Encombrement Lorsque ce lundi soir, François Bausch (Déi Gréng), ministre du Développement durable et des Infrastructures, Corinne Cahen (DP), responsable de la Famille et de l’Intégration, Claude Meisch (DP), ministre de l’Éducation nationale, et Dan Kersch (LSAP), ministre de l’Intérieur, présentèrent le plan d’occupation du sol pour un village de conteneurs devant accueillir des demandeurs de protection internationale (DPI) à Marnach, dans le Nord du pays, la réaction des habitants de la petite bourgade de 600 âmes était plutôt positive. Certains s’inquiétaient simplement de l’envergure prévue du projet, qui devait compter 300 habitants, qu’avec l’appui du maire Emile Eicher (CSV), ils demandent de revoir à la baisse. D’autres craignaient que ce village à l’extérieur du village risque de créer une sorte de ghetto en bordure de leur agglomération, demandant que des efforts supplémentaires d’intégration de cette future nouvelle population soient entrepris.
Côté gouvernement, les nerfs sont à vif dans ce dossier, depuis le blocage du projet de construction d’une telle structure à Steinfort. Les foyers existants, dont certains ne furent que provisoires, comme le centre de logopédie ou l’ancien supermarché Monopol, vont fermer ; d’autres, comme le Don Bosco au Limpertsberg, sont vétustes et ne correspondent plus aux normes minimales pour l’accueil de DPI. Or, le flux de nouvelles arrivées ne baisse pas vraiment, il y a eu 269 nouvelles demandes en octobre. Et la composition de cette population a à nouveau changé : seulement seize de ces nouveaux demandeurs sont Syriens, mais 153 viennent des Balkans. En tout, 1 690 personnes ont déposé une demande de protection internationale au Luxembourg entre janvier et octobre de cette année, soit 600 de plus que sur toute l’année 2014, dont 238 Syriens.
Après « l’afflux massif » Or, si tout le gouvernement, voire toute la population luxembourgeoise furent très solidaires avec les DPI fin 2015 et début 2016, lors de l’« afflux massif », lorsque les images des gens fuyant la guerre en Syrie arrivant tant bien que mal en radeaux de fortune sur les côtes grecques firent le tour du monde, la situation se complique maintenant. Car après avoir logé les gens sous des tentes dans le hall d’exposition n° 6 au Kirchberg ou dans des situations précaires dans des foyers improvisés, il faut désormais penser dans la durée. Et c’est là que le bât blesse. Même si les procédures d’analyse des demandes au ministère de l’Immigration ont pu être légèrement accélérées, elles sont toujours très longues – certains des 1 841 dossiers évacués cette année remontaient à avant 2011. Et même si le taux de reconnaissance du statut de réfugié est extrêmement élevé en ce moment – 33,1 pour cent des décisions prises en 2016 (contre moins de dix pour cent les années précédentes) –, cela ne veut pas dire que les foyers seront désencombrés. Premièrement, parce que ceux qui se voient refuser le statut ne peuvent ou ne veulent pas partir immédiatement – la plupart du temps faute de papiers de transfert ou à cause d’une procédure de recours inroduite par leur avocat. Deuxièmement parce que ceux qui décrochent les papiers si convoités qui leur accordent le statut de réfugié selon le statut de Genève – ou bénéficiaire de protection internationale, BPI, selon la nouvelle terminologie employée –, qui leur ouvre la voie aux mêmes droits que les nationaux, avec droit de séjour indéfini, accès au marché du travail et au système social (notamment au RMG, revenu minimum garanti) et la possibilité de s’intégrer pour de bon ici, rencontrent aussi les mêmes difficultés. La première étant : comment et où se loger ?
