Les uns sont perplexes, les autres furieux : plus d’une semaine après que le Premier ministre Jean-Claude Juncker eut annoncé, le 10 juillet, vouloir aller proposer des élections anticipées au grand-duc, personne ne savait encore si ce gouvernement et son parlement étaient démissionnaires ou pas. Car le Président du Parlement, Laurent Mosar (CSV) avait hâtivement fermé la session après cette annonce du chef du gouvernement, sans que les trois motions déposées par Félix Braz (Déi Gréng), Alex Bodry (LSAP) et Serge Urbany (Déi Lénk) ne soient soumises à un vote en plénière. Au moins les deux premières pouvaient être considérées comme des questions de confiance et auraient clarifié la situation : le parlement aurait retiré sa confiance au gouvernement et ouvert la voie à de nouvelles élections. Mais là, le grand-duc, seul habilité, selon l’article 74 de la Constitution, à dissoudre la Chambre, ce qui implique de nouvelles élections dans les trois mois, n’a d’autres fondement pour sa décision que les déclarations en tête-à-tête du Premier ministre et des chefs des groupes politiques qu’il a reçus en audience la semaine dernière. Il a demandé quelques jours de réflexion, puis un avis au Conseil d’État en la matière, qui s’est réuni en séance plénière hier jeudi. Après deux heures de réunion, la haute corporation se fit un plaisir à se moquer avant tout de la Chambre des députés et de son amateurisme dans son avis : si, dans la coutume luxembourgeoise, une disso-lution est vue comme un remède à une grave crise entre la Chambre et le gouvernement, il faut des preuves. Or, il n’en décèle aucune qui permette de « conclure indubitablement à l’existence d’un conflit grave et irréversible », car aucun acte formel, ni vote des motions, ni même des conclusions du rapport. À aucun moment, la Chambre n’a refusé sa confiance au gouvernement. Or, le dilemme du chef de l’État est patent : lorsque, en 2008, il a voulu s’opposer à la loi sur l’euthanasie, qu’il estimait contraire à son éthique catholique, l’opinion publique s’en est offusquée et le parlement a coupé dans ses prérogatives constitutionnelles. On lui a fait comprendre qu’un monarque, c’est purement représentatif, que ça n’a pas à s’immiscer en politique. Or, ce que le gouvernement et les députés lui demandaient maintenant, c’était justement de faire de la politique, de dissoudre un Parlement sans fondement consigné par écrit et avalisé par un vote public. Or, « la dissolution (...) n’est certainement pas un acte qui dépendrait du bon vouloir du Chef de l’État » écrivent les Sages. Le plan B, que lui auraient proposé plusieurs conseillers, aurait été d’amender le projet de loi n°6571, déjà en discussion au Parlement, qui devait notamment permettre de fixer les élections législative au 25 mai 2014, en parallèle aux européennes (et non le premier dimanche du mois de juin, comme le prévoit la loi électorale) : et si on amendait cet article, pour simplement les avancer de sept mois supplémentaires, au 20 octobre 2013 ? Idée saugrenue, car anticonstitutionnelle : l’article 56 stipule que « les députés sont élus pour cinq ans ». Qu’on n’aura pas atteints en octobre. Serge Urbany, le député de Déi Lénk, s’est indigné en premier, dès mardi, dans une lettre ouverte, que le Premier ministre était responsable de la crise institutionnelle déclenchée par son refus de remettre la démission du gouvernement au grand-duc – ce que les socialistes lui avaient pourtant proposé, en amont du débat à la Chambre. Urbany, puis l’ADR, demandent que soit convoquée une réunion extraordinaire du Parlement afin de prendre un vote de confiance formel, de prier le chef de gouvernement « à l’exclusion de tout doute » de présenter la démission du gouvernement, et ainsi d’ouvrir la voie vers la mise en place d’un gouvernement provisoire en charge des affaires courantes, puis une dissolution pour le 7 octobre et de nouvelles élections le 20 octobre. Le Conseil d’État toutefois juge dans son avis qu’un arrêté de dissolution différé serait anticonstitutionnel : soit il y a un conflit grave au sein de la majorité parlementaire, et les deux partis ne peuvent plus travailler ensemble, soit il n’y en a pas. Comme Alex Bodry, Jean-Claude Juncker est un juriste avisé, il n’a pas pu organiser ce chaos institutionnel à l’insu de son plein gré. Il sait que des élections anticipées ne sonnent pas si faux dans la grande histoire politique du Luxembourg qu’un vote de défiance ou une démission du gouvernement. « #Luxembourg Government working intensely until elections in October ; political stability guaranteed ! » tweetait le ministre des Finances Luc Frieden. Le gouvernement Juncker-Asselborn II continue à travailler comme si de rien n’était, convoque des conférences de presse à tout va, se réunit en conseil, prépare le budget, dépose des projets de loi. Le mot d’ordre invoqué étant la « stabilité », en interne et sur le plan international. Or, la dernière semaine montre que cette insécurité joue contre eux. Tout le monde est dans l’attente d’un signal de départ pour lancer le changement. Et déjà, la crise politique s’est muée en crise d’État.
Catégories: Affaire Srel
Édition: 12.07.2013