L’emploi du temps

d'Lëtzebuerger Land vom 07.02.2025

Si la théorie de la relativité prévoit que le temps ne s’écoule pas de manière uniforme et constante, vivre au Luxembourg confirme par l’expérience que le mois de février y dure effectivement plus longtemps que ceux de juillet ou août. 28 jours mesurés pour au moins 143 jours ressentis.

Les nouvelles technologies ne sont pas étrangères à l’impression de variation de la vitesse du temps qui passe, à défaut d’influer sur le temps qu’il fait. La possibilité de lire en accéléré « x2 » les messages WhatsApp mais aussi les vidéos ou les podcasts, permet aux stakhanovistes de rentabiliser chaque moment. Cette fonction est prisée par les plus jeunes, qui n’ont pas connu l’époque du « world wide wait », où avant de lire une page il fallait attendre que les images et le texte apparaissent à la vitesse du tram négociant ses virages sur la place du Glacis. Cela va plus vite, et surtout cela force à être concentré. On peut désormais voir les films en moins d’une heure, moins de deux pour ceux de Scorsese ou de Christopher Nolan (qu’il n’est pourtant déjà pas facile de comprendre à vitesse normale). On se met à rêver d’une option « x2 » pour les journées du lundi au vendredi, pour la promenade du chien les soirs d’hiver, les rendez-vous chez le dentiste ou les trajets en voiture.

La réduction de la durée des vidéos n’est qu’un de ces moyens de « gagner du temps ». Plus besoin d’aller chercher des fringues dans les magasins, les commander en ligne évite un déplacement, et l’attente aux cabines puis aux caisses, tout en contribuant à la fermeture des boutiques en ville. Cela laisse encore plus de temps aux vendeurs qui se retrouvent sans emploi. De même, pourquoi attendre à une table de restaurant pour qu’on prenne votre commande, qu’on vous serve, puis qu’on vous apporte l’addition, alors que vous pouvez choisir vos plats en trois clics, qui seront livrés à votre domicile pendant que vous vaquez à vos occupations tellement plus importantes que sociabiliser dans un lieu public ?

Que faire de tout ce temps gagné grâce à la technologie : apprendre la peinture ou aller plus souvent au théâtre ? Bien sûr que non ! Ces mêmes technologies nous font perdre encore plus de temps qu’elles ne nous en font économiser. Si Jimi Hendrix était né en 2010, pour ses quinze ans il se serait acheté un iPhone plutôt qu’une guitare d’occasion, et il aurait perdu quatre heures par jour à scroller sur les réseaux sociaux. Il aurait peut-être été un Tiktokeur passionnant, mais plus vraisemblablement un jeune insignifiant, au nombre aussi ridiculement élevé qu’inutile de followers. Cliquer sur l’icône Instagram signifie perdre vingt minutes de vie. Pire que piocher une clope dans un paquet de Marlboro. Qui plus est, ce n’est pas une perte hypothétique, qui avance la date de notre mort future, mais une perte immédiate du temps présent que nous aurions pu consacrer à lire un livre, discuter avec des proches, faire du sport ou, donc, apprendre à jouer de la guitare.

Bientôt, il est probable qu’on ne lira plus un seul article, mais qu’on demandera aux outils d’intelligence artificielle de nous en faire des résumés. Avec un peu de chance, on aura des documents parfaitement rédigés par ChatGPT sur la base d’instructions de quelques mots, dont on lira des résumés parfaitement condensés par ChatGPT, dans les quelques mots de départ. Le hamster dans sa roue n’a pas fini de tourner.

À l’heure où certains se demandent s’il faut quitter X, Instagram, TikTok ou les autres plateformes des oligarques ayant fait allégeance au produit de leurs algorithmes, difficile de ne pas être tentés par une longue hibernation, de quelques mois ou quelques années. Qui passerait comme une seule nuit !

Cyril B.
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