Décidément, l’ex-banque Kaupthing fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines et alimente une jurisprudence aussi abondante que cruciale pour le devenir de la Place financière. Après le jugement de première instance annulant les gages sur les actions d’Immo-Croissance au profit de sa bad bank (Land du 26 juillet), qui avait été mise en place dans le cadre du plan de sauvetage en 2009 et de son rachat par la suite par des investisseurs britanniques (pour devenir depuis lors Banque Havilland), voici un arrêt du 10 juillet dernier de la Cour d’appel siégeant en matière correctionnelle qui servira sans doute de référence pour déterminer les limites du secret bancaire à ne pas dépasser.
Le Land avait déjà relaté l’histoire de ce dirigeant de Kaupthing Luxembourg poursuivi avec beaucoup de détermination par sa banque pour, entre autres, vol de documents et violation du secret professionnel (Land des 17.08.2012 et 12.04.2013). N’ayant fait que se défendre et ayant utilisé des documents, dont la plupart étaient open source – ils avaient fuité sur le site de Wikileaks et étaient librement consultables sur la toile –, pour faire la démonstration, en vue d’un autre procès devant la juridiction du travail, de la faute de son employeur (l’homme avait démissionné dans le chef d’une faute lourde de la banque, ce qui est peu banal, cette accusation étant le plus souvent tournée contre l’employé et non pas le contraire), le prévenu fut acquitté, le tribunal considérant que, même si la violation du secret bancaire pouvait être mise en exergue, quoi que les preuves manquaient, « les droits de la défense du salarié (devaient) primer le droit au respect de la propriété de l’employeur ».
Rebelote en appel où les juges ont confirmé sur toute la ligne leurs confrères de première instance, et de manière davantage appuyée d’ailleurs. Banque Havilland, qui avait interjeté appel (l’établissement a été défendu par les avocats Pierre Elvinger et Franz Fayot, de l’étude EHP, lire aussi en page 14) ainsi que le Parquet, a même été condamnée, en prime, à payer 5 000 euros à son ancien cadre pour indemnité de procédure.
L’affaire est donc peu banale, tout comme le déroulement du procès en appel : alors que tout le monde attendait le verdict en mars dernier, les juges avaient prononcé une rupture de délibéré en raison d’éléments nouveaux apparus comme un cheveux sur la soupe en cours de route et exhumés par les avocats de la banque qui demandaient que soient retenues, en plus du vol et de la violation des obligations professionnelles, des infractions de hacking (entrée dans le système informatique de Kaupthing, avant la fuite de certaines informations sur Wikileaks) et de blanchiment détention (normalement réservé aux voleurs de dentifrice et de crème à raser – Land du 5 juillet).
La provenance d’autres documents, censés être cette fois frappés du sceau de la confidentialité, ne pose pas de problème au regard de la légalité, ont tranché par ailleurs les juges : il s’agissait de photocopies que le prévenu s’était fait remettre par son employeur. Il ne s’est pas comporté comme leur propriétaire ni a eu l’intention de les usurper à l’insu de la banque, et de plus, il ne les a produits que dans le cadre d’un litige de travail, soulignent encore les juges. Pas de vol à retenir donc, pas plus que de hacking : le cadre a téléchargé certains des documents via son adresse de courrier électronique ouverte à son nom et n’a pas accédé frauduleusement au serveur informatique de la banque. La Cour n’a pas davantage retenu le blanchiment détention, car il suppose de commettre une infraction primaire, ce qui n’a pas pu être établi.
Sur la violation des obligations professionnelles, là encore le doute est permis. Les juges d’appel ont en outre considéré, à l’instar du tribunal de première instance, que l’obligation au secret cesse lorsque sa révélation est autorisée ou imposée par ou en vertu d’une disposition législative, ce qui n’exclut pas « la prise en compte d’un fait justificatif ». Et dans le chef de l’ex-cadre de Kaupthing, ce « fait justificatif », c’est justement l’accusation de vol domestique lancée par sa banque et, partant son droit de se défendre, inscrit dans l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés. Une norme de droit supérieure aux lois luxembourgeoises, et notamment aux règles sur la violation du secret bancaire. Le cadre dirigeant a donc été acquitté. L’arrêt du 10 juillet pourrait avoir des conséquences sur d’autres affaires de violation supposée du secret bancaire. De toute façon, pourquoi se battre avec tant d’énergie lorsque l’on connaît la durée de péremption du secret professionnel qui ne devrait pas passer l’hiver 2015 ?