Penser la démocratie comme un acquis est un leurre. On s’imagine depuis l’élection de Trump, président des États-Unis, que la pensée nationaliste s’est décomplexée. C’est assez juste. Un regard sur la Pologne qui est une nation au passé douloureux, elle n’a pas existé pendant 123 ans, c’est un fait et un complexe. Le gouvernement actuel, ultra-conservateur, de droit et de justice (PiS) en joue. Sous prétexte de vouloir réformer et se renforcer, il efface toutes les traces du passé le plus récent, le communisme ou l’implication de la Pologne dans l’Holocauste, mais surtout il efface le développement démocratique. En deux ans, la société civile est scindée en deux : nous et eux.
Samedi dernier, lors du 99e anniversaire de l’indépendance, on a assisté à un spectacle effarant : la marche pour l’indépendance. Depuis 2009, d’année en année, aux conservateurs raisonnables se sont joints les populistes hypnotisés par les médias ultra-catholiques, tels que Radio Maryja, mais samedi dernier sont apparus des extrémistes aux feux de bengale et aux bannières qui laissaient apparaître les idées les plus nauséabondes: « Pologne pure, Pologne blanche », « Dégagez avec vos réfugiés », « Prions pour un Holocauste islamique », « Nettoyer la société de la juiverie », sous le mot d’ordre évident « Nous voulons Dieu ». Ce furent 60 000 personnes. C’est peu au regard des 39 millions de Polonais. Et puis, il y avait des Hongrois, des Italiens, des Britanniques, des Allemands. Les mouvances populistes d’extrême droite se sont décomplexées partout, c’est établi. Elles sont même rentrées dans le Bundestag. Elles siègent au Parlement européen, morcelées, souvent en large désaccord entre elles, mais elles y sont et depuis un moment déjà.
Mais ce n’est pas une excuse. La Pologne est au bord de l’abîme démocratique, les membres de mêmes familles s’engueulent pour savoir s’il faut oui oui non faire une purge totale de ce qui reste du passé, celui qui prétendument se servait dans les caisses de l’État, qui profitait pendant que les autres trimaient et surtout celui qui a tué le frère jumeau de Lech Kaczynski dans la catastrophe de l’avion présidentiel à Smoleńsk en 2010. Il y a de nombreux raccourcis. Kaczynski, président du PiS le voit présentement comme ça, il le hurle devant le Parlement polonais. Le gouvernement le suit et agit en conséquence : on démantèle tout ce qui existe de ce passé et par la même occasion la démocratie. On crée une nouvelle narration, on contrôle un maximum de médias, la culture, on efface Lech Wałęsa complètement des livres d’histoire, on retrouve des documents compromettants pour prouver que les héros d’antan n’ont été qu’apparatchiks, on offre 500 zł par tête d’enfant pour contenter et puis on démantèle le Tribunal Constitutionnel.
L’UE est dépassée, elle ne réagit qu’à distance, avec un président du Conseil Polonais, Donald Tusk, répugné par le gouvernement. L’UE menace, mais face aux multiples monstres qui ont fait leur apparition, sur son territoire qu’elle dit de liberté, de solidarité, elle a la nausée. Et depuis Viktor Orbàn en Hongrie, les monstres restent. Depuis fin 2015, l’État de droit en Pologne a été fortement bousculé, le Tribunal constitutionnel a été réaménagé à la manière du PiS.
Étonnement, le président Andrzej Duda (PiS) a condamné la manifestation du 11 novembre dernier : trop nationaliste. Il a prévenu que le racisme et l’anti-sémitisme, tout comme un nationalisme exacerbé n’ont aucune place et que la Pologne reste un pays où chacun, indépendamment de sa nationalité et de la couleur de sa peau peut vivre et travailler. Ces derniers mois, Duda s’est opposé à quelques reprises à son parti, notamment en posant son double veto pour la réforme du Tribunal Constitutionnel. Une stratégie ou une opposition timide, mais cela permet de voir en lui un interlocuteur raisonnable, d’espérer. Car si le gouvernement polonais dit vouloir rétablir la justice, nettoyer les débris de corruption communiste, il veut avant tout imposer une vision du monde. Un monde chrétien, dans lequel on ne tend la main qu’à ceux qui reconnaissent les valeurs chrétiennes, discréditant tous ceux qui s’opposent à sa vision.
Le PiS comme tous les autres conservateurs extrémistes répondent à un sentiment de supériorité idéologique et se prévalent d’être possesseurs des terres millénaires – comme la forêt de Białowiezia ou Standing Rock qu’ils raseraient si on les laissait faire. Mais ce n’est rien de nouveau, ces mouvances populistes, xénophobes et homophobes regroupent des complexés, parfois désespérés et ensemble ils se voient supérieurs aux autres qui eux assument leurs faiblesses et leurs différences.
Le PiS, tout comme Donald Trump, président des États-Unis, ont cependant du positif pour la société civile : des initiatives citoyennes se mettent en place un peu partout, depuis 2008 déjà d’ailleurs, avec Occupy, les protecteurs de Standing Rock ou encore les Polonais qui protestent avec leurs parapluies noires lors des « czarny protest ». On a beaucoup manifesté contre la haine de l’autre, qui plane, mais surtout pour conserver les libertés acquises et pour en exiger de nouvelles, en somme pour exiger plus d’humanisme. Et comme le dit l’essayiste canadienne Naomi Klein, au lieu de se mesurer à Trump, qui place la barre tellement bas, les jeunes dirigeants qui savent si bien manier le marketing, Twitter et les mèmes, qui parlent de changement de paradigmes à tout bout de champs, tout en reproduisant toujours et encore la même austérité et un libéralisme débridé, créant ainsi les mêmes injustices et les mêmes appels d’air : populisme et xénophobie. Au lieu de ça, le débat politique doit être relevé et rendu great again, car la plus grande crise est celle de la représentativité politique.