It’s a jungle out there « Se loger est extrêmement cher au Luxembourg, constate la ministre de la Famille et de l’Intégration Corinne Cahen. C’est une réalité que les BPI rencontrent eux aussi. » Mais toutes les personnes interrogées pour cet article, travailleurs sociaux, civils engagés ou politiciens, insistèrent sur une même chose : Il faut surtout éviter de favoriser les BPI par rapport aux autochtones ou résidents dans l’accès à un logement abordable. S’il faut d’urgence davantage de logements sociaux, ils devront être accessibles aussi bien au BPI avec sa famille nombreuse venue de Syrie qu’à la mère célibataire luxembourgeoise qui frise le risque de pauvreté et habite avec quatre enfants dans un studio ou encore au célibataire portugais qui vit dans la rue. Si l’accès au marché du travail demeure lui aussi difficile, pour les autochtones comme pour les DPI ou les BPI, disposer d’assez d’argent pour quitter le foyer et accéder à un logement autonome et privé sur le marché libre semble souvent hors de portée.
Le parcours classique du BPI est alors le suivant : avec les papiers, il est avisé qu’il devra soit quitter le foyer endéans les trois mois, soit payer sa chambre au foyer au prix fort (450 euros le quatrième mois pour un célibataire par exemple, 600 à partir du sixième mois, mais les prix varient en fonction de la composition de la famille et de la taille de la chambre). Si, faute de salaire, cette même personne célibataire touche alors le RMG, soit 1 348 euros, elle peut arriver à financer sa chambre. Sinon, et c’est souvent le cas, elle ne paye pas – néanmoins, l’Olai (Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration) ferme souvent les deux yeux et ne la met pas dehors. Car ceci équivaudrait à la rejeter vers les sans-abrisme. Actuellement 600 des 3 240 personnes prises en charge par l’Olai sont des BPI et pourraient théoriquement quitter les foyer. Mais en pratique, elles ignorent où aller alors.
Parmi les projets financés par le programme Mat-eneen de l’Œuvre nationale de secours grande-duchesse Charlotte, le plus gros budget, pour trois millions d’euros (sur un total de douze), va à quatre programmes de logement, dont certains sont expérimentaux, comme des idées de cohabitations intergénérationnelles. Ou un autre programme de la Fondation Caritas, qui s’engage à trouver 120 maisons ou appartements supplémentaires – elle en a déjà 80 où elle loge et encadre quelque 200 personnes –, pour y installer des BPI et les accompagner sur la voie de leur intégration dans la société luxembourgeoise. Il s’agit alors parfois d’un simple accompagnement social, mais, la plupart du temps, il est doublé d’une offre de formation, de cours de langue ou de formations spécifiques pour correspondre aux profils recherchés sur le marché du travail. Marie-Christine Wirion est responsable adjointe du service « accueil et intégration » de la Caritas et connaît bien la situation. Elle observe à quel point le manque de perspective qu’ont connu les DPI durant leur procédure, souvent très longue, les déstabilise par la suite, et à quel point il faut travailler avec eux pour les reconstruire et leur donner envie d’avenir.
Consciente des besoins urgents sur ce point spécifique du logement et de l’intégration à long terme des BPI, la Croix-Rouge a, elle, lancé le programme Lisko (Lëtzebuerger Integratiouns- a Sozialkohäsiounszenter) en avril. Il prend prioritairement en charge les réfugiés et familles de réfugiés les plus vulnérables et les accompagne dans leur intégration dans une communauté locale, mais aussi dans leur autonomisation vers une vie indépendante. « Le logement n’est qu’un volet de notre travail, explique Rita Thill-Bianchi, la responsable du Lisko, mais c’est le volet le plus urgent. » Le Lisko travaille avec l’Agence immobilière sociale (AIS), vers laquelle il oriente ceux qui sont à la recherche d’un logement abordable. Mais, depuis peu, il intervient aussi lui-même comme interface entre des propriétaires et des locataires potentiels, se portant garant d’une part (beaucoup de propriétaires sont réticents à louer à des personnes qui touchent le RMG, a fortiori quand il s’agit d’étrangers) et signant une convention avec le locataire pour un suivi social et une guidance, voire une gestion budgétaire si nécessaire, de l’autre. Les locations se font au prix du marché, et le but visé est toujours d’intégrer les réfugiés dans la réalité luxembourgeoise dans toute sa complexité, du marché du travail au logement. Après une prise en charge entière dans le foyer, il faut parfois réapprendre à gérer un budget, entre les dépenses locatives, la nourriture et les vêtements des enfants.
