Aux cimaises du hall de Arendt House, sont accrochées des grands formats de quelques deux mètres voire plus de haut ou de large. Sauf la série Station, aux couleurs pastel évanescentes, les photographies sont en noir et blanc et seul le jeu d’ombre et de lumière donne du relief aux formes qui sont l’objet d’étude des séries Observatoire et Tower.
La première fait penser à un bunker en béton, comme ceux qui ponctuent encore les plages de la côte Atlantique. Sauf qu’à 70 ans passés, ils basculent inexorablement dans le sable. Celui de la série Observatoire de Noémie Goudal est parfaitement d’équerre et il a une apparence sculptée – a-t-on jamais vu un bunker, symétrique, doté de volées de marches comme le sien ? À l’autre extrémité de l’exposition, voici une tour de la série Tower. On pense au phare d’Alexandrie, cette septième Merveille du monde, construite à l’Antiquité, qui a disparu au quatorzième siècle. C’est donc notre mémoire livresque qui est sollicitée. Un autre élément, pyramidal, nous remémore un jardin d’agrément du 18e siècle. Une construction sans but sinon de ponctuer la promenade de manière esthétique ? Ce serait oublier les expérimentations scientifiques du Siècle des Lumières : au Désert de Retz (Yvelines), la forme conique était une glacière, alliant l’esthétique à une technique expérimentale.
C’est la première fois que l’on voit treize photographies des séries Observatoire (2013), Tower (2015), Station (2016), Tellerius (2017), et Démantèlement (2018) au Luxembourg. Paul Di Felice, qui en est le curateur, a découvert le travail de Noémie Goudal à Arles. La Française de 37 ans, vit entre Paris et Londres, diplômée de deux écoles prestigieuses, le Royal College of Art et le Central Saint Martins College of Art and Design. Durant notre rencontre, elle ne quitte pas son book des mains. Un simple cahier à spirales à la couverture en Rhodoïd. La page de garde est couverte de petites images où on reconnaît la forme néo-classique du Cénotaphe à Newton de Boullé, une architecture utopiste du Siècle des Lumières et la Saline royale d’Arc-et-Senans, où travail et habitat ont été associés dans la forme géométrique, en arc de cercle par Ledoux au même 18e siècle.
C’est que Noémie Goudal s’intéresse à l’histoire des sciences, à leurs théories (aujourd’hui on dit concepts) et comment les formes architecturales s’y sont trouvées associées. Elle nous raconte que oui, ses photographies s’inspirent de ces formes architecturales et que non, elle n’utilise pas Photoshop ni ne fait des collages. Elle fabrique des maquettes de son invention qu’elle dispose dans un paysage : une plage à marrée basse pour Observatoire. L’objet est positionné de telle manière que le ciel et l’étendue de sable se partagent à égalité la ligne d’horizon, la moitié haute et inférieure de l’image. La maquette, ainsi positionnée et qui semble avoir une échelle vraie grandeur, résulte du calcul exacte de la position de la caméra.
Nul n’est besoin de connaître ces « trucs » très réfléchis de fabrication pour apprécier ce travail artistique. Au fil des ans, la géométrie du paysage comme objet d’étude va s’avérer de plus en plus prépondérant chez Noémie Goudal. Si l’homme au fil des siècles a magnifié ses avancées scientifiques à travers des architectures monumentales et fonctionnelles, le paysage, qui s’est formé durant des millions d’années, l’a précédé et va continuer à évoluer. C’est ce que Noémie Goudal appelle le « géo-temps ». Un temps long de transformations organiques qu’illustrent les six rangées de sept petites images de la série Démantèlement. À force de sécheresse, ces paysages de zones arides paraissent morts et la lumière qui les a brûlés, brûle nos yeux. On lui a demandé si cette disposition évoquait le mythe de la création du monde en six jours et que le Créateur s’était reposé le septième ? Elle a ri, plongée toute entière dans ses recherches sur l’évolution des connaissances scientifiques et du temps qui influencent notre entendement.
Noémie Goudal a réalisé cette série en atelier grâce à une technique de projection d’eau qui peu à peu efface l’encre de la photographie qui, de haut en bas, passe du noir et blanc et de la haute définition à la quasi disparition de l’image. Pour Noémie Goudal, la performance est dans le moment précis de la prise de vue des étapes successives de la décoloration. Démantèlement est bien sûr symbolique du fait avéré que l’espèce humaine a amené la planète à bout de souffle. Mais Noémie Goudal explique avec conviction que si le paysage là devant nous est tellement plus vieux que l’homme, il survivra en se réinventant et notre espèce avec. On a été ravie d’entendre ce discours optimiste. Sans connaître les connaissances à la base du comment et du pourquoi des mises en scène de Noémie Goudal, rêver devant ces fictions du réel peut suffire.
À l’opposé du Kirchberg, on peut aller voir, aux Archives Nationales, les portraits des ouvriers métallos que Yvon Lambert a fait lors de la dernière coulée du haut-fourneau d’ARBED-Belval, dans Derniers Feux, en 1997. C’est un reportage sur une réalité vraie, celle sur une époque aussi polluante qu’était la fierté au dur labeur. L’hommage d’Yvon Lambert se mesure à la la mélancolie pour une époque arrivée à son terme et à la révolte de la fin des Trente Glorieuses qui habite ses tirages argentiques. C’est l’exact opposé de la savante, non moins lucide mais poétique pratique photographique de Noémie Goudal.