Gare Keleti à Budapest, capitale de la Hongrie. Des centaines de personnes attendent le train pour Vienne dans l’espoir de gagner l’Autriche et l’Allemagne afin de fuir le malheur de l’histoire qui les poursuit. Ce départ est une question de vie ou de mort. C’était en novembre 1956 quand l’armée soviétique avait envahi Budapest pour étouffer la petite révolution anticommuniste initiée par une poignée d’intellectuels et d’étudiants hongrois. À l’époque, 200 000 Hongrois avaient fui leur pays et trouvé refuge en Autriche et en Allemagne où ils avaient reçu l’asile politique.
59 ans plus tard, en septembre 2015, des centaines de personnes se retrouvent dans cette même gare de Budapest avec l’espoir de rejoindre l’Autriche et l’Allemagne. Mais le décor a changé . La Hongrie n’est plus envahie par l’armée soviétique, c’est un pays de l’Union européenne dirigé par le nationaliste Viktor Orban. À la gare Keleti, la police hongroise interdit l’accès des réfugiés venus des principaux théâtres de conflits du Moyen Orient. Pas d’accès aux bus non plus, ce qui fait monter la colère des réfugiés de jour en jour. En même temps, sur les ondes de la radio publique Kossuth le premier ministre Viktor Orban martèle ses convictions. « Si nous accueillons tous ces gens ce sera la fin de l’Europe. Tôt ou tard nous serons une minorité sur notre continent. On doit dire à ceux qui viennent en Europe avec l’espoir d’une vie meilleure qu’ils ne seront pas accueillis. S’ils viennent, ils seront rejetés. L’Europe doit être puissante, elle doit arrêter d’être riche et faible, c’est la pire des combinaisons. »
Certes l’ampleur de cette vague migratoire est inquiétante. La Hongrie, en tant que frontière orientale de l’espace Schengen, est un pays de transit vers l’Europe occidentale. En 2014, environ 43 000 réfugiés sont arrivés en Hongrie, mais les autorités de Budapest estiment qu’elles vont recevoir 300 000 immigrants illégaux d’ici la fin de l’année. L’Allemagne, qui est le principal pays de destination des réfugiés, estime à 800 000 les migrants qui arriveront sur son territoire en 2015. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 350 000 migrants ont traversé cette année la Méditerranée. Environ 2 700 d’entre eux, adultes et enfants, y ont perdu la vie. Les chiffres ont de quoi inquiéter : 131 000 migrants de plus que pendant la même période l’année dernière. Et ce n’est que le début, car la situation en Syrie n’a fait qu’empirer, poussant la population civile à trouver refuge ailleurs. Sans compter l’Irak et l’Afghanistan où les blessures de la guerre sont loin d’être refermées.
Le tableau est sombre, mais pour les rescapés qui sont arrivés à la gare Keleti de Budapest reste l’espoir de mettre les pieds en Autriche et en Allemagne. Face à l’hostilité des autorités hongroises, cette masse humaine désespérée par une attente sans perspectives s’est mise en route à pied en direction de la frontière autrichienne. Des hommes au visage ravagé par la fatigue, des femmes accrochées à leurs bébés, des handicapés en chaises roulantes ont pris le chemin de l’Occident poussés par l’instinct de survie. De l’autre côté de la frontière, des dizaines de bus. Dans un mouvement de solidarité sur les réseaux sociaux, plus de 2 000 chauffeurs autrichiens se sont mobilisés. « Le plus gros problème, c’est que les Hongrois empêchaient nos bus d’entrer sur leur territoire, a déclaré Hans Peter Doskozil, le chef de la police du land Burgenland. Nous leur avons proposé de transporter les réfugiés, mais ils ont refusé et les ont obligés à faire le chemin à pied sous la pluie. »
Dirigée d’une main de fer par le nationaliste Viktor Orban, la Hongrie avait déjà pris des mesures anti-immigration qui ont provoqué l’ire de la Commission européenne. En juin dernier, Budapest a décidé de dresser un mur de barbelés à la frontière avec la Serbie. Quant aux immigrants ils ont commencé à changer de routes. La zone méditerranéenne, avec la Grèce et l’Italie, était la plus exposée à ce phénomène, mais une autre route s’est mise en place à travers les Balkans. Depuis la Turquie, les migrants du Moyen-Orient et d’Asie passent en Bulgarie puis en Serbie afin de forcer l’entrée en Hongrie, premier pays de l’espace Schengen sur leur route.
La Bulgarie a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises depuis l’arrivée massive de Syriens l’année dernière. La Serbie est moins inquiète, sachant que les migrants visent la Hongrie. Mais à Budapest on sent déjà un air de panique. « Nous enverrons la police sur les frontières et si nous avons l’aval du parlement nous déploierons l’armée, a affirmé Viktor Orban le 5 septembre. Il ne s’agit pas de 150 000 migrants que certains veulent répartir sur la base de quotas, ni de 500 000, chiffre que j’ai entendu à Bruxelles. Ce sont des millions, puis des dizaines de millions parce que l’afflux d’immigrants est sans fin. »
La perspective d’une grande vague migratoire fait peur en Europe de l’Est. En République Tchèque, l’ancien président Vaclav Klaus appelle publiquement au rejet de la politique de quotas. « Nous ne sommes pas indifférents aux souffrances de milliers de personnes provoquées par les guerres et autres catastrophes, mais nous nous opposons à la manipulation de l’opinion publique par la création d’un faux sentiment de solidarité avec ces migrants », lit-on dans la pétition de l’ancien président. Plus à l’est, en Roumanie, un autre ancien président, Traian Basescu, adresse le même appel aux Roumains. « Ce n’est pas à la Roumanie d’assumer le drame de ces pauvres gens, a-t-il déclaré le 2 septembre. Nous avions averti l’UE lorsque certains pays européens ont décidé de faire des frappes aériennes en Lybie. À l’époque, nous avons dit aux plus hautes instances européennes : ne faites pas tomber la dictature en Lybie parce qu’on aura la chaos après. La leçon que l’Europe reçoit aujourd’hui est celle de sa propre irresponsabilité. » En Europe de l’Est la bataille de l’immigration semble perdue d’avance.