« Nous ne savons même pas combien de nos clients sont des réfugiés, affirme Gilles Hempel, le directeur de l’Agence immobilière sociale, parce que c’est une information que nous ne demandons jamais. » Pour l’AIS, un client est une personne à revenu modeste et en détresse de logement, quel que soit son statut ou sa nationalité par ailleurs. Il lui est toujours envoyé par une ONG œuvrant dans le domaine social, que ce soit dans la lutte contre le sans-abrisme, contre la violence domestique ou dans l’aide aux étrangers ou réfugiés. Cette association mettra sur pied un programme d’encadrement social et de formation, et l’AIS se charge de trouver un logement abordable (c’est-à-dire ne coutant pas plus qu’un tiers du budget du ménage) et adapté à la taille de la famille. Elle négocie ces prix qui se situent largement sous les prix du marché avec les propriétaires – il s’agit souvent de maisons dont les anciens occupants vont en maison de retraite ou qui sont en attente de la clarification de l’héritage par les descendants ou d’un projet de construction sur le même terrain. Durant cinq, dix ou parfois vingt ans, de plus en plus de propriétaires sont désormais prêts à les louer alors à des prix modestes à des projets sociaux, avec l’AIS comme garant du loyer et du respect de leur bien.
Actuellement, l’AIS loge un millier de personnes dans 360 studios, appartements ou maisons à travers tout le pays – les grandes fermes à sept ou dix chambres étant très prisées pour loger les très grandes familles qui sont exclues des normes du Fonds de logement par exemple –, et compte tripler ce nombre d’ici trois ans. Le but des programmes de l’AIS étant toujours d’accompagner les locataires de sorte à ce qu’ils puissent intégrer le marché locatif privé normal après les trois ans que dure un bail avec l’agence. Dix pour cent de ses clients ont même réussi à acquérir un bien après ces trois ans.
Les sans-droits sont ceux qui inquiètent le plus Marianne Donven. La directrice du centre culturel Hariko de la Croix-Rouge rencontre au quotidien des jeunes âgés entre 18 et 25 ans, souvent BPI, qui sont à bout parce qu’ils n’ont absolument rien, n’ont aucune perspective et n’en peuvent plus de vivre dans un foyer surpeuplé avec son lot de difficultés. En-dessous de 25 ans, ils n’ont pas le droit au RMG, avec l’obtention de leurs papiers, ils perdent en plus les droits sociaux, notamment les maigres 25 euros mensuels d’argent de poche. Alors elle en a accueilli trois chez elle, de jeunes Afghans encore scolarisés qu’elle traite « comme [s]es propres enfants », avec tous les engagements, soucis et frais que cela implique. Elle en a placé d’autres chez des amis, prêts à accueillir un jeune en détresse, et qui n’ont fait que « d’excellentes expériences » jusqu’à présent, dit-elle. Elle vient de lancer, avec Frédérique Buck (I am not a refugee), Oh – Oppent Haus, une initiative qui vise à sensibiliser les autochtones à ces situations de détresse et à la possibilité de loger un réfugié chez soi.
Même si, pour le moment, il reste beaucoup de zones d’ombre dans ce domaine : le risque pour le BPI adulte de perdre son droit au RMG (sauf si le Fonds national de solidarité accepte de faire jouer la clause de « l’accueil par pitié » prévue dans la loi, mais il le juge au cas par cas), l’absence de tout soutien financier ou logistique de la part de l’État pour les familles d’accueil et ainsi de suite. Et Marianne Donven d’invoquer le modèle belge, où une telle famille qui ouvre son foyer peut toucher jusqu’à 1 300 euros par mois. Le logement chez l’habitant est, en tout cas, la forme la plus directe d’intégration et la meilleur éducation à la compréhension et à la tolérance des deux côtés.