généralement pas par leur originalité (lire encadré). D’autre part, les « mesures d’audience » font défaut, c’est-à-dire que le nombre de personnes touchées par ces actions est difficile à évaluer, et que les données manquent sur leur impact réel sur les compétences financières des intéressés.
D’où l’idée de donner un rôle particulier aux entreprises et aux administrations, qui sont en contact quotidien avec des adultes. Cette stratégie est quasiment inconnue en Europe : elle ne figure pas au nombre des « bonnes pratiques » recensées par le Comité économique et social européen, qui évoque seulement la distribution de brochures dans les entreprises (Royaume-Uni) ou de courtes séances d’une heure assurées sur le lieu de travail par les représentants des autorités financières (Irlande).
En revanche elle semble très commune en Amérique du nord. Selon un sondage publié le 18 juillet 2018 par l’International Foundation of Employee Benefit Plans portant sur 450 entreprises canadiennes et américaines, 63 pour cent d’entre elles proposent déjà à leurs salariés des modules d’éducation financière, tandis que 19 pour cent envisagent de le faire. Un quart des « praticants » ont un budget dédié à ces formations, contre quatorze pour cent deux ans auparavant.
Les entreprises répondent en cela à une demande de leurs employés mais y voient aussi leur propre intérêt. Une mauvaise gestion des finances personnelles se traduit en effet par une augmentation du stress et un manque de concentration loin devant les problèmes de santé physique et l’absentéisme. Les salariés confrontés à des problèmes financiers, concernant principalement l’endettement et la gestion des cartes de paiement, les dépenses de scolarité et l’épargne-retraite, travaillent moins bien et l’aide que l’entreprise peut leur apporter dans ce domaine aura un impact positif sur leur productivité. À noter que si seulement une société sur cinq mesure la rentabilité de ce type d’initiatives, 56 pour cent estiment qu’elles sont un succès.
La surprise vient de la forme prise par les sessions de formation, qui restent très classiques : là où l’on s’attendrait plutôt à des services en ligne, dans 90 pour cent des cas on a affaire à des cours ou à des ateliers « en présentiel » sur la base du volontariat. Dans 63 pour cent des entreprises on propose aussi des consultations personnelles gratuites portant sur les questions financières (placements, gestion des dépenses courantes et des dettes) et dans 55 pour cent des calculateurs et comparateurs sont mis à disposition des salariés. De quoi donner du grain à moudre aux Européens.
Comment former les adultes ?
Le Comité économique et social européen (section spécialisée Union économique et monétaire) a recensé les initiatives prises dans onze pays pour améliorer la culture financière des adultes. La forme la plus courante est celle des sites Internet dédiés des banques centrales, de la profession bancaire ou d’associations spécialisées, sur des modèles très voisins (« La Finance pour Tous » en France, « Finanzas para Todos » en Espagne). Un autre axe est constitué par des campagnes de communication à la télé, dans la presse et à la radio (un média qui s’est révélé très efficace en Irlande). L’Espagne se distingue ici avec l’instauration annuelle d’une Journée nationale d’éducation financière et une très forte présence des acteurs de l’éducation financière sur les réseaux sociaux.
Dans certains pays existent des dispositifs de grande ampleur qui ne relèvent pas à proprement parler de l’éducation financière mais plutôt du conseil et de l’assistance à des publics fragiles. C’est le cas en Suède où siègent dans chaque commune des « conseillers en matière de dettes et budgets ». Au Royaume-Uni, le Money advice service est mandaté par le Parlement pour aider gratuitement les ménages à gérer leur budget. Dans le même esprit on commence à former en France des « coachs budgétaires ». Au-delà de l’appui immédiat qu’ils apportent à des personnes en difficulté, tous ces dispositifs font œuvre de pédagogie financière vis-à-vis de leurs publics-cibles. gc