Entre peinture et objet, les œuvres de Michael Burges remettent en question la peinture traditionnelle. Dans sa série Reverse Glass Paintings actuellement exposée à la galerie Lucien Schweitzer, l’artiste peint différentes couches et taches de peinture abstraite en appliquant de l’acrylique sur du plexiglas. Le côté avant du tableau est scellé avec une plaque en aluminium. Ce que le spectateur peut voir c’est la face arrière de l’œuvre, c’est-à-dire le verre et les premières couches de couleur, qui dans un tableau traditionnel forment l’arrière-plan. Michael Burges (né à Düsseldorf en 1954) s’attaque donc à la peinture et à son histoire en utilisant une démarche inverse.
Burges, dont la formation universitaire témoigne de sa passion pour la recherche – il a fait des études de sciences sociales, de théologies comparatives, d’ethnologie et d’indianisme –, est un expérimentateur qui analyse les effets de couleur et la réfraction de la lumière. Au début de sa carrière, il écrit des histoires courtes et des textes lyriques, fait de la musique expérimentale et crée des environnements acoustiques, des installations ainsi que des performances. L’artiste ne se consacre à l’étude de la peinture qu’en 1981. Dans les années 1990, il réalise des peintures abstraites à l’huile sur bois, marquant son attirance pour les couleurs vives et contrastées. Dans la série des Refraction Waves, toujours de l’huile sur bois, son goût pour les lignes horizontales et onduleuses s’affirme.
Les Reverse Glass Paintings mettent en scène des taches d’une vaste palette de couleurs vibrantes, parfois même trop stridentes. Le spectateur reste cependant perplexe quant à leur processus de création. La technique de la peinture sous verre remonte au Moyen Âge, mais elle ne trouve son véritable essor qu’à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, en parallèle au développement de la fabrication du verre clair à Murano, près de Venise. À l’époque, la peinture sous verre inspirée de peintures religieuses était réalisée en série et destinée à des acheteurs de la « classe » populaire. Alors que le procédé est très raffiné et méticuleux, des peintres du XXe siècle comme Vassily Kandinsky, Auguste Macke, Gabriele Münter et Alexej von Jawlensky, tous protagonistes du Blaue Reiter, étaient attirés par cette pratique à cause des couleurs lumineuses, de la réduction des formes et de la planéité de la surface.
La réduction des formes s’exprime chez Burges par une abstraction radicale et le procédé de l’overall. Certaines de ses œuvres semblent ainsi une interprétation contemporaine d’un tableau de Jackson Pollock. Dans d’autres peintures sous verre, Burges a repris le procédé du verre églomisé et a tapissé une plaque de plexiglas avec de l’or en feuilles. Ces « peintures » font référence aux icônes produites à partir du VIIIe siècle dans la peinture traditionnelle de l’église orthodoxe. Également à voir, dans le bureau de la galerie Schweitzer, deux œuvres de la série Virtual Space Works (de 2004 à 2010). Ici, Burges a monté une plaque lenticulaire transparente devant une peinture abstraite. L’image semble alors flotter dans l’espace et il est impossible de la capter dans sa totalité. L’artiste joue avec la capacité imaginaire du spectateur, amené à se positionner et à se repositionner face à une image qui semble être de l’autre côté du verre, voire du miroir.