La guerre commerciale est déclarée. Moscou a en effet annoncé le 7 août un embargo total d’une durée d’un an sur la majeure partie des produits alimentaires originaires de l’Union Européenne et des États-Unis. La contre-attaque russe aux sanctions européennes avait déjà débuté, quelques jours auparavant, par des restrictions sur les importations de fruits et légumes de Pologne. Un porte parole de la Commission a réagit en affirmant que l’Union européenne se réservait « le droit de prendre des mesures » à l’encontre de la Russie. L’UE pourrait notamment saisir l’OMC de cette question.
La décision du Kremlin pourrait avoir un impact relativement important sur les agriculteurs européens pour qui la Russie pèse dix pour cent des exportations mais aussi sur les consommateurs russes car 40 pour cent des produits agricoles importés par le pays proviennent d’Etats membres de l’Union européenne. Dacian Ciolos, Commissaire européen à l’agriculture et au développement durable s’est voulu rassurant : « la Politique Agricole Commune a des outils nouveaux et modernisés pour soutenir les agriculteurs quand cela est nécessaire, y inclus notre réserve de crise qui est d’ores déjà disponible ».
À l’origine de cette escalade, les sanctions prises par l’Union européenne le 29 juillet et entrées en vigueur le 1er août en réponse au crash du vol MH 17 dans l’est de l’Ukraine. « Les sanctions décidées aujourd’hui par l’Union européenne sont un signal fort adressé aux dirigeants de la Fédération de Russie: la déstabilisation de l’Ukraine ou de tout autre pays voisin, aura des coûts énormes pour l’économie russe », avait ainsi déclaré Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen.
Les dirigeants de l’Union européenne avaient alors décidé de concentrer leurs sanctions sur trois grands domaines stratégiques pour l’économie russe : la finance, l’énergie et l’armement. « Selon la littérature économique, les sanctions économiques ne fonctionnent pas vraiment quand elles sont générales mais quand elles concernent des secteurs très précis, comme les finances, elles peuvent marcher » explique Erik Vander Marel, Senior Economiste à l’Ecipe (Centre européen de politique économique internationale). Dans le domaine de l’armement, un embargo a été décrété sur les exportations et importations d’armes et technologies liées pour tout nouveau contrat. L’Allemagne a décidé d’appliquer également cette sanction aux contrats antérieurs en bloquant un projet d’équipement militaire du groupe de défense Rheinmetall en Russie. Cette décision accroit la pression sur la France qui avait maintenu son intention de livrer un porte-hélicoptères Mistral en raison d’un contrat ancien.
Dans le secteur énergétique, l’exportation de certaines technologies et de certains équipements est désormais soumise à un droit de veto des autorités des Etats membres. Si ces produits sont destinés à l’exploitation et à la production de pétrole en eaux profondes, à l’exploitation du pétrole en arctique ou aux projets de pétrole de schiste en Russie, les licences d’exportation seront refusées. Or, l’énergie est un secteur stratégique de l’économie russe, deuxième producteur mondial de gaz et de pétrole en 2012. Les hydrocarbures forment deux-tiers des exportations du pays. L’UE pourrait également connaître des conséquences de ces sanctions. « L’Union européenne et la Russie sont très interdépendantes dans le domaine de l’énergie ». Si bien que si la situation venait à s’envenimer en ce domaine « cela pourrait être une pression pour développer le marché intérieur de l’énergie et diversifier les sources » estime Erik Vander Marel.
L’Union européenne a également décidé de restreindre l’accès de Moscou à ses marchés en interdisant l’achat ou la vente de nouvelles actions financières en provenance d’une banque russe dont l’Etat est l’actionnaire majoritaire. La liste noire des personnes et sociétés dont les avoirs sont bloqués a également été allongée. 95 personnes et 23 entités sont, à présent, répertoriées. « Les banques ont reçu des instructions qu’elles sont entrain de mettre en place » confirme Serge de Cillia, Directeur général de l’Association des Banques et Banquiers, Luxembourg (ABBL).
Ces sanctions interviennent alors que le FMI a revu nettement à la baisse les prévisions de croissance du pays (+ 0,2 % pour le PIB cette année, contre 1,1 % attendu). Elles pourraient accélérer encore davantage la fuite des capitaux de Russie. « Les mesures sur les banques ont aussi un impact indirect sur l’économie structurelle d’un pays. Elles amènent à une réduction des crédits à l’exportation et à l’importation » analyse Erik Vander Marel. L’économiste nuance cependant l’étendue des conséquences immédiates. « La Russie est déjà un pays qui vit un peu en autarcie donc il n’y aura pas d’effet tout de suite. Sur le long terme, cela va avoir un impact parce que la Russie va être isolée ».
En Europe, et singulièrement au Luxembourg, le facteur temps est également capital. « L’impact dépend combien de temps ces mesures seront d’application. Plus cela dure, plus l’impact est important » confirme Serge de Cillia. De plus « C’est une première série de mesures. On ne peut pas exclure qu’il y en ait d’autres » a-t-il ajouté. La prudence est donc de mise sur les conséquences potentielles bien que « Le Luxembourg ait des relations très anciennes avec la Russie. Nous avons deux banques russes. Les fonds d’investissement comptent pas mal d’investisseurs russes ». « Nous ne seront quasiment pas impactés par la limitation du marché de capitaux aux opérateurs russes. En revanche, il y a un impact possible pour les projets de cotation à Luxembourg qui ne seront plus possibles » évalue Serge de Cillia.