Après avoir proposé l’exposition du philosophe Bruno Latour (Toi et moi on ne vit pas sur la même planète) au printemps dernier, le Centre Pompidou-Metz poursuit son exploration des problématiques écologiques avec une nouvelle manifestation, intitulée Mimèsis. Design vivant. Cette dénomination quelque peu savante renvoie à la notion platonicienne d’imitation. La nature constitue un modèle à mimer, à reproduire ou à recréer numériquement, un réservoir inépuisable de formes qu’il est possible de décliner à l’envi grâce aux moyens technologiques dont nous disposons aujourd’hui. Le vocabulaire qui décrit les œuvres est un brin spécialisé, unifié par une même attention à la bios, la vie, en grec. Ainsi parle-t-on de « biomorphisme » pour désigner une œuvre d’art dont les formes évoquent celles du monde organique ou de « biomimétisme », quand la technique imite un processus mis en œuvre par la nature. Enfin, la « biofabrication » renvoie à un secteur de l’industrie axé sur l’étude et la fabrication de systèmes vivants. Le design n’est donc pas compris ici comme un art appliqué qui se satisfait de ravir nos yeux. Dès lors qu’ils ont pleinement intégré les défis écologiques qui se posent à notre siècle, les designers se mettent au service de la conservation du vivant et d’un monde écoresponsable.
Reprenant certaines pièces de l’exposition Imprimer le monde qui s’est tenue en 2017 à Paris, la plupart des œuvres présentées proviennent des collections du Centre Pompidou. Le parcours de l’exposition messine débute par l’œuvre monumentale, à taille humaine, conçue par deux architectes allemands, Michael Hansmeyer et Benjamin Dillenburger : une véritable grotte imprimée en 3D en sable de silice, dont les formes ont été générées par des algorithmes (Grotto II), à l’image du processus de division des cellules dans l’organisme. Non loin de cette fabuleuse caverne sont réunies trois sculptures zoomorphiques de l’ensemble Imaginary Beings : Mythologies of the Not Yet. Imaginées d’après le Livre des êtres imaginaires (1957) de Jorge Luis Borges, ces créatures aquatiques sont signées de l’architecte israélienne Neri Oxman, qui a fondé sa propre agence après avoir dirigé un laboratoire de recherche au Massachusetts Institute of Technology. Autre curiosité figurant à proximité : la très épurée Corolised Chair (2012) du designer britannique Ross Lovegrove, dont la « corolisation » fait référence à l’évolution du calcium des coraux dans l’océan.
À côté de ces créations récentes, qui permettent d’entrevoir l’art de demain, d’autres objets emblématiques sont présentés : la chaise longue conçue par Charles (1907-1978) et Ray Eames (1912-1988) en acier et en fibre de verre à l’occasion d’un concours international de design initié par le Museum of Modern Art de New York. Dans l’héritage de La chaise (1948) du couple Eames s’inscrivent aussi bien le prototype du Bone Chair (2006) de Joris Laarman, dont l’ergonomie a été pensée à partir de la croissance des os du squelette, que les travaux d’Aurélie Hoegy qui renouent avec la production artisanale. Pour Wild Fiber Duchess (2020) par exemple, la jeune femme a recouru à la moelle de rotin, une variété de liane endémique des forêts indonésiennes.
Autre retour aux sources avec Charlotte Perriand (1903-1999), qui adhère en 1929 à l’Union des artistes modernes après avoir exercé dans l’atelier de Le Corbusier. Tout un espace est dédié à son séjour au Japon, où elle rencontre des artisans du mouvement Mingei et produit des œuvres conciliant traditions asiatique et occidentale. Autre figure pionnière du design organique : le Finlandais Alvar Aalto (1898-1976), qui allie esthétique épurée et inspiration humaniste en vue de promouvoir une relation harmonieuse entre la nature et l’habitat. Aux côtés de sa femme Aino, il promeut l’usage exclusif de matériaux naturels (hêtre, bouleau, tremble) conjugués à de nouvelles techniques – le contreplaqué cintré, le lamellé-collé.
D’autres personnalités attachantes du vingtième siècle ont été réunies pour redonner vie au principe transdisciplinaire qui prévalait parmi les cabinets de curiosité de la Renaissance. Des photographies de Man Ray (1890-1976) et de Brassaï (1899-1984) côtoient celles du père de la Nouvelle Objectivité, Albert Renger-Patzsch (1897-1966), mais aussi de Jean Painlevé (1902-1989), dont le travail se situe à la frontière de la biologie, du documentaire scientifique, du surréalisme, et auquel le Jeu de Paume consacre actuellement une vaste exposition (Jean Painlevé, les pieds dans l’eau). Ses réalisations, telles que La Pieuvre (1928), Le Vampire (1945) ou L’Hippocampe (1934), dont une très belle épreuve de buste figure dans l’exposition, font aujourd’hui partie de la mémoire du cinéma scientifique.
Plus près de nous, des designers de renom sont mis à l’honneur. C’est le cas, parmi d’autres, des frères Ronan et Erwan Bouroullec, auxquels le Centre Pompidou-Metz avait déjà rendu hommage en 2011. Outre leur panneau décoratif modulable à la façon des algues, toute une section leur est offerte pour nous proposer des visions urbaines poétiques sous forme de maquettes (Rêveries urbaines). À la croisée des arts, de l’industrie et de la recherche scientifique, le design s’affirme résolument comme un mode d’être, prolongeant les efforts effectués dans d’autres domaines pour rendre notre monde vivable et pérenne.