On n’est jamais prêts à vieillir, et plus que les rides naissantes, les insomnies persistantes ou l’invitation du ministère de la santé au dépistage du cancer colorectal, c’est souvent notre progéniture qui nous rappelle notre âge. On est encore moins prêts à mourir ! Pourtant, quand arrive l’âge fatidique des 18 ans, pour qu’ils apprennent à bien conduire, il va falloir être prêts à risquer votre bonus d’assurance ET votre intégrité physique (sans parler de celle de vos jantes 18 pouces). Certes, il n’y a rien d’obligatoire et l’on peut se contenter des leçons prodiguées par l’auto-école, mais il serait dommage de passer à côté de l’une des dernières occasions où vous pouvez, objectivement, être en position de leur transmettre une certaine expérience.
Ainsi, vous avez fait des enfants et, pour la première fois de votre vie, vous allez placer votre vie entre leurs mains, à moins qu’ils ne vous aient proposé de faire la cuisine quand ils avaient sept ans et que vous ayez alors frôlé la mort (explosion de gaz, incendie de la maison ou intoxication alimentaire). C’est avec vous qu’ils ont fait leurs premiers pas, balbutié leurs premiers mots, donné leurs premiers coups de pédale au Parc de Merl, et bu la moitié de la piscine de Bonnevoie. Tout cela remonte aux temps anciens, cette fameuse époque « je sais plus quand exactement, mais avant le Covid » et, désormais, ce sont vos enfants qui corrigent votre luxembourgeois ou vous montrent comment utiliser votre nouveau smartphone. Cela fait bien longtemps que vous avez renoncé à tenter de répondre aux exercices de maths ou de biologie pour lesquels, de toute façon, ils ont renoncé à vous demander de l’aide. Mais question démarrage en côte, ou entrée sur le rond-point Glück, là on rentre dans votre zone de confort. Tant mieux, car les conséquences de l’erreur d’inattention sont plus graves au volant de trois tonnes de métal lancées à 80 kilomètres heures qu’au guidon d’une draisienne ou derrière une feuille de papier. Vous allez pouvoir ressortir votre costume de Superpapa ou Supermaman (bien sûr que vous rentrez encore dedans).
Notre génération est la première à avoir infligé la conduite accompagnée à ses parents. Selon l’adage bien connu des grands-parents (« vos enfants nous vengeront ») c’est désormais notre tour d’invoquer silencieusement Saint-Christophe, de chercher une deuxième pédale de frein imaginaire, de nous cramponner au siège passager, ou de nous forcer à garder la bouche fermée alors que nous aurions déjà eu envie de hurler 20 fois. Le but de l’exercice est non seulement de réussir le permis sans dépenser l’équivalent du prix d’une première voiture, mais surtout de gagner en expérience, y compris celle d’avoir à côté de soi un passager insupportable.
Voyons le côté positif des choses : vous allez avoir la rare occasion de passer du temps avec un adolescent qui n’aura pas le nez collé sur son smartphone (enfin, espérons-le) ; vous allez pouvoir réviser vos manœuvres, y compris le créneau dont une forme d’aversion collective a contribué au succès des parkings souterrains ; vous allez pouvoir jouer les anciens combattants, du temps où l’avertisseur sonore de recul était le bruit du pare-chocs qui rencontrait une borne en béton, et où il ne fallait pas compter sur un GPS pour s’orienter sur les routes sinueuses du Mullerthal mais sur les capacités à mémoriser les cartes routières et à déchiffrer les panneaux indicateurs.
Même si la plupart des adolescents ont déjà conduit des Porsche (sur Gran Turismo, certes), et vous battent à plate couture à Mario Kart, vous pourrez leur rappeler que le but n’est pas d’arriver premier ou d’éviter les carapaces de tortues, mais bien de faire attention aux piétons, aux vélos et à votre embrayage. C’est surtout l’occasion de leur transmettre vos mauvaises habitudes, et leur apprendre ce qui n’est pas écrit dans les livres : quand est-il admis d’insulter les autres conducteurs ? au bout de combien de secondes après un feu vert peut-on klaxonner ? où sont cachés les radars ? pourquoi faut-il toujours essayer de tomber sur un chiffre rond quand on fait le plein d’essence ?
C’est, enfin, l’occasion d’une petite pensée pour Elon Musk, qui vient d’avoir son quatorzième enfant, et qui devrait peut-être retourner à ses activités passées, et terminer la mise au point des voitures à conduite autonome. Pour lui, pour ses enfants, et pour nous tous.