Les expositions actuelles à la Galerie Nosbaum & Reding mettent en évidence que l’artiste a une vue bien spécifique du monde, qui est non seulement critique mais souvent aussi sombre. Consacrées à deux peintres de la génération héritière des néo-expressionnistes, Thaddeus Strode et Damien Deroubaix, ces expositions donnent un aperçu intéressant de la relation étroite de la peinture avec les autres domaines artistiques et culturels.
Pour ses œuvres, l’artiste américain Thaddeus Strode s’inspire de bandes dessinées, de contes et de la culture populaire (par exemple des images télévisées ou de la culture du surf et du skateboard). Il y emprunte non seulement des motifs, mais aussi le concept du scénario. Ses tableaux hauts en couleurs et expressifs peuvent en effet être compris comme une sorte de collage d’images et de mots. Dans sa série de sculptures, Brain Capers, des planches en bois servent de fond aux scénarios d’un monde en miniature, relatant aussi le principe d’une histoire complexe composée d’éléments graphiques et littéraires.
Les mots et commentaires sont souvent inscrits sur les peintures sous forme de bulle, d’une manière similaire aux dialogues dans les BD. Ainsi, à la surface de la peinture à l’huile Glory hole (fumetti), qui consiste en un arrière-fond jaune, une silhouette de montagne et un abîme noir, on peut lire par exemple : « I see only darkness in the cave ! » et « I’ll dynamite the place ». Les phrases provocatrices soulignent l’idée du gouffre tout en évoquant une certaine critique de la société et du mainstream. L’histoire que Strode tisse à travers ses œuvres saisissantes est mystérieuse et sombre, mais toujours également familière, visant à une saturation de l’émotion esthétique.
L’artiste fait aussi preuve d’humeur et de jeux de mots. Ainsi, il attribue à ses tableaux des titres descriptifs et comiques comme Something is happening, something’s wrong…it’s me (sushi roll) (fumetti). Pour ce tableau comme pour la plupart de ses autres toiles, l’artiste mélange éléments figuratifs et abstraits. C’est ce mélange bien réussi d’arrière-fond abstrait et d’éléments figuratifs et très concrets qui suscite la curiosité du spectateur et l’incite à formuler des interprétations très diverses quant au sens des mondes étranges de l’artiste.
Dans son deuxième espace, la Galerie Nosbaum & Reding expose un autre artiste qui se sert du pouvoir visuel et associatif des mots. Pour sa cinquième exposition personnelle à la galerie, South of Heaven, Damien Deroubaix présente une sélection d’aquarelles et de crayon sur papier et une sculpture. Tout comme Thaddeus Strode, Deroubaix véhicule une vision du monde très personnalisée dans ses œuvres et y dépeint un monde fulminant, cru et dérivé de la musique et de l’esprit grindcore.
Alors que Strode emploie une palette de couleurs élargie, s’étayant du noir au strident en passant par un aspect pastel plus doux, Deroubaix se restreint délibérément au sombre et au noir et se place dans une ligne de pensée agressive similaire à celle d’un Beckmann ou d’un Dix. La sélection actuelle de Deroubaix est tenue dans des tons bleuâtres, attribuant aux peintures une atmosphère subaquatique. Le recours à l’aquarelle sur papier et au collage souligne cette impression en donnant à la surface une apparence vive et froissée.
Les motifs proviennent du domaine animalier : raie, méduse, chauve-souris, singe et autres. Des cœurs et des crânes rappellent la vanité, mais renvoient aussi à une vision apocalyptique du monde. Tout comme Strode, Deroubaix construit dans ses tableaux imposants des histoires complexes et sollicite le spectateur à y regarder de près. La référence à l’horreur et au trash souligne la pensée critique que Deroubaix formule face à la société contemporaine, notamment face au capitalisme ainsi qu’à l’omniprésence des caméras de surveillance et à l’observation constante dans l’espace public.
Le choix de consacrer deux expositions parallèles à Strode et à Deroubaix s’avère judicieux dans la mesure où il souligne l’influence des autres domaines culturels sur l’artiste. Strode décline sa composition picturale de la BD et recourt à des images télévisées ; dans le cas de Deroubaix, c’est la musique grindcore qui définit la structure des œuvres. Si l’un s’oriente à la culture populaire, l’autre préfère une culture ou un culte moins mainstream. Tous deux montrent cependant que la peinture contemporaine n’est plus à défaire des médias actuels et des images et pensées ainsi propagées.