De nos jours, il ne semble pas toujours évident, surtout au niveau international, que le but d’une galerie d’art n’est pas exclusivement commercial, mais s’oriente aussi à la qualité artistique et à la promotion d’artistes moins connus. Des expositions comme celle présentée actuellement à la Galerie Clairefontaine se démarquent dès lors de manière positive dans la mesure où elles contribuent à la (re-)découverte de nouveaux talents artistiques. Les séries photographiques de Lé Sibenaler et de Marc Wilwert – tous deux Luxembourgeois connus certainement davantage pour leur travail de reporters photographes que pour leurs pratiques artistiques – ne sont pas seulement un pur plaisir visuel, mais proposent aussi une réflexion sur le médium de la photographie et sur son utilisation dans la société occidentale contemporaine.
Le titre de l’exposition à la Galerie Clairefontaine, Lé Sibenaler & Marc Wilwert. Memento, est moins une référence à l’habituel « memento mori » qu’au simple « souviens-toi », c’est-à-dire à la mémoire tout court. Si la photographie permet de capturer un instant précis et de le fixer pour l’« éternité », Lé Sibenaler et Marc Wilwert démontrent que cette technique est aussi soumise à l’impact du temps et qu’elle s’avère beaucoup plus fragile que l’utilisation de masse de la photographie digitale ne le fait croire.
En 1966-1968, Lé Sibenaler réalise une série de diapositifs qu’il enterre ensuite comme pour clore un chapitre. En 2012, c’est-à-dire plus de 45 ans après, il la déterre à nouveau. Le résultat est plus qu’étonnant : au lieu de clichés de paysages, de maisons et de personnes, on aperçoit l’usure du temps. Les composantes chimiques se sont dissoutes et forment désormais un écoulement de couleurs abstrait sur la surface du diapositif. Les images exposées à la galerie, portant le titre Tant de Temps, invitent à la découverte du passé, certains éléments, comme des visages ou des formes architecturales, apparaissant sous une « couche de peinture » abstraite.
Le procédé de Sibenaler n’est pas seulement inédit dans le monde de l’art, mais a aussi trait à quelque chose d’archaïque. L’abandon des œuvres par l’artiste mène à une évolution autonome du produit. Il est intéressant de voir que l’action du temps et de l’enterrement sous terre opèrent une transformation du figuratif en quelque chose d’abstrait et font par là référence à l’histoire de l’art du XXe siècle.
L’association des photographies de Sibenaler à la nouvelle série de Marc Wilwert, d’une génération plus jeune, est un choix judicieux, les deux pratiques se mettant réciproquement en valeur. Wilwert, tout comme Sibenaler, travaille avec les méthodes traditionnelles de la photographie. Pour sa série (sans titre), il s’est servi de film instantané afin de prendre en photo des fleurs. Comme dans ses séries précédentes, Wilwert confère un rôle important à la lumière avec laquelle il expérimente pour obtenir des effets de couleur et de texture spéciaux. Ainsi, certaines des fleurs émergent d’un fond craquelé ou l’image est tenue dans des tons monochromes. En se focalisant sur des fleurs, Wilwert cite un motif photographique traditionnel, tel qu’il apparaît chez des artistes comme Robert Mapplethorpe ou Nobuyoshi Araki. Le jeu avec la lumière et avec le médium photographique lui-même rappelle aussi les photographies d’un Wolfgang Tillmans.
Outre les résultats visuels étonnants et d’une grande beauté, les procédés de Sibenaler et de Wilwert sont un éloge aux moyens traditionnels ou alternatifs de la photographie et se situent en opposition claire et nette avec les clichés digitaux rapides et souvent dépourvus de sens esthétique. L’exposition Memento, à recommander absolument, n’offre pas seulement une réflexion sur le temps, mais aussi un instant suspendu dans le temps grâce à la force visuelle des